Atelier n°5
Extrait du journal de Romain M.
Mercredi 1er mars
Peu de temps pour écrire pendant l’atelier ce soir. Nous avons surtout parlé. Je crois que mes camarades avaient besoin d’arrêter la violence des aveux, des confessions, juste parler écriture, style, littérature. Ce n’était pas inintéressant mais à l’intérieur, je trépignais. Je faisais tourner mon stylo entre mes doigts. Au début pour passer le temps, mais l’attente est vite devenue insupportable. Je voulais écrire. J’avais tellement de choses dans ma tête, comme un film qui se met en place tout seul. Une histoire se faisait en arrière-plan. Mais il ne fallait pas la laisser filer. Il fallait l’écrire, noter tout, dans tous les sens. Et ce soir, on parlait.
J’ai quitté l’atelier précipitamment et j’ai rejoint ma petite brasserie. La serveuse m’a apporté ma bière. J’ai sorti mon carnet.
Extrait du journal de Caroline M.
Mercredi 1er mars
J’ai écrit toute la semaine. J’y prends goût. Je me rends bien compte que c’est pour pallier le manque de Romain mais je crois que c’est plus que ça. J’ai dépassé cet état déjà. J’écris ici pour dire ce que je ressens, ce que je vis, mes impressions, mes émotions. Pour rien ni personne. Juste comme ça, pour prendre un temps uniquement personnel et fixer sur le papier des choses importantes ou futiles.
Je suis contente qu’il soit hors de la maison pendant ce que j’appelle ses noirceurs. Je ne m’inquiète pas de la présence d’une autre femme. Je sais qu’il est autocentré, en circuit fermé, et qu’il n’y a que lui qui se sortira de là.
J’ai repris la lecture. Peut-être dix ans que je n’avais pas ouvert un livre. J’en ai choisi un que Romain m’avait conseillé à l’époque : Les apparences de Gillian Flynn. Le début est déjà très prenant.
L’écriture me fait du bien. J’ai l’impression de revivre.
Extrait du journal de Sophie F.
Mercredi 1er mars
Séance de discussion autour de l’écriture, la littérature. Je leur ai donnés des trucs et astuces. Pas comme dans un cours magistral. Plutôt dans le genre, ça a marché pour moi, ça peut marcher pour vous. Ils ont tous leur univers. Et une bonne culture générale. Pierre-Benoit m’intrigue. Il est réservé, sensible et en même temps, il dégage une telle puissance, de celle qui vous protège.
Damien était peut-être le moins réceptif. Je ne sais pas trop quoi penser de lui. Dans ses textes, il a donné des infos contradictoires. Il ne m’a envoyé qu’un seul mail, très formel. Comme Bastien la dernière fois, il s’agitait sur sa chaise, il regardait sa montre, il voulait être ailleurs sauf là.
Marie-Pierre semble être à un tournant de sa vie, une étape primordiale. J’espère qu’elle n’a pas mis tous ses espoirs dans l’atelier. Je n’ai fait aucune promesse.
Un nouveau projet s’installe en moi. Il a posé ses bagages et prend ses aises. Je le laisse squatter mais dès que je vais avoir cinq minutes, je vais lui expliquer les règles et on va apprendre à cohabiter ensemble. Ce n’est pas très clair mais je suis tellement ravie. Comme si je venais d’apprendre que j’étais enceinte.
Extrait du journal de Damien M.
Mercredi 1er mars
Je commence ce journal parce que je ne peux pas tout écrire dans l’autre. Je ne peux pas me livrer. Je ne peux pas être moi-même.
J’ai pris une journée de congés aujourd’hui. J’ai fait comme d’habitude sauf qu’en descendant du métro, j’ai suivi un autre chemin, j’ai trouvé un café et je me suis installé dedans. J’avais tout préparé : carnet, crayon de papier, gomme. J’ai fermé les yeux, je me suis persuadé que c’était possible, que c’était ce que j’avais toujours été et j’ai écrit toute la journée.
D’abord le plan détaillé. Puis les personnages. Une fiche pour chacun. Les interactions possibles. Ça tenait debout, ça voulait dire quelque chose. Ma main me faisait mal mais j’ai continué. J’ai fini par manger un croque-monsieur sur place. Mon carnet se remplissait. Je n’avais encore jamais eu cette sensation d’écriture fluide, continue, pendant autant d’heures affilées. C’était épuisant et génial. À la fin, j’étais totalement vidé. Cependant, je crois bien que mon premier roman est en train de voir le jour.
Je n’ai rien pu dire à Caroline. C’est la première fois que je mens sur ce que je fais, où je suis. Je ne veux pas l’inquiéter. Je ne veux pas lui annoncer ce que moi-même j’ai du mal à assumer. Je lui ai envoyée des messages, j’ai répondu au téléphone quand elle m’a appelé, comme si j’étais au bureau. C’était étrange et en même temps si facile. Je raconte juste une histoire. J’invente. C’est ce que je suis, un inventeur d’histoires.
J’ai terminé la journée en allant à l’atelier. Pas d’exercice d’écriture ce soir. Tant mieux, j’avais tellement mal à la main.
Un jour entier consacré à ce qui m’anime, à ce qui fait qui je suis. Je n’ai qu’une hâte, recommencer.
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