Salle de concert, au sol, là où l’air est le plus sain.

Ce soir, avec le groupe, je voulais «mettre le feu» dans la salle. Au sens figuré, pas au sens propre.

J’imaginais la fête autrement : de la musique, le concert génial, du rock’n’roll, de bonnes vibrations, le public ravi, un bon moment avec les potes du groupe. Je devrais être aux anges.

Au lieu de cela, Morgane est venue pourrir la fin du spectacle car elle s’imagine que je la trompe avec ma guitariste. Après avoir subi sa colère au coeur de mon concert, la honte ! , puis été obligé de jeter ma femme de la scène quand elle a voulu agresser Samantha, je pensais arriver au fond de l'abîme. C'était sans compter sur l'alarme qui s'est déclenchée suite à un incendie dans le fond de la salle. Maintenant, nous sommes bloqués dans le noir, avec une fumée qui nous étouffe.
Pour un premier concert, il y a mieux. Samantha et le reste du groupe doivent m’en vouloir à mort. Mon avenir avec eux me semble compromis.

La salle s’assombrit encore et j’ai du mal à respirer. La fumée me pique les yeux et me fait pleurer.

A chaque respiration, j’essaye d'inspirer le moins possible de cet air pollué mais chaque goulée me fait tousser et du coup, j’absorbe de la fumée. Et quand j’avale cette saleté, je tousse encore plus.

Je sens la fumée partout sur moi.
Sur ma peau, dans mes narines, sur ma langue, mon palais, dans ma gorge desséchée. Le goût à l'intérieur de ma bouche est vraiment infect. Je dois avoir le visage sale et noirci. Dire que petit, j’aimais l’odeur du feu.

En tombant de la scène, j’ai perdu mon sens de l’orientation et mes repères. Les pictogrammes verts,censés nous diriger vers les sorties, ne sont maintenant que des taches floues et blanchâtres qui n’indiquent plus rien. Je n’arrive pas à déterminer dans quelle direction je dois partir.

Je ne sais pas où se trouve le reste du groupe. Les pauvres doivent être perdus eux aussi dans cette obscurité. Je ne vais pas tenter à nouveau de les appeler, le bruit de l’alarme couvrirait ma voix de toute façon.

Je reste près du sol, j’avance à quatre pattes dans le noir. En direction de la sortie ? Je n’en sais même rien. Si je tombe sur un mur, je...
Et bien, je longerai le mur. Jusqu’à une porte.

Le sol est visqueux. Mes mains avancent au milieu d’une «substance» dont le contact n’est pas des plus agréables. Probablement un mélange de papiers et de boissons renversées par terre pendant le concert. C’est humide, ça colle, c’est sale et dégoûtant.
Et puis, il y a ce son douloureux dans mes tympans, cet hululement suraigu. Je crois que je vais devenir sourd à force d’entendre ce bruit infernal.

La tête me tourne, je manque d’oxygène, je me traîne sur les coudes, lentement.

Trop lentement, jamais je n’arriverai jusqu’à la sortie.
Il n’y a pas que mon avenir de rock star dans le groupe qui soit compromis. Mon avenir tout court l’est aussi.

Je suis sur le point de m’évanouir. J’ai envie de me coucher sur le sol.

Je n’ai plus de forces, je m’allonge, juste pour quelques secondes.

Je suis bien contre le sol.
Je n’ai plus l’énergie ni l’envie de bouger, je vais rester là et attendre.

Je n’entends plus la sirène, je dois être devenu sourd.

Je sens comme un léger courant d’air frais, c’est agréable.

Je perçois une éclaircie dans l’obscurité. A moins que ce ne soit une hallucination. Peut-être me suis-je assoupi, peut-être suis-je dans un rêve ?

Je vois une lumière blanche, ronde, qui vient vers moi. J’ai déjà entendu parler de cela, de cette lumière. Si je ne veux pas mourir, je dois m’éloigner d'elle.

Je ne sens plus mon corps, je ne peux pas bouger, la lumière est agréable.

Je la laisse venir.