Une décision difficile.

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Fille chevaucha quatre jours encore avant que ne se dessinent à l'horizon les remparts de Saad-Ohm. Elle hésitait quant à la conduite à tenir. L'après-midi était déjà bien entamée, l'idée d'arriver en ville à la tombée du jour ne l'enchantait guère. Mais la cité était bâtie en terrain découvert, trouver un emplacement propice au bivouac relevait de la gageure. Elle décida de poursuivre quitte à revenir sur ses pas pour passer la nuit dans la forêt qu'elle venait de quitter. Solstice n'avait pas parcouru plus d'une centaine de pas quand elle aperçut sur sa droite, bien à l'écart de la route, une ferme nichée dans un thalweg. La providence allait peut-être lui offrir la solution. Le bâtiment, plus petit encore que celui qu'elle habitait avec Tabor, semblait abriter sous un même toit le corps de logis, à droite, et ce qui devait tenir lieu d' étable, sur la gauche. Deux gamins, garçon et fille, jouaient un peu à l'écart. Un homme était absorbé par la roue d'une cariole qui semblait ne tenir d'une pièce que par miracle. Il releva la tête lorsque la cavalière mit pied à terre. Le fermier avait l'allure revêche de ceux que la vie n'a pas épargné. Il la fixait, suspicieux, presqu'hostile. Elle tenta sa chance.

— Le bon jour monsieur. Je cherche le gîte pour une nuit.

— On a point d'place et encore moins d'pitance, aboya-t-il.

Les enfants s'étaient arrêtés de jouer et s'approchaient maintenant, curieux. Fille insista.

— Je me contenterai de peu. Une petite place dans votre grange et un peu d'avoine et d'eau pour mon cheval. Moi, je peux me passer de manger. Et j'ai de quoi payer.

— Allez à la ville, répondit l'homme, bougon. Y a des auberges.

Déjà, il revenait à son ouvrage.

— Oh là, vieux grincheux, tu ne vas pas refuser un peu d'paille à cette jeune fille ?

La femme qui venait d'apparaître dans l'embrasure de la porte toisait d'un regard noir celui qui devait être son mari. Grande et massive, elle en imposait par sa stature. Elle portait un tablier écru maculé de taches par dessus une longue robe anthracite qui la couvrait jusqu'aux poignets. Dans son visage carré brillaient deux yeux malicieux. Elle s'approcha.

— Faut pas en vouloir à mon homme, damoiselle, l'est grincheux mais il a bon cœur. Si ça vous dit vous pouvez z'installer dans l'grange. C'est pas l'auberge, mais on va pas vous laisser le ventre vide, ni vous ni vot'canasson. Z'avez pas l'air bien lourde, on vous gard'ra bien un peu d' bouillon. Mais si vous avez d'quoi payer, quelques drachs s'raient pas d'refus.

Fille se confondit en remerciements et se dirigea sans plus attendre vers le côté du bâtiment, flanquée à bonne distance des deux bambins. Curieux, ils la détaillaient et s'échangeaient des commentaires à voix basse. La petite fille lui renvoya un sourire, son frère se contentatnt d'observer l'étrangère, mi-fasciné, mi-amusé. Fille décida de ne point s'en préoccuper et confectionna une couche de paille. La petite fit mine de l'y aider, mais son père rappella à lui ses mouflets. Un instant plus tard, ils étaient de retour, le garçon trainant péniblement un seau plein d'eau qu'il déposa devant Solstice, tandis que sa soeur s'attelait à lui porter du fourrage. Fille sourit, amusée, à la vue de l'enfant qui tentait de se débattre avec une fourche qui devait faire deux fois sa taille. Elle finit d'agencer sa couche et à peine eut-elle relevé la tête que le frère et la soeur avaient disparu. Elle haussa les épaules et entreprit de soigner son cheval avant de s'allonger.

***

Fille se réveilla en sursaut, arrachant un petit cri de surprise à la petite fille qui, flanquée de son frère, venait de la secouer.

— Pardon les enfants, je me suis endormie.

— On mange, lança laconiquement le garçon.

Sa soeur agrippa l'invitée par la main et la tira hors de la grange. Le soleil était très bas sur l'horizon, il ne tarderait pas à se coucher. La gamine sautillait aux côtés de son invitée, lui lançant de grands sourires. Elle s'interrompit un instant.

— Comment tu t'appelles ?

— Fille. Et toi ?

— Nina. Mais toi, comment tu t'appelles ? répéta l'enfant.

— Eh bien je te l'ai dit, je m'appelle Fille.

La petite fronça les sourcils, mais l'invita à entrer dans le logis principal. La demeure était modeste, ne comprenant à première vue qu'une grande pièce au sol de terre battue et une cheminée. Une table de facture rustique et deux bancs partageaient l'espace avec deux grands coffres et une large paillasse qui, la nuit venue, devait héberger toute la petite famille. La maîtresse de maison l'accueillit, joviale.

— Voilà ma p'tite damoiselle. Asseyez-vous donc, fit-elle en lui indiquant le banc face au fermier.

Fille s'exécuta. L'homme, toujours aussi taciturne, était absorbé par un petit morceau de bois, pas plus grand qu'un pouce, qu'il taillait à l'aide d'un petit couteau. Nina, d'autorité, s'assit à côté de la visiteuse.

— Elle s'appelle Fille, lança-t-elle toute fière à son père. C'est un drôle de nom, hein ?

— Nina ! la réprimanda leur hôtesse.

— Ben quoi ? C'est un drôle de nom.

Fille sourit, amusée.

— C'est le nom que mon père m'a donné, en effet.

— Je suis Freya, et ça c'est mon homme, Sigfried. Et ces deux garnements, c'est Nina et Karl.

Fille lança un regard vers l'homme. Bras croisés, il fixait le centre de la table, absent. Ou peut-être était-il contrarié par la présence d'une bouche supplémentaire  à nourrir. Freya avait dû lire dans ses pensées, car elle ajouta :

— Mais mon homme, l'est connu alentours comme "le taiseux".

Se tournant vers la crémaillère, elle plongea une louche dans un chaudron noir de suie et se mit en devoir de remplir des écuelles en bois que Karl s'empressa de lui prendre des mains pour les amener à table. Il en déposa un devant son paternel, un second devant Fille et le troisème devant lui avant de s'asseoir. Freya les rejoignit avec le dernier récipient et une grosse miche de pain.

— Tu ne manges pas ? demanda la voyageuse, s'adressant à Nina.

— On a que quatre bols, elle le partagera avec son frère, je les resservirai fit Freya en s'asseyant face à elle.

Ce faisant, elle poussa son homme d'un grand coup de ses larges hanches vers l'autre extrémité du banc. Fille ne fut pas mécontente de n'avoir plus à endurer le visage fermé du ténébreux bonhomme. Sa femme était aussi avenante qu'il était renfermé. Freya lui fourra un couteau dans les mains.

— Tiens, Sig, coupe-nous donc cinq tranches ...

Le bouillon était frugal, il ne contenait pas la moindre trace de viande mais dégageait un fumet agréable. Le breuvage était chaud, et délicieusement salé. Pas suffisamment appétissant cependant pour empêcher l'intarissable Freya de parler.

— Et où donc qu'elle va ainsi toute seule, cette jeune fille ?

— Je me rends à Saad-Ohm.

— Z'étiez presque rendue, bougonna Sigfried. C'était bien la peine de vous arrêter.

Il n'avait décidément pas l'air fort content de voir cette voyageuse briser sa routine.

— Je sais. Je n'ai pas voulu me présenter aux portes de la ville aussi tard. J'ai pensé qu'en arrivant le matin, je pourrais mettre à profit la journée pour trouver une auberge abordable.

— Parce que vous n'avez personne chez qui aller ? s'enquit Freya.

— Pas vraiment non.

— Y a point d'auberge abordable en ville. Surtout avec un cheval. C'est pas une bonne idée, fit sa logeuse.

— Je dois cependant m'y rendre.

— Déjà, avec vot'dégaine, y vont vous chercher des noises pour entrer. Rapport à votre arc, là, enchaîna Sigfried.

Nina releva la tête de son bol.

— Est-ce que t'es une guerrière ? lui demanda-t-elle avec gravité.

— Non. Je suis juste une voyageuse.

— Mais tu as un arc ... et des flèches !

— C'est pour chasser ...

— Tu m'apprendras ?

— Laisse Fille tranquille, gronda la mère. Demain elle s'en ira.

— Tu vas faire quoi en ville ?

Fille ne put s'empêcher de sourire devant l'opiniâtreté de la petite, tandis que Freya levait les yeux au ciel.

— Je cherche quelqu'un.

— Ton promis ?

— Non, c'est juste un ami.

Elle marqua un instant d'hésitation, puis tenta sa chance, se tournant vers ses hôtes.

— Mais peut-être le connaissez-vous ? On le prénomme Gunar. Il est apprenti forgeron.

Mari et femme se regardèrent, avant de secouer la tête en signe de dénégation. Évidemment, elle était sotte de penser qu'il lui suffirait de frapper à une porte et de retrouver le jeune homme du lac. Ce fut Sigfried qui enchaîna.

— Y a plus d'une douzaine de forgerons à Saad-Ohm. Sans compter ceux des alentours, plusieurs villages ont le leur.

— Avec la garnison et le marché aux esclaves, la demande est forte, enchérit Freya.

— Bon eh bien, il me faudra m'armer de patience.

Un silence s'installa, que Sigfried rompit au bout d'un moment.

— Si vous voulez, pouvez laisser vot' cheval ici. J'cache point qu'j'en aurai l'usage. Y va vous encombrer en les murs. Et vot'arc, y va vous attirer des questions des gardes. Z'aurez qu'à v'nir reprendre tout ça en rev'nant.

Fille ne dit mot. Il lui semblait évident que se présenter dans une auberge à cheval, vêtue et équipée comme une chasseresse, ne manquerait pas de multiplier par deux le prix de sa nuitée, et elle avait très peu de réserves. Se présenter aux portes de la cité avec un balluchon au bout de son précieux bâton, telle une pélerine, attirerait moins l'attention.

— Si vous rev'ez, ajouta Sigfried avant de replonger le nez dans sa bolée.

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