– C’est moi qui ai mis le feu. Il y avait deux clopes sur un bord de fenêtre quand nous sommes arrivés dans dans la cour tout à l’heure. J’ai pas aimé l’odeur. J’ai balancé les clopes, comme ça, machinalement, sans faire attention à l’endroit où elles pouvaient atterrir. Il y avait des feuilles mortes et tous ces déchets.

Elle devient hystérique :

– Je ne l’ai pas fait exprès ! J’y pense depuis que j’ai vu le feu dans la cour.

Je réponds, abattu :

– Il n’y a rien à faire dans l’immédiat, juste attendre l’arrivée des secours.

Cette révélation ne m’enchante pas. Avec les pompiers, vont aussi venir le SAMU et la police pour consigner l’événement et déterminer la nature de l’incendie. C’est accidentel mais je devrai expliquer certaines choses.

Par exemple, pourquoi je n’étais pas à l’entrée comme prévu au moment de l’incendie et pourquoi la porte était fermée. J’ai de bonnes raisons: mon collègue aux toilettes, j’ai dû le remplacer précipitamment suite à du grabuge au niveau de la scène. C’est un mauvais concours de circonstances, comme pour les déchets brûlant dans la cour alors qu’ils devaient partir pour la décharge dans l’après-midi.

Ce qui sera moins aisé à expliquer, c’est ma pause au moment de l’incendie. Et que, pendant celle-ci, j’étais, par hasard, avec la personne qui a mis le feu accidentellement dans la cour.

Ce dernier point fait tache. Non seulement, je n’étais pas au bon endroit au bon moment, mais pire, j’étais au mauvais endroit, au mauvais moment et avec la mauvaise personne. Cela pourrait sembler louche pour la police.

Je n’ai rien à me reprocher pourtant, j’ai fait mon boulot dans les règles, enfin... presque.

C’est ce presque qui me fout dedans.

Pourquoi ai-je accepté la proposition de la danseuse ?

Elle me draguait, je n’étais pas tellement contre. Elle voulait juste se venger de son gars qui la trompe.

Pour le coup, elle s’est bien vengée. Son homme doit passer un sale quart d’heure. La guitariste aussi. Ainsi que tous les musiciens. Et le public proche de la scène .

Je suis un peu complice malgré moi de tout cela. J’espère qu’il n’y aura pas de blessés... ou pire. J’ai appris pendant la formation que lors d’un incendie, le plus dangereux n’est pas forcement le feu en lui-même. Beaucoup de sequelles sont dues au monoxyde de carbone, aux vapeurs toxiques et au manque d'oxygène.

La femme est prostrée, assise par terre. Elle regrette son geste malheureux.

Elle n’a plus la tête à danser maintenant. Pourquoi voulait-elle danser d’ailleurs ?

Maintenant que j’y repense, c’est assez déroutant.

Dans la salle d’abord , elle veut agresser la guitariste du groupe mais son gars l’empêche de monter sur scène. J’interviens quand elle tombe à terre, je vois bien qu’à ce moment, il ne faut pas qu’elle reste sur place alors je la relève et l’emmène à l’extérieur sans lui laisser le choix. Elle a la haine, mais elle me suit plutôt docilement, le choc sans doute.

A l’extérieur, son comportement change du tout au tout, elle se montre aimable, cherche à m’avoir à la bonne, me propose même de danser. Depuis, elle ne me quitte plus, elle est partout avec moi.

Ma présence la rassure ou alors...

... elle me manipule.

Réfléchis.

Plutôt que de chercher à retourner dans la salle pour en découdre avec la guitariste et son gars, elle reste avec moi et s’arrange pour m’éloigner à la fois de la cour et de la salle de concert.

Réfléchis encore.

Son rire nerveux avant de m’avouer que c’est elle qui a mis le feu, je pensais alors qu’elle avait pété un cable. Incendie accidentel ou volontaire ?

Puis sa confidence...

Je suis son alibi.

Ce n’est pas un accident, elle a mis le feu consciemment pour se venger de son gars.

Je débloque. C’est la tension nerveuse qui m’empêche de raisonner sereinement. Elle n’a pas pu planifier tout cela.

Planifier non.

Elle a improvisé au fur et à mesure.

Ses regards haineux quand je l’évacuais de la salle. Elle était à l’affût du moindre détail.

Dans la cour, ce devait être pareil.

Son changement subit d’attitude ?

Je pensais qu’elle me draguait mais en fait, dès qu'elle m’a reconnu, elle a cherché un moyen de m’utiliser à son profit.

Et la cigarette mal éteinte ?

L’idée de mettre le feu a dû lui venir spontanément.

Pourquoi me l’avouer par la suite alors ?

Réfléchis, les caméras de sécurité l’ont probablement filmée, elle le savait. En me l’avouant, elle se couvre.

Elle me manipule depuis le début !

Je me suis bien fait avoir.

Cette femme est dangereuse.

Je ne bouge pas, j’attends les pompiers.

Et la police.