Layna
Toujours rien !
Une lune maintenant que Ronan et elle avaient regagné Saad-Ohm et elle n'avait toujours pas saigné. Elle devait se rendre à l'évidence. Bien que les nausées se soient faites plus rares ces derniers temps, il n'y avait qu'une seule explication logique. Elle tenta de se rémémorer le fil des événements. Leur arrivée à Kendr-Kâ-Shahar, les assauts du souverain. Ronan ne l'avait pas touchée durant leur séjour dans la capitale, trop occupé qu'il était aux affaires de la Cour. Ce n'est que lors du voyage de retour qu'il lui avait enfin porté quelque attention. Elle sourit en y repensant. Ils avaient baisé sans relâche sur ce bateau. Mais elle blémit en se souvenant que les premières nausées s'étaient manifestées au début du voyage. Elle calcula, fébrile. Était-ce une demi-lune après le départ ? Dix jours ? Plus ? Et si...
Elle bondit de sa chaise, appela une première fois, impérieuse, puis s'empara de la cordelette censée agiter la clochette à l'office. Elle la secoua violemment. La servante qui accourut lui était totalement inconnue. Elle aboya l'ordre :
— Fais-moi quérir l'alchimiste ! Le mien, pas un autre ! Et qu'il se hâte !
***
Quand le vieil homme arriva enfin, c'est une Layna calme et posée qui le reçut. D'un ton détaché, elle lui expliqua la raison pour laquelle elle l'avait convoqué.
— À quand remontent vos derniers saignements ma Dame ?
— Je n'en suis plus certaine. Deux lunes ? Un peu plus ?
— Et vous dites être sujette à ces vomissements depuis une lune et demie ?
— Oui, cela j'en suis certaine !
— Je vais devoir vous examiner. Si vous m'y autorisez, bien sûr.
Bien sûr qu'elle l'y autorisait ! Il la fit s'allonger. Sur son ordre, elle écarta les pans de sa robe de chambre. Les mains du vieil homme allaient et venaient sur son ventre, palpant ici et là. Il lui écarta ensuite les genoux, d'un geste doux et invitant, dévoilant son sexe sans aucune forme de procès. Et de pudeur il n'y avait point, pas même quand les doigts secs et ridés écartent ses lèvres tendres.
— Eh bien ? s'enquit-elle.
— Il me faut palper votre vulve ma Dame... détendez-vous.
Les caresses se faisaient plus insistantes. Elle se dit que le vieillard savait y faire et pourrait donner bien des leçons à de plus jeunes hommes. Il avait sans hésiter trouvé son bouton sacré et entreprenait maintenant de l'affoler avec un petit mouvement circulaire. Elle l'interpella.
— C'est fort agréable, Maître, mais n'abusez-vous pas un peu ?
— Détrompez-vous ma Dame. Cette petite préparation a le mérite de rendre l'examen moins douloureux. Mais rassurez-vous, votre trésor est maintenant suffisament humide.
Elle tourna la tête quand les doigts s'introduisirent en elle. Quand ils eurent terminé, le verdict tomba. Il souriait.
— Il semble bien que nous ayons là une bien belle raison de nous réjouir, ma Dame.
— Que voulez-vous dire ?
— Eh bien, il me parait évident que sous peu, cette maison comptera une âme supplémentaire.
Elle blémit.
— Depuis quand est-il là ? demanda-t-elle, cassante.
— Si les premiers vomissements remontent à une lune et que, comme vous le pensez, vous avez saigné pour la dernière fois il y a près de trois lunes, je dirais que l'enfant a été conçu il y de cela une bonne soixantaine de jours.
Elle défaillit. Soixante ! Au cœur de leur séjour à la capitale ! Ronan la délaissait sans vergogne à ce moment-là, trop occupé qu'il était par les affaires de la Cour. Le souverain, lui, ne se gênait pas pour venir chaque nuit l'honorer de sa royale semence. Les larmes lui montèrent aux yeux. Des larmes de rage. Ce gros porc bedonnant incapable de la faire jouir aurait donc fini par l'engrosser ? Maudit fut-il ! Mais comment diable était-ce donc possible ? Trois lustres que Ronan et elles baisaient jusqu'à plus soif, et jamais... jamais... ni lui, ni aucun des autres ne l'avaient... elle se refusa à même concevoir le mot. Bien sûr, pour des raisons d'hygiène, elle avait coutume d'utiliser des boyaux de mouton avec les esclaves de plaisir. Mais avec les autres, chevaliers ou capitaines, amants d'un soir ou réguliers, elle négligeait parfois cette précaution, persuadée qu'elle était de son infertilité. On l'avait tant gavée de potions et badigeonnée d'onguents contraceptifs. Sans compter que toute jeune, par deux fois on lui avait ... elle ferma les yeux pour en chasser l'image et le souvenir.
Et Ronan ? Comment réagirait-il s'il réalisait que l'enfant n'était pas sien ? Elle serait répudiée, sans aucun doute. Au mieux, il lui offrirait une petite ferme et elle y finirait ses jours en grattant la terre de ses mains pour tenter d'y faire pousser de quoi survivre.
— Retirez-le moi !
— Ma Dame ...
— Enlevez-le moi, sur le champ !
Sa voix était dure, presqu'hystérique. Jamais l'homme n'avait vu sa maîtresse perdre à ce point ses moyens. Elle bondit hors de sa couche et tourna autour de lui comme une guêpe affolée.
— Je vous en conjure ma Dame, réléchissez avant de ...
Mais elle ne l'écoutait pas, réitérant son ordre une troisième fois. Il lui prit les mains avec douceur avant de l'inciter à se rassoir.
— Si tel est votre désir, je vous l'enlèverai. Mais je le ferai demain.
— Je ...
— Sauf votre respect ma Dame, il en sera ainsi. La nuit porte conseil. Je serai ici à la première heure, si vous confirmez votre décision, je procèderai. Un jour de plus ou de moins n'y changera rien.
Elle baissa la tête, résignée. D'une voix douce, le vieil homme ajouta :
— Notre Seigneur ne pourra que se réjouir. Cet enfant est sien, ne laissez jamais planer là-dessus le moindre doute. Ce sera votre petit miracle. Et si ce cadeau est trop lourd à porter, ma foi, je me plierai à votre bon vouloir et ferai ce que j'ai à faire.
Il prit congé d'elle et s'éloigna, serein. Elle le suivit d'un regard absent.
Ronan ne croyait pas aux miracles. Il n'y avait jamais cru.
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