Une mission de confiance

5 minutes de lecture

Au regard de la rusticité des bivouacs et des garnisons frontalières, l'austère Nöhr-Stahad faisait figure d'oasis. Des hommes ou des chevaux, on n'eut pu dire lesquels étaient plus heureux d'enfin rallier qui les écuries, qui la tiédeur des tavernes que seule égalait la fraîcheur de la bière. Lando ne cachait pas sa joie d'avoir retrouvé son homologue Bulgur. La prolixité verbale dont ce dernier faisait preuve laissait à penser que le sentiment était partagé. Le géant au crâne rasé avait rejoint la ville près de dix jours avant eux et avait dès lors eu tout le loisir de préparer l'expédition de retour.

Khaleb tenait conseil dans la grand salle de l'hôtel de ville, où il avait réuni ses deux aides de camp ainsi que le capitaine de l'escorte. D'ordinaire, il déléguait entièrement les ordres de marche et ne se mêlait pas des détails d'exécution. Bulgur s'était montré surpris de voir son chef s'immiscer dans la discussion. Lando n'en était évidemment pas étonné. Depuis qu'ils avaient découvert l'artéfact, Khaleb était obsédé par le voyage de retour. Il avait imposé le silence absolu autour de leur découverte, si bien que Lando ne s'en était pas ouvert à son frère d'armes.

Le colosse avait opté pour un itinéraire qui mêlait voies terrestres et fluviales. Ils feraient route ensemble durant la première moitié du voyage, mais se sépareraient dès qu'ils auraient atteint le fleuve Istros. Khaleb, sa suite et une dizaine de soldats triés sur le volet embarqueraient à bord d'une péniche dès que le courant leur serait favorable. Le gros de l'escadron et l'intendance continueraient par la route, la chance qu'ils trouvassent des bateaux en nombre suffisant étant somme toute fort maigre.

L'idée de scinder le détachement avait soulevé des réticences. Tant chez Khaleb, qui réchignait à laisser ses hommes aux prises avec un hiver qui promettait d'être particulièrement rude, que dans le chef du capitaine de l'escorte, qui voyait d'un mauvais œil son général faire route sans protection ou presque.

— Pourquoi ne pas embarquer l'entièreté de la troupe ? maugréa Khaleb. Les hommes seront bien mieux au fond d'une cale ou même sur le pont à l'abri d'une bâche qu'à chevaucher dans ce déluge.

Le capitaine acquiesça d'un signe de tête.

— On pourrait les réquisitionner, suggéra Lando.

— Si on les trouve. Et qu'on parvient à les armer. Pas sûr que les équipages n'aient pas déjà en grande partie rejoint leurs foyers pour l'hiver.

— Combien de temps penses-tu gagner si nous passons par le fleuve ?

— Dix jours. Plus si la neige s'en mêle et complique la marche, fit Bulgur.

Khaleb trancha :

— Alors c'est décidé. Nous embarquerons autant d'hommes que possible. Le reste ira par la route.

— Et si par malchance le fleuve est pris par les glaces ?

Khaleb lança un regard énervé à son capitaine.

— L'hiver commence à peine, rétorqua-t-il. Mais même si c'était le cas, la solution s'impose d'elle-même : nous irions tous par la route. En attendant, tablons plutôt sur notre bonne fortune.

— En guise de bonne fortune, c'est plutôt la scoumoune qui nous poursuit, bougonna le capitaine.

— Que veux-tu dire, lança Lando ?

— Je dis que depuis notre arrivée à Nöhr-Stahad, le mauvais sort s'acharne sur nous. Pas un jour sans pluie, des hommes qui tombent malade. Six d'entre eux ont contracté une mauvaise fièvre.

— Il n'y a aucun mauvais sort là-dessous, rétorqua Lando. Les hommes tombent malade parce qu'ils prennent froid.

— Ouais. Contrairement à la petite sorcière, bougonna l'officier.

Lando le dévisagea, interloqué.

— Explique-toi.

— La rumeur court parmi les hommes. Depuis notre départ de Saad-Ohm, mère nature semble avoir perdu la raison. Et la seule qui n'en semble pas affectée, c'est votre ordonnance. Sauf votre respect, Général, ajouta-t-il en se tournant vers Khaleb.

— Sous-entendrais-tu que cette jeune fille nous porterait malheur ?

Lando avait lancé sa question sur un ton moqueur.

— Les hommes en sont convaincus. Les éléments semblent n'avoir sur elle aucune prise. Elle ne souffre ni du froid, ni du vent.

— Elle a juste plus de couilles que tes hommes, se moqua Lando.

— Bulgur l'a laissée pour morte, lors de ce tournoi. Clouée au sol comme un insecte. Et elle est revenue à la vie.

— Il n'a fait que la blesser.

— La blesser ? Je ne l'ai pas vu retenir son coup. Son épée aurait du la transpercer de part en part.

Le capitaine cherchait l'approbation dans le regard du colosse, mais celui-ci demeura silencieux, les yeux fixés sur la carte. Aussi l'officier reprit-il de plus belle son réquisitoire.

— Et puis... il y a Yann.

— Yann ? s'enquit Khaleb.

— Oui, Yann. Il m'a rapporté comment la donzelle avait charmé les notables de la ville. Enfin, charmé, selon ses dires, elle les a littéralement ensorcelés. Même le Mestre était, selon les dires de mon lieutenant, à ses pieds.

— Qu'est-ce que tu racontes là ? rétorqua Lando. C'est n'importe quoi ! Otto Gruebman se serait fait enquinauder par une jeune fille devant ses sbires ? Tu divagues, l'ami.

— Là n'est pas la question, trancha Khaleb. Fille est à mon service et j'entends que jusqu'à notre retour, elle le reste. Elle se contente de tenir mes quartiers. Et là-dessus, l'affaire est décidée.

Le capitaine, penaud, baissa la tête, les yeux fixés sur les cartes que Bulgur commençait à rassembler. Khaleb poursuivit, s'adressant à Bulgur.

— Envoie un détachement précurseur vers le fleuve. Léger, dix hommes suffiront. Qu'ils partent dès l'aube et fassent au plus vite. Je veux qu'ils me réquisitionnent tout ce qui flotte et tout qui puisse manier une voile ou une rame, et qu'ils nous attendent là-bas. Qu'ils nous trouvent aussi l'avitaillement pour tout le détachement jusqu'à Saad-Ohm.

Bulgur opina d'un signe de tête, sans enthousiasme.

— Et pour les chevaux, ajouta le général.

— Va falloir que tu me files Yann, lança laconiquement Bulgur à l'attention du capitaine.

Avant même que ce dernier n'ouvre la bouche, Khaleb l'interrompit.

— Non, pas Yann.

— Il faut y mettre un officier, avança prudemment Lando.

À son ton pincé, on devinait qu'il n'avait aucune intention de se charger lui-même de cette corvée. Le Général marqua un silence avant de reprendre.

— Fille. Envoie Fille. Mais adjoins-lui ton fourrier, un éclaireur qui connaisse bien la région, et des hommes de confiance, c'est le moins qu'on puisse faire pour l'aider.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 4 versions.

Vous aimez lire J. Atarashi ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0