Atelier n°2

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Extrait du journal de Romain M.

Mercredi 8 février

Deuxième session de nos ateliers. Le journal intime est un sujet difficile à intégrer. Pour Sophie et pour nous tous. Puisqu’il s’agit de notre intimité, nous ne devrions rien avoir à lire à d’autres personnes. Tous nos écrits devraient rester cachés, dans le secret. Et pourtant, c’est bien le sujet de l’atelier. Non pas comment écrire un journal intime, pourquoi en débuter un, que peut-on écrire ou non à l’intérieur ? Mais plutôt, qu’est-ce qu’un journal intime ? Comment s’en servir ? Comment l’utiliser comme un laboratoire d’écriture ? Nous nous livrons. Nous semblons le faire. Car, pour le moment, toujours pas de tour de table pour savoir qui nous sommes. Ni âge, ni vie de famille, ni travail, ni ville, ni pourquoi s’être inscrit à cet atelier plutôt qu’un autre, ni ce que nous attendons vraiment de ces sessions, ni notre rapport à l’écriture. Nous ne partageons que nos prénoms et les textes que nous nous lisons. Ce qui est peu et à la fois énorme.

Je suis moins secoué ce soir mais ce que je puise au fond de moi, sous la contrainte d’un sujet et d’un temps défini, me surprend. Il fallait décrire un aller-retour, avec un aller classique et un retour avec un événement. J’ai parlé de mon père. À nouveau. J’avais pensé cette obsession terminée. J’avais cru avoir achevé un cycle, avoir réglé avec lui tous mes problèmes. C’était sans compter sur la force des mots. Sophie nous a dit cette phrase qui m’a marqué : « les mots nous emmènent parfois plus loin que prévu ». Ce soir, ils m’ont emmené au Portugal, avec mes frères et mon père, lors du dernier voyage que nous avions fait ensemble, avant le divorce. Je croyais avoir fait le tour de la question mais je vois qu’il me reste des zones d’ombre. J’avance masqué avec les autres participants. Je me cache derrière mon texte. C’est plus simple et en même temps, je tremble d’être découvert.

Pauline n’était pas là ce soir. Deux nouvelles personnes sont apparues. Bastien, un vieil homme qui s’excusait d’être là, qui répétait souvent qu’il n’était pas à sa place, qui se dénigrait beaucoup. À force, on aurait presque dit du cabotinage. Et Karine, une femme discrète, à la voix douce. Comme ils n’étaient pas là à la session inaugurale, je les regardais différemment. Ils étaient des pièces rapportées pour moi, des électrons autour de notre noyau dur.

Je suis surpris de ma dernière phrase. Je la relis et j’ai l’impression que ce n’est pas moi qui l’ai écrite. Cet atelier débloque en moi des sensations que j’ai encore bien du mal à saisir.

Journal de Caroline M.

Mercredi 8 février

Je n’ai rien écrit de la semaine. Je profite de la session « atelier d’écriture » de Romain pour reprendre ce journal. Comme un moyen de me connecter à lui. Si je le sens m’échapper, c’est par là que je pourrais le rejoindre. Il m’a fait lire le texte écrit la semaine dernière. Comme d’habitude, je n’ai pas su quoi dire. Je ne sais jamais ce qu’il attend de moi. Je trouve ça bien écrit, avec de belles tournures. Je ne suis pas capable d’écrire ça. Comment pourrais-je lui faire une critique ? Je peux dire l’impression que me fait le sujet, ce qu’il dit dans le texte, je peux débattre avec lui de ce qu’il ressent, de pourquoi c’est ce texte et pas un autre qu’il a écrit, mais c’est tout. Je le connais par cœur. Je sais qu’il est dans tout ce qu’il écrit. C’est lui à chaque fois. Il essaie de dire quelque chose à quelqu’un, de faire passer un message. Parfois, c’est à lui qu’il parle, comme pour trouver une solution par les mots à un problème qu’il croyait insoluble.

Je ne crois pas que j’aurais envie de ça pour moi. Je ne tiens pas à me creuser, à gratter, pour voir ce qu’il y a derrière. Je suis plus pragmatique. Ça ne sert à rien de ressasser. Il faut aller de l’avant. Laisser de côté ses vieux démons. C’est trop épuisant de se battre.

Extrait du journal de Sophie F.

Mercredi 8 février

J’ai participé avec eux à l’exercice de ce soir. Pas évident. Toujours la pluie qui revient dans mes textes ces derniers temps. Étrange.

Deux nouvelles personnes. Bastien et Karine. Malaise avec Bastien. Je ne sais pas trop ce qu’il attend de l’atelier. Comme les autres à vrai dire mais lui le dit et semble s’en plaindre. Malaise aussi parce qu’il me fait penser à qui tu sais. Et à ce que tu sais.

Dès le deuxième texte, on retrouve chez chacun des habitudes d’écriture, des manies, des défauts aussi. Je ne les corrige pas pendant l’atelier. Je donne mes impressions, appuie sur ce qui était bien, ce qu’il faudrait approfondir. Je leur ai proposés de m’envoyer leur texte afin de les corriger, pour ceux qui le souhaitaient. Ça va me donner du travail supplémentaire. Mais je suis motivée et puis j’ai terminé « mon dernier bébé » alors m’occuper l’esprit me fera le plus grand bien.

Pauline n’était pas là aujourd’hui. D’une certaine manière, c’était plus simple.

Je les devine petit à petit. C’est comme une enquête avec l’idée que ce qu’ils veulent bien me laisser comme indices pourraient bien être des faux. Ils ont l’air d’être sincères mais comment en être sure ?

Marie-Pierre pourrait être celle qui jouerait le plus sur la duplicité, avec l’histoire de ses vrais-faux journaux. Mais ça ne veut rien dire.

En tout cas, nous nous sommes accordés pour maintenir ce mystère autour d’eux. Sarah qui semblait trouver l’idée intéressante a même précisé que nous pourrions très bien être n’importe qui depuis le début ou même être des acteurs embauchés pour jouer un atelier d’écriture et tromper un des participants. Même moi. Je les ai tous regardés attentivement. Impossible à deviner.

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