Morgane, à terre :

– Il préfère cette garce.

Ça mon vieux, tu vas me le payer. La vengeance est un plat qui se mange froid, marmonne-t-elle.

Pablo, agent de sécurité, lui tend la main :

– Madame, ça va... ? Vous pouvez vous relever ? Agrippez mon bras.

La femme ne bouge pas, il la prend en dessous les épaules et la soulève. Elle regarde méchamment le chanteur et la fille du groupe.

Il préfère éloigner la femme de la scène. Le public à proximité semble soulagé de la voir disparaître.

Pablo a bien fermé le loquet de la porte d’entrée avant de se précipiter vers la femme, personne n’en profitera pour entrer. Il l'emmène vers la petite cour à l’arrière de la salle, elle le suit docilement mais reste tendue et jette des regards menaçants vers la scène.

– Madame, venez, vous avez besoin de prendre l’air.

Morgane, groggy, se laisse conduire par Pablo :

– C’est moi la méchante, on dirait ? C'est pourtant cette garce qui m’a piqué mon mec.

Pablo n'a pas d'avis sur la question mais ne veut pas contrarier la dame. Il improvise :

– Ouais, les filles dans les groupes de rock, ça fout toujours la merde.

Puis, histoire de développer et d’occuper l’esprit de la femme afin qu’elle sorte de la salle sans faire de vague :

– Prenez par exemple ce qui s’est passé avec Téléphone. Le groupe tournait bien, le succès, des tubes à la radio, des millions d’albums vendus. La bassiste s’est tapé les deux guitaristes. Pourtant, Jean-Louis Aubert l’avait bien dit au début, pas de gonzesse dans un groupe. Une fille dans un groupe, ça fout le bordel.

Morgane n’en a rien à faire de Téléphone, mais elle ne veut pas contredire le gars. En plus, elle est d’accord avec lui :

– Ouais, c’est toutes des salopes.

Ils arrivent dans la cour.

Morgane sent une vilaine odeur lui piquer le nez. Sur le rebord d’une fenêtre, deux cigarettes à peine consumées, abandonnées par leurs propriétaires probablement au téléphone.

Morgane, qui ne supporte plus les fumeurs depuis qu’elle a arrêté, envoie valser les mégots.

Puis, soulagée, elle observe le vigile. Sa tête lui rappelle quelqu’un, elle tente de sympathiser :

– On ne s’est pas déjà vu quelque part ?

Pablo réfléchit et, oui, il se souvient :

– Le Royal Casino ! On avait dansé...

– ... le mambo ! Au Royal Casino, sous les lambris rococo.

A se remémorer cette danse, Morgane est tout de suite plus détendue. Elle entrevoie même une possibilité de se mettre le vigile dans la poche, elle entame quelques pas de danseuse.

Pablo poursuit :

– Joli jeu de jambes, mademoiselle ! Je me rappelle, on était tous fous dans la boîte quand vous nous avez fait votre démo. J’ai adoré danser avec toi, enfin je veux dire avec vous.

– Pas de problème, on se connaît déjà en fait, on peut se tutoyer. Moi aussi, j'ai adoré la danse avec toi.

Pablo se dit que son collègue de la sécurité doit être sorti des toilettes et qu’il dispose de quelques minutes lui aussi. Il exécute les pas de base du danseur.

– Dans ma loge, j’ai toujours A little bit of mambo de Lou Bega.

– Super cet album, mon prof de danse nous le met sans arrêt pendant les cours.

– J'ai aussi une compil des meilleurs titres de Pérez Pra...

– Pérez Prado, c'est le roi. C'est vraiment lui qui a lancé...

– ... la mambomania. Pour moi, c'est la référence.

Morgane regarde Pablo qui continue de danser, le gars est intéressant et elle apprécie son style. Elle hésite, il l’a à la bonne mais ne la laisserait pas retourner dans la salle du concert pour autant. Et puis zut :

– Tu as le temps pour une danse ?

– C’est justement l’heure de ma pause. »

Ils entrent dans la loge.

L’endroit ne paye pas de mine mais Pablo a une super sono et il y a suffisament de place.

Pablo presse le bouton du lecteur CD, Lou Bega annonce :

– Ladies and gentlemen. This is Mambo number five.

Pablo et Morgane commencent à danser. Lou Bega poursuit :

– One, two, three, four, five. Everybody in the car, so come on let’s ride...

Morgane se dit qu’ après cette soirée pourrie, cette danse lui fera un bien fou. Son mec se tape sa guitariste, elle peut bien s’accorder un moment de détente avec ce charmant danseur, comment il s’appelle déjà, bah peu importe.

Cependant, quelque chose ne va pas.

– Ça sent le brûlé, non... ?