Il faisait nuit noire lorsque Quentin entra dans son petit appartement du dix-huitième. C'était un minuscule deux pièces avec une salle de bains sur le palier, commune aux cinq autres logements de l'immeuble. La moisissure s'étendait à vue d'œil sur des murs épais comme du papier. Si quelqu'un se masturbait, tout le monde était au courant. Si quelqu'un pétait, le bâtiment tout entier tremblait.
Quentin ne vivait pas dans ce taudis par choix. Personne, d'ailleurs, n'en avait envie. Mais il y avait plusieurs mois de cela, le trentenaire avait tout perdu. Sa fiancée était partie du jour en lendemain, sans laisser de traces. Anéanti, il avait été renvoyé par son patron. Sans travail, payer ses factures était devenu mission impossible. Les impôts avaient fait saisir sa voiture suite à trois impayés. Et pour couronner le tout, ses deux parents étaient décédés dans un accident sur le périphérique le mois suivant.
Rien n'aurait pu détruire plus le moral du jeune homme. Sa vie actuelle consistait à manger des céréales devant Netflix de neuf heures à midi, puis de jouer aux jeux vidéo jusqu'à minuit. Dernièrement, il ne sortait même plus de chez lui pour faire les courses. Sa voisine, concernée par l'odeur que dégageait son logement, lui apportait un sac de vivres par semaine.
C'était un soir comme les autres. La lumière filtrait à travers les persiennes moyen-âgeuses du taudis, donnant à l'appartement un air de studio squatté de la banlieue de New York City. Quentin regardait pour la énième fois un film dont le titre lui échappait encore et toujours. Sa sonnette retentit comme un gong, secouant les fondations même de l'immeuble. Son voisin du dessus ne tarda pas à taper du pied. Quentin avait peur qu'un jour, il passe à travers le plafond à force de marteler le sol de ses sabots.
Le trentenaire n'avait pas souvenir d'avoir un jour entendu sonner chez lui. Ni chez les autres d'ailleurs - exception faite de la concierge, qui avait des clients le soir venu. Il se rendit rapidement à l'interphone, à la fois anxieux de savoir qui venait le voir, et inquiet que son visiteur ne sonne une seconde fois. L'interphone manqua de se décrocher du mur quand il prit le combinet.
— Oui ?
— J'ai un colis pour vous.
— J'ai rien commandé.
— Vous êtes bien monsieur Cordonnier ?
Après un silence, Quentin annonça qu'il descendait. Il s'aspergea de déo et enfila un vieux t-shirt sale de la semaine passée. Non sans oublier ses clés - sa porte ne s'ouvrait pas de l'extérieur - il se rendit à l'entrée où un garçon l'attendait. Il portait un casque de scooter à moitié défoncé et était habillé comme pour un défilé de mode trash/visionnaire. Le livreur lui tendit un paquet de la taille d'un gros livre avant de le saluer.
— Pas de signature ? demanda Quentin.
— Non, je fais de la livraison privée. De particulier à particulier. Aller, salut.
Le jeune grimpa sur son bolide débridé et fila comme une flèche sur le trottoir en klaxonnant les piétons qui ne bougeaient pas. Intrigué, Quentin retourna dans son appartement et déposa le paquet sur le lit. Il déplia sa table de camping, qui ne lui servait plus depuis longtemps, et installa sa lampe de chevet dessus. La seule ampoule de sa chambre/salon avait grillé trois semaines plus tôt et il ne l'avait pas mentionné à sa voisine. Les persiennes étaient coincées depuis qu'il avait emménagé.
Le colis ne mentionnait aucun nom, à part le sien. Le bon de livraison était en réalité une simple enveloppe découpée et colée sur le carton, et le destinataire était imprimé, non manuscrit. Quentin chercha un couteau et s'attela à ôter le scotch. Retord, il finit plutôt par l'arracher. Une odeur nauséabonde s'extirpa soudainement du colis et déclencha un haut-le-coeur au jeune homme.
— Mais putain...
En prenant une longue inspiration, il retira le papier cartonné qui dissimulait le contenu. Le malaise se transforma alors en maladie. Quentin découvrit un doigt, nécrosé et rongé par des vers, enroulé dans une feuille de journal. Il régurgita aussitôt son déjeuner et s'éloigna de sa macabre découverte.
Pris de panique, il se rapprocha de la fenêtre et, dans un élan paranoïaque, se mit à chercher quelqu'un qui l'observait. Quelqu'un qui serait à l'origine d'un tel paquet et qui, dans une forme lugubre de perversité, contemplerait son méfait. Ne dénichant aucun espion, Quentin se retourna vers le colis. Son coeur se mit à battre plus fort à mesure qu'il se rapprochait. Tout lui sembla alors plus sombre.
Le trentenaire jeta un nouveau coup d'œil à l'intérieur du carton. Le membre sectionné était toujours là, et ses habitants aussi, bien vivants et vigoureux. Quentin remarqua un papier, plié en quatre, qu'il n'avait pas vu au premier coup d'œil. Il le saisit du bout des doigts, en veillant à rester le plus loin possible.
Il s'agissait en réalité d'une photo. Alors que l'atmosphère était devenue lourde et chargée, Quentin éprouva un frisson glacial en dépliant le cliché. C'était une image de son unique fenêtre, prise de nuit depuis l'immeuble d'en face. Quentin se distinguait à travers les persiennes et au contre-jour de son écran d'ordinateur. Au dos de la photo, écrit à la plume avec du sang :
Pas de police, ou elle meurt
Ne comprenant pas, Quentin lâcha le cliché. Il se dirigea instantannément vers son téléphone et s'apprêta à composer le 17. Il s'arrêta d'un seul coup, comme si une terrible vérité venait de le frapper. Il tourna lentement la tête vers le colis, toujours au centre de la table, et seulement éclairé d'une lampe de chevet vieillotte. Quentin s'approcha et jeta un nouveau coup d'œil à l'intérieur, plus effrayé que jamais.
Autour du doigt se trouvait une bague. Un anneau que Quentin connaissait bien : c'était la bague de fiançailles de la femme qui l'avait quitté.