La tempête

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La tempête s’était levée dans l’après-midi. Le blizzard était si dense que depuis la fermette, on apercevait plus la lisière la plus proche, située à moins de cinquante pas. Les tâches les plus élémentaires requéraient dès lors rigueur et discipline. Rentrer du bois, produire de l’eau, nourrir les chevaux et les poules, déblayer les toits qui menaçaient de crouler sous le poids de leur blanc cocon, vérifier le calfeutrage des ouvrants, tous ces petits gestes de la vie hivernale quotidienne nécessitaient du temps, de la volonté et parfois même, un réel engagement physique. Fille terminait d’abreuver les chevaux. Elle avait passé plus de la moitié de la matinée à tasser la neige dans les chaudrons pour la faire fondre, à porter l’eau à l’étable, répétant cinq à six fois l’opération. Elle accrocha un dernier chargement dans l’âtre, qu’elle destinait à un bouillon.

— Tu as tout du troll des montagnes, plaisanta Tabor.

La neige s’était de fait accumulée en plaques sur son long manteau.

— Moque-toi. Ça ne faiblit pas, et tu peux déjà oublier d’aller voir Circé. Avant ce soir, nous nous enfoncerons jusqu’aux cuisses.

— Je crains que tu sois contrainte de prolonger ta visite à ton vieux père. Même si la tourmente venait à cesser, il faudra plusieurs jours pour que la neige se tasse un tant soit peu.

— Qu’importe. Je me réjouis déjà de mettre ce temps à profit pour me replonger dans tes vieux grimoires. Ils m’ont manqué presqe autant que toi.

Tabor lui lança un regard tendre mêlé de nostalgie.

— Tu n’as pas toujours dit ça. Petite, tu n’avais de cesse que de sortir, la clairière était ton terrain de jeu. Puis ça ne t’a plus suffit, tu l’as étendu à la forêt. Et enfin à la montagne.

Elle sourit.

— À Saad-Ohm, les livres sont presque aussi rares que les montagnes.

— Ils sont simplement bien cachés. Et personne ne se vante d’en posséder. Mais je suis sûr que plus d’un de tes seigneurs savent lire.

— Khaleb et Lando savent lire et ne s'en cachent pas. Layna aussi, mais elle n'en parle pour ainsi dire jamais.

— Tu vois ! La connaissance est la clé du pouvoir. C'est pour mieux assoir le leur que nos rois maintiennent le peuple dans l'ignorance.

— Mais si on en croit les livres, c'est la connaissance qui a mené le monde des dieux à sa perte, rétorqua Fille.

Tabor resta un moment silencieux, avant de reprendre.

— Ce sont des cycles. De très vieilles légendes racontent que douze fois douze fois douze générations avant les événements du livre de Borth, les hommes vivaient heureux sur Al'ard. C'est quand ils goûtèrent aux fruits de la connaissance que survint l'avènement du mal, des guerres et de tous les maux.

— Tu m'as déjà raconté ça. À l'époque, tes chiffres me donnaient le tournis. Et si aujourd'hui, je puis calculer qu'ils équivalent à plus de huit mille lustres, il ne m'en laissent pas moins rêveuse.

— De toute manière, conclut Tabor, maintenir les hommes dans l'ignorance n'aura en aucun cas empêché les guerres ou autres malheurs. Samir et Djinn, s'ils ont un jour existé, doivent se retourner dans leur tombe.

— Peut-être que le problème, ce sont les hommes eux-mêmes, osa Fille en retournant à la préparation de son bouillon.

— Tu crois les femmes plus sages ?

— Ma maîtresse est la preuve que non. Je parlais des hommes et des femmes.

Il la regardait découper de belles grosses pomme de terre et les jeter dans le chaudron. Au bout d'un moment, il répliqua :

— En tous cas, je n'ai pas perdu mon temps avec toi.

— Que veux-tu dire ?

— Rien. Ou plutôt si. Quoi qu'il advienne, suis toujours ton coeur.

Il émanait de son regard une tendresse et une fièreté qui l'émut si profondément qu'elle en resta muette. Elle ne trouva rien d'autre à lui adresser qu'un sourire tout empreint de reconnaissance. Elle aurait voulut que la tempête jamais ne cessasse.

Dame nature exauça partiellement son souhait, car la neige tomba sans discontinuer pendant dix jours encore. Un matin, pourtant, ils sortirent sous un ciel d'azur, si bleu qu'ils peinaient à garder les yeux ouverts. Tabor constitua deux masques à l'aide de crin de cheval, destinés protéger leurs yeux de la lumière meurtrière. Ils entreprirent de dégager comme ils le pouvaient les abords de la petite exploitaion. La tâche ne leur prit pas moins de trois jours.

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