Atelier n°3

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Extrait du journal de Romain M.

Mercredi 15 février

Raconter votre rapport à l’écriture ? J’étais perdu devant ma feuille, le stylo à la main. Je ne connaissais pas plus incompréhensible que ce rapport-là. Et parler de l’écriture, c’était encore une fois parler de moi. Je ne voulais plus vraiment parler de moi. À vrai dire, je ne tenais même plus trop à être ce « moi ». J’aspirais à autre chose.

Je me suis lancé en imaginant mon fils, vieil homme, qui retrouve sa mère pour l’aider à vider mon bureau, à choisir surtout ce qu’ils pourraient bien faire de tous mes textes écrits de manière obsessionnelle depuis tant d’années. Pour qui ? Dans quel but ? Ils semblaient avoir sur les bras une collection de timbres, de cartes téléphoniques ou de magazines de voyage, et se demandaient s’il fallait tout garder ou les jeter, tout en se disant qu’en les jetant ils rendaient alors absurde toute cette collection qui avait tant animé le père et l’époux.

Comme les autres fois, à la relecture à voix haute, je me suis surpris d’avoir écrit ces mots. C’était peut-être à ça que j’aspirais, que ce qui me brûle de l’intérieur ne m’enflamme pas pour rien.

Pas de Pauline ce soir. Ni de Karine. Bastien était à nouveau là. Il gigotait sur sa chaise. Il était mal à l’aise. Il a très peu écrit, semblait même avoir honte d’être au milieu de nous. L’écriture peut faire peur, peut paralyser, peut nous rendre petit quand nous rêvons de grandeur, quand les mots qui sortent de nous ne sont tellement pas à la hauteur de ce qu’on ressent vraiment.

Marie-Pierre me fascine. Je devine en elle une douleur. J’ai envie de lui prendre la main et de lui dire que tout ira bien. Mais qui suis-je pour faire ça ?

Sarah est très érudite, elle échange beaucoup de références littéraires avec Sophie. Je la trouve aussi sensuelle, sa voix, son regard. Je n’arrive pas à savoir si elle en joue ou si c’est naturel.

Pierre-Benoit dessine sur sa feuille, des visages, des murs, des fleurs, parfois des formes géométriques, celles qu’on peut faire quand on s’ennuie en réunion. Il se laisse porter et son stylo dessine. Il s’arrête pour faire une remarque ou lire à son tour mais je vois bien qu’il aimerait noircir toute la page.

Quant à Sophie, j’ai l’impression que nous l’avons embarquée avec nous, qu’elle est désormais bien loin de là où elle comptait nous emmener au départ et que finalement, ce n’est pas si grave. Elle nous observe, imprime en elle nos émotions, note ses remarques sur son petit cahier. Elle se délecte de ce mystère autour de nous. Ça créé un vide que nous remplissons plus ou moins à chaque atelier.

C’est l’impression que j’ai tous les jours quand je remplis ligne à ligne cahiers, pages blanches et autres carnets, je comble un vide. Mais lequel ?

J’ai appelé Caroline pour lui dire que je serai un peu en retard. Je me suis arrêté dans la même brasserie, pour prendre la même bière. Je ne pouvais pas rentrer tout de suite. Tout ça allume trop d’incendies en moi. Je dois me réguler avant de revenir vers eux. Je peux encore le faire. Mais c’est de plus en plus difficile.

Journal de Caroline M.

Mercredi 15 février

Toujours pas un mot de la semaine. Il est resté dans le tiroir de ma table de chevet. Je crois que je ne tiens pas à ce que Romain tombe dessus. Je me dévoile un peu. L’écriture me dénude et je me sens pudique soudain devant mes mots. Mais s’il tombe dessus, ce n’est pas très grave non plus. Je ne balance aucun scoop, aucun secret. Hein mon amour, rien d’alarmant ici !

Je commence à le comprendre quand même, ça peut devenir addictif de se raconter, de prendre ce temps pour s’écrire. Je m’étonne moi-même.

J’ai lu son texte de la semaine dernière. Je le lis dès son retour de l’atelier mais je n’en parle ici que la semaine suivante. Mes réactions sont peut-être moins chaudes mais le temps de la réflexion est nécessaire parfois. Son père. Voilà ! Encore son père. Je croyais que c’était derrière lui, derrière nous, qu’il avait terminé son cycle comme il me l’avait dit. J’espère qu’il ne va pas retomber dans ses travers, à parler de lui tout le temps, à chercher pourquoi, comment. Son père ne le mérite pas, c’est ce que je pense en tout cas. Il a déjà répondu plusieurs fois à mes remarques en me disant qu’il n’avait qu’un seul père, qu’il devait l’accepter tel qu’il était et qu’il ne pouvait pas donner comme exemple à notre fils la possibilité d’être fâché avec son père et de ne plus lui parler. J’entendais ses arguments. Je ne me posais pas autant de questions avec mon propre père, je serai déjà dans le fauteuil d’un psy sinon. Je me suis construis avec sa présence silencieuse, son retrait, la pauvreté de ses gestes tendres, et je vais bien. Enfin pas plus mal qu’une autre. En tout cas, je vais arrêter d’écrire ce soir, je sens la puissance des mots qui peut me transporter dans des lieux inconnus de moi-même, et je ne suis pas prête à ça.

J’ai reçu un message de Romain. Les ateliers débordent toujours. Ça ne m’étonne pas avec lui. Il est débordant, il est sur les bords de la vie et de son être. Tiens, je fais des jeux de mots, maintenant ! J’ai le vertige parfois quand je comprends que nous devons être très forts pour le retenir.

Extrait du journal de Sophie F.

Mercredi 15 février

Je n’avais pas envie de les quitter ce soir. Il se créé un lien entre nous. Ça tient à ce qu’ils révèlent en ce lieu. Je suis la dépositaire de secrets, d’une intimité peut-être dévoilée pour la première fois. C’est lourd et excitant. Responsabilité trop importante ? Attention au transfert. Je ne veux pas être la confidente. On travaille. On travaille bien même. J’essaie de garder un fil conducteur mais nous sommes déjà allés trop loin. Pas de demi-tour. Droit devant maintenant et on verra bien.

Toujours une légère gêne avec Bastien. Ce visage, ces expressions, on dirait tellement qui tu sais, que je frissonne à chaque fois qu’il me regarde ou prend la parole. Délire. Traumatisme qui remonte. À creuser. Ou pas. J’ai eu peur ce soir quand il a lu son texte que ce soit le récit de ce que tu sais dévoilé ici devant tout le monde. J’en serai morte !

3ème atelier et les pièces du puzzle s’ajoutent et forment à grands traits une image encore floue de chacun des participants. Certains m’ont écrit des mails depuis la semaine dernière, laissant aussi de petits indices supplémentaires. C’est une enquête. J’adore ! Sauf si ce que j’apprends sur eux n’est finalement pas beau à voir. A-t-on besoin de connaître les gens entièrement ? Surtout pour les lire. Il y a plein d’auteurs, quasiment tous, dont je ne connais rien et je ne m’en porte pas plus mal. Ce qui compte, c’est le texte, les mots, rien que les mots.

Alors, on reste sur le mystère, les masques derrière lesquels ils se cachent tous. Ou peut-être pas.

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