Atelier n°7

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Extrait du journal de Romain M.

Mercredi 15 mars

Aujourd’hui, il fallait raconter une grande émotion. Je n’ai que ça. Sans cesse en prise avec mon hypersensibilité. Le monde n’est pas simple pour moi. Les rapports humains sont délicats. Certains jours, vivre même m’est difficile.

Je les observe mes compagnons d’écriture. À chaque fois, je prends du temps pour les regarder, leur imaginer une vie, une histoire, un passé, un présent. Je me creuse la tête pour les connaître, découvrir qui ils sont vraiment, ce qu’ils attendent, ce qu’ils espèrent.

La fin de cette aventure approche. Bientôt, nous ne serons plus là, dans cet espace clos, serrés les uns contre les autres, dans le même bain de mots. Bientôt nous redeviendrons nous mêmes, aussi seuls qu’avant mais avec ce manque de nous au fond de nos cœurs. Bientôt, nous serons à nouveau devant notre feuille blanche, à combattre le temps qui passe pour laisser un signe, un trait, une lettre et ne pas disparaître bêtement comme les autres. Je n’ai pas envie que ça s’arrête.

Extrait du journal de Caroline M.

Mercredi 15 mars

Je suis très inquiète pour Romain. Je ne le vois presque plus. Il va mal. Nous ne faisons que nous croiser. Il me dit qu’il a beaucoup de travail. Il monte dans le bureau. Il ne me parle pas. Il dort. Il est de mauvaise humeur. Chaque mercredi, c’est pire. Il me fait lire ses textes. Il n’attend même plus mon avis. Il me le laisse sur la table. Ça tourne en rond mais ça reste bien écrit. Je sens que mon regard sur ses mots a changé. Je suis quand même étonnée par ce que je lis. Il va tellement loin.

De mon côté, je n’en reviens pas de me raconter autant. C’est la première fois que je prends du temps pour moi, que je m’arrête, que je mets en pause ma vie pour réfléchir. Je sens que c’est bon pour moi, que ça tombe au bon moment. Je suis une femme de 36 ans avec un boulot, un mari et des enfants, une maison, un monospace, une existence bien rangée finalement. Mais avec une vie intérieure qui ne demandait qu’à être visitée. Je ne creuse pas encore dans mes profondeurs. Je reste en surface, dans une zone de confort, mais c’est déjà un peu de vernis que j’égratigne.

Extrait du journal de Sophie F.

Mercredi 15 mars

Un retour de mon éditrice juste avant de venir à l’atelier. Pas de refus. Un accord de principe. Quelques retouches. Une ou deux nouvelles à revoir. Mais ça va le faire ! Trop heureuse. J’ai littéralement volé pour retrouver mes élèves. Soulagée ! Seul bémol, devoir mettre de côté ce que je n’appelle encore que mon « nouveau projet ». J’avais trouvé un rythme et un ton. Je m’y plaisais bien là-bas. Nous y étions bien lui et moi. C’est pour mieux y revenir. Mon dernier bébé va prendre son envol.

Je repense à cette réunion avec tous les écrivains des ateliers la semaine dernière. À ma difficulté pour me sentir légitime au milieu d’eux. J’étais toute petite, fascinée par certains, leur bibliographie, leur manière de parler. Je craignais qu’on me voie vraiment, qu’on devine mon état. Je me sentais fausse, pas à ma place. Dès que je prenais la parole, les regards se tournaient vers moi et me jugeaient. Je n’ai pas très bien vécu cette rencontre. Manque de confiance en moi. Mais refaisons-la maintenant et je serai sur un nuage, dans les hautes sphères de la littérature, comme eux.

Pendant qu’ils travaillaient au sujet de ce soir, j’ai discuté avec Élise. Nous avons fait le point sur les participants. Tous les noms ne correspondent pas. Comme si certains s’étaient inscrits et avaient abandonné avant. Il y a un Romain que nous n’avons encore jamais vu et qui a pourtant tout payé. Et Damien qui semble sortir de nulle part. Étrange.

Elle m’a parlé des prochains ateliers, des personnes déjà inscrites. Je me projette déjà dans la prochaine saison. Je n’ai pas souhaité refaire cet atelier journal intime. Trop violent. Je dois le digérer d’abord. Élise m’a aussi dit au détour d’une phrase qu’avoir cinq personnes à l’atelier était un luxe, que sous cette forme, ce n’était pas « rentable » pour eux. Le mot m’a frappé. J’avais presque oublié que nous étions au sein d’une entreprise et qu’il fallait que financièrement chacun s’y retrouve, les fondateurs, les employés, les auteurs. Il y a de l’argent là-dessous, un chiffre d’affaire. Ce n’est pas une association, un club de lecture, une rencontre de passionnés d’écriture. Moi, je le trouve rentable notre atelier. Quand je vois les efforts qu’ils produisent, les progrès, les résultats, toute cette puissance entre nous, ça n’a pas de prix !

Extrait du journal de Damien M.

Mercredi 15 mars

J’y crois. Chaque jour, j’y crois un peu plus. Je remplis des pages. Je me sens comme transporté. J’ai repris une journée de congés aujourd’hui. Je ne peux pas faire autrement. Je n’arrive plus à faire mon travail correctement. Je suis là, j’écoute ce qu’on me dit, je sais ce que j’ai à faire, mais dans ma tête, je suis dans mon roman, avec mes personnages, et j’imagine déjà la suite, et je me languis de les retrouver. J’ai des mots qui se télescopent, des phrases qui s’imbriquent et c’est plus fort que moi, il faut que je les écrive quelque part. Je suis en réunion et au lieu de noter ce que j’entends, je prends des notes pour le roman. Je fais semblant de prendre mon temps pour bien tourner un mail particulier mais en réalité, je suis en train d’avancer sur un passage important de mon texte.

À la maison, c’est pareil. Je suis avec eux, mon corps est avec eux mais ma tête est ailleurs, tellement loin. Je n’attends qu’une chose, monter dans mon bureau et continuer. Ce journal et le roman sont bien rangés, bien cachés pour une fois. Je ne peux pas prendre le risque d’être découvert. C’est trop tôt. Je ne sais même pas encore ce que tout cela va donner. Cependant, cette situation devient invivable. Je devine que tout n’est pas compatible. Je vais devoir faire des choix. Prendre une décision terrible peut-être. J’essaie de ne pas trop y penser. C’est plus fort que moi. Je ne pourrais pas lutter plus longtemps. J’ai tellement de matière en moi, tellement de boue à malaxer pour en faire une espèce d’œuvre. Je suis rempli de lumière, je déborde d’une vie que je dois jeter sur le papier. Je ne sais plus quoi en faire. Elle est entre mes mains, elle sort de partout, elle me gêne et m’embarrasse. Je la dépose un peu chaque jour mais pas assez vite. L’écriture en veut toujours plus. Et pour l’instant, je ne peux lui donner qu’un petit peu. C’est cela qui doit changer si je veux survivre. Et tant pis pour les autres, tant pis pour la vie des autres. Ceux qui m’aiment, je veux dire, ceux qui m’aiment vraiment, comprendront. J’espère…

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