Atelier n°1

9 minutes de lecture

Extrait du journal de Romain M.

Mercredi 1er février

Je sors à peine de l’atelier. Je suis encore secoué. L’ensemble de mon corps est parcouru de frissons que je ne parviens pas à contrôler. Je n’ai pas pu rentrer tout de suite. Il fallait que je m’arrête pour reprendre mes esprits.

Je suis à l’intérieur d’une brasserie, j’ai commandé une bière d’une voix fragile. J’ai attendu que la serveuse me l’apporte et s’en aille pour sortir mon carnet. Dehors, la vie continue indifférente aux répliques du séisme qui m’a dévasté tout à l’heure.

Pour cette première session d’atelier d’écriture, j’avais essayé de ne pas trop me stresser, d’être le plus détendu possible. Je n’avais pas misé tous mes espoirs dessus mais j’étais rempli d’une immense motivation, d’une envie de produire que je n’avais pas ressentie depuis un long moment. Les jours commençaient à rallonger. J’y voyais un signe pour sortir de mon interminable hibernation.

En arrivant, j’avais repensé à la soirée d’inauguration de la semaine dernière. Je m’étais senti seul au milieu de cette foule. Je n’avais parlé à personne. Je n’avais fait qu’errer entre le sous-sol et le rez-de-chaussée, bousculé, poussé, agressé par les rires, les conversations, les flutes de Champagne qui se cognent. J’avais terminé la soirée dehors, à regarder par la vitre ce monde qui s’amuse sans moi. J’avais même fini par me dire que tout cela n’était pas pour moi, ne le serait jamais. J’étais rentré déçu, prêt à abandonner.

Cette fois, l’espace était vide, silencieux et studieux. Une jeune femme travaillait sur son ordinateur. Je distinguais mieux les livres de la bibliothèque. Derrière une porte vitrée, je voyais plusieurs personnes assises autour d’une longue table. Et plus loin, dans un bureau aux parois vitrées, une autre jeune femme triait des documents.

On m’a confirmé que l’atelier auquel je m’étais inscrit quelques mois plus tôt était bien derrière et non au sous-sol. J’ai poussé la porte vitrée et dit bonjour. J’ai reconnu Sophie. Je l’avais croisée la semaine dernière sans oser engager la conversation avec elle, tétanisé et muet. Elle m’a accueilli avec un grand sourire. Je m’étais renseigné sur elle, en plus des informations présentes sur le site de l’atelier. Je savais des choses alors que j’étais un parfait inconnu pour elle. Je l’espérais en tout cas. Je me suis installé tout en observant les autres personnes. Une maman avec sa fille d’un côté de la table et en face d’elles une femme accaparée par son téléphone. Elles ont relevé la tête pour me dire bonjour. Je me suis assis. J’ai sorti un cahier et un stylo. J’étais prêt. Un autre homme est arrivé, discret et timide. Il a salué tout le monde d’une voix très douce et s’est installé à son tour.

La maman s’est levée et a quitté la pièce. Cela m’a surpris. J’ai mieux regardé la fille, elle semblait si jeune. Sa place était-elle ici parmi nous ? Ne s’était-elle pas trompée d’atelier ?

Sophie a pris la parole pour se présenter et nous donner les grandes lignes de l’atelier. Nous avons pu découvrir son parcours. Alors que je croyais qu’elle allait nous demander à chacun de faire un tour de table pour nous présenter à notre tour, une jeune femme est arrivée, s’excusant d’être en retard. Sa voix était pleine d’assurance. Elle s’est assise. Je l’ai observée un peu plus longtemps que les autres. J’ai toujours été impressionné par les gens sûrs d’eux. Du coup, pas de tour de table, ou seulement pour connaître nos prénoms. La jeune fille s’appelait Pauline, l’autre homme Pierre-Benoit, la femme en retard Sarah (« avec un H », avait-elle précisé, « j’y tiens »), la femme au téléphone, Marie-Pierre. Nous étions donc cinq, six avec Sophie. Elle avait regardé son cahier pour vérifier les noms qu’on avait dû lui donner. Rien ne correspondait vraiment. Elle ne s’est pas formalisée. Il y avait plus important. Il fallait commencer. Elle semblait aussi excitée que nous étions tendus.

Sophie nous a donnés notre premier exercice. Nous présenter sous la forme d’un journal, précisant que rien ne nous obligeait à dire la vérité. J’en ai profité pour raconter mon arrivée à l’atelier et comment j’avais vécu la soirée d’inauguration. J’ai ajouté des détails par-ci, j’en ai caché d’autres par-là, mais dans l’ensemble j’avais joué le jeu de la sincérité. C’est au moment de lire devant tout le monde que les choses m’ont semblé soudain plus délicates. Je n’avais jamais vécu ça encore. Lire à voix haute, devant d’autres personnes, inconnues qui plus est, un texte que j’avais écrit. Je ne me suis pas précipité pour être le premier. Ce fut Sarah, sans surprise, qui inaugura son baptême du feu. Elle écrivait dans un grand bloc note à petits carreaux. Nous avons pu alors apprendre qu’elle avait toujours écrit, que sa famille entière était persuadée qu’elle avait un don et que son destin d’écrivain était tout tracé. Elle avait déjà écrit un journal par le passé, lu sans sa permission par son petit ami de l’époque, scène qu’elle avait vécue comme une trahison suprême. Elle venait d’avoir un enfant.

Pierre-Benoit est passé après moi. Il écrivait sur des feuilles volantes. Il soulignait des phrases, en rayait d’autres. Il n’était pas à l’aise en lisant et buttait sur certains mots. Il venait également d’avoir un bébé. Il a, semble-t-il, un rapport de lutte avec l’écriture. Rien ne lui vient facilement. Il se bat avec les mots, les accepte ou les refuse. Je n’ai pas réussi à savoir si c’était à cause de la difficulté même de la langue française ou plutôt de la violence que les mots possèdent parfois.

Marie-Pierre a lu à son tour. Elle a un petit carnet, format A5, avec des lignes. De ma place, j’ai pu voir une écriture penchée, illisible, raturée par endroit. Elle a lu très vite et avec une toute petite voix, comme pour s’en débarrasser et faire le moins de vagues possible. Parfois, elle s’arrêtait sur une phrase qu’elle ne parvenait pas à déchiffrer ou qu’elle refusait finalement de nous lire. On a appris qu’elle avait déjà écrit par le passé, un roman, des scénarios de films, des chroniques radios et qu’elle avait déjà tenu de nombreux journaux, des vrais qu’elle avait fini par brûler, des faux qu’elle laissait à disposition chez elle, des cryptés sur son ordinateur. Elle a un rapport mystérieux avec l’intime, avec ce qu’il y a au fond d’elle, comme si les mots qui sortent de son corps pouvaient être douloureux et lui faire encore du mal même couchés sur une feuille.

Pauline, du haut des ses 12 ans, a été, à sa demande, la dernière. Elle n’était pas à l’aise devant tous ces adultes, craignait vraiment de raconter des choses trop idiotes par rapport aux textes qu’elle venait d’entendre. Nous l’avons encouragée, bien conscients de la difficulté de l’exercice et nous demandant un peu tous ce que nous aurions faits à 12 ans dans cette situation. Moi, je le savais. Je serai resté pétrifié, replié sur moi-même et j’aurai fini par pleurer. Elle a lu et ri de ce qu’elle avait écrit. Une histoire de chat, de grands frères énervants et de collège, une vie d’adolescente, tellement loin de nous tous. Cette fraicheur nous a fait du bien pour terminer cette première session. Nous avions largement dépassé l’heure mais personne ne s’en était rendu compte.

Pour ma part, j’ai donc été le second à lire. J’ai essayé de mettre le ton, de garder un rythme moyen. Je relisais mon texte pour la première fois et je n’en revenais pas de ce que j’avais écrit, des précisions que j’avais bien voulu donner sur moi, de toute cette vérité nue et des faux semblants qui allaient avec. J’avais tremblé pendant toute ma lecture, secoué de toutes parts. Il s’agissait d’une épreuve violente, d’une découverte sur moi-même face à ces cinq personnes que je ne connaissais pas deux heures plus tôt. Mes tremblements s’étaient poursuivis pendant les passages des autres, en remettant mon manteau, en disant au-revoir devant l’immeuble.

Je ne savais pas, et je ne sais pas encore maintenant, alors que ma bière est terminée, si j’étais dans cet état pour ce que j’avais écrit ou pour ce que j’avais fait.

Je vais appeler Caroline. Elle doit s’inquiéter.

Journal de Caroline M.

Mercredi 1er février

20h30

Allez, moi aussi, je me lance. Pourquoi pas, après tout ? C’est la toute première fois. On va bien voir. Qu’est-ce que je risque ? Romain participe à son premier atelier d’écriture sur le journal intime. Il s’est inscrit pour dix sessions. C’est à Paris. Il y va directement depuis le boulot. Je me suis dit que ce serait le meilleur moment pour commencer un journal moi aussi. Il pourra me donner des précisions sur ce qu’il a appris, me résumer ces cours, me guider. À vrai dire, je ne sais pas trop ce qu’il va y faire là-bas. Il écrit déjà un journal. Depuis toujours. Enfin depuis que je le connais, et ça fait presque 20 ans maintenant, il a toujours tenu son journal. Alors, je ne vois pas ce qu’il va découvrir de nouveau. Tu mets la date, tu écris tes pensées, tu racontes ta journée, et puis voilà, non ? Je ne lis pas le sien. Je sais où il est, il ne le cache pas. Je n’ai qu’à entrer dans son bureau et l’ouvrir. Le fait même qu’il ne le cache pas, qu’il ne m’empêche pas de le lire, me retire toute curiosité. Ça doit être la chronique de notre vie quotidienne vue de sa fenêtre. Je vis la même, et de ma fenêtre à moi, il ne doit pas y avoir une grosse différence.

Il aurait déjà dû m’appeler. Son atelier s’achève à 20h normalement. Mais il m’avait dit de ne pas m’inquiéter, que comme c’était le premier, on ne pouvait pas savoir comment les choses se dérouleraient vraiment. Alors je ne m’inquiète pas.

21h

En fait, si, je m’inquiète un peu. Je me force à ne pas lui envoyer de SMS. Je ne veux pas être intrusive. Je sais à quel point cet atelier est important pour lui, à quel point ce temps de l’écriture, hors de la maison, des enfants, du travail, du sport, des amis, de moi, est essentiel. Je le respecte et le comprends.

21h30

Romain m’a appelé. Il était encore tout excité. Sa voix tremblait de joie, d’envie, de motivation. Il est déjà pressé d’être à la semaine prochaine. Il m’en dira davantage à son retour. Je suis contente pour lui. Mais j’ai peur aussi, je dois bien l’avouer. L’écriture a toujours été ma rivale. Jusqu’à présent, j’ai su la garder à distance mais cette fois, je ne suis pas sure d’y parvenir.

Extrait du journal de Sophie F.

Mercredi 1er février

Je ne pensais pas du tout qu’ils iraient tous aussi loin. Beaucoup de sincérité. Ils se sont livrés. Ce que je croyais être un atelier d’écriture comme les autres s’avère une mise à nu total pour certains, partielle pour d’autres, mais quand même. Je ne suis pas certaine que Pauline (12 ans !, pile dans ma cible habituelle) puisse s’adapter facilement à ces adultes. C’est peut-être à moi de trouver une solution pour ça.

Les noms qu’Élise m’avait donnés après les inscriptions étaient presque tous faux ou mal orthographiés, l’atelier vient d’ouvrir et tout est encore en rodage. Nous faisons les frais de la première session. Nous sommes des pionniers surtout. Je note les participants ici pour la postérité : Pauline, Marie-Pierre, Sarah, Pierre-Benoit et Damien.

Chacun a une voix très personnelle et leurs textes m’ont ému. Ils avaient tous quelque chose, une fêlure, une faille (qui n’en a pas ?). Pas de critiques, juste des remarques bienveillantes. Il me tarde d’être à la semaine prochaine.

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