Chapitre 32-1 : Pari

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  Une profonde crainte s'enracina en moi. J'étais à quatre patte, couverte de boue alors que la puissance suintait tout autour de cette femme. Dans cette brise inutile qu'elle créait parce qu'elle en avait le pouvoir, dans cette démarche assurée, dans ces blessures qui n'avaient pas le moindre effet... Et pourtant, un agacement tout aussi profond grandit de pair avec ma peur. Cette fée nous surpassait haut la main. Ni Jäger ni moi n’aurions remis ces faits en question. Alors pourquoi en faisait-elle tout un foin ? Elle ne pouvait pas descendre ces putains d'escalier normalement ? J'avais presque l'impression de me trouver dans une mauvaise pièce et elle ne fit rien pour chasser ce sentiment.

  Au contraire.

  –Je devrais peut-être être folle de rage de m'être fait tirer dessus, mais tu as eu le mérite de me surprendre et cela n'arrive pas souvent. En plus, il est clair tu n'avais aucune intention de détruire mon cœur magique, seulement de me priver momentanément de ma magie... Tout cela ne fait qu'attiser ma curiosité à ton égard, humain. Pourquoi souhaites-tu tant me tenir à l'écart, hum ? Et si nous reprenions là où tu m'as interrompue... Où en étions-nous, déjà ? s'interrogea-t-elle avec théâtralité, son indexe tapotant son menton. (Son doigt se figea.) Ah oui. L'absence de noirceur et d'essence féérique dans ta résistance. C'est vraiment étrange... Cette sensation me rappelle grandement l'immunité que présentent les membres de la royauté ou de la haute noblesse, à leur naissance.

  Comment ? Les nobliaux possédaient une résistance à la magie dès leur venue au monde ? Je croyais que c'était une particularité que certains obtenaient à leur baptême, lorsque leur marraine tírnanienne leur insufflait une poignée de dons.

  –Arrêtez-vous, siffla Jäger alors qu'elle atteignait la moitié de l'escalier.

  –La logique voudrait donc que tu appartiennes à l'une de ces familles, continua-t-elle avant de plisser les yeux. Mais pourquoi ta résistance est-elle restée à l'état de vestige ? Si tu fais partie de la branche principale, ta marraine aurait dû te la renouveler. L'immunité fait partie des dons primordiaux, ceux que nous devons leur offrir.

  –Je vous ai dit de vous arrêter !

  –Et si tu n'es qu'un membre éloigné qui n'a pas à recevoir ce don, afin qu'il s'éteigne à la prochaine génération, ton immunité devrait quand même s'être imprégnée de l'essence de ta marraine. Or, je ne sens rien. Absolument rien. En fait, c'est comme si tu n'avais pas été baptisé. Mais à moins que tu ne sois un bâtard dont nous ignorions l'existence, il n'y a aucune raison pour que tu n'aies pas eu de marraine. Même les métis qui sont détestés y ont dr... (Ses sourcils se froncèrent.) Non, attends. Je raconte n'importe quoi. Tu n'es pas d'ici mais de Wiegerwäld. Et là-bas...

  Elle se figea sur la dernière marche, les yeux soudains écarquillés. Ces derniers balayèrent Jäger comme si elle le voyait pour la première fois et un éclair de compréhension traversa ses prunelles. Sa bouche s'entrouvrit.

  –Non... Ce n'est pas... Thébaldéric ?

  Thébaquoi ?

  –Qui ? lâcha le chasseur après une seconde, son timbre dépourvu de la moindre émotion.

  La Tirnanienne refronça ses impeccables sourcils, fit un pas vers lui, puis changea brusquement de direction et fusa vers moi. Je me relevai en vitesse pour m'éloigner, mais elle fut plus rapide. Je m'étais à peine redresser que ses longs doigts se refermèrent sur mon visage. Le souffle me manqua. De près, elle était encore plus belle... beaucoup trop belle pour que ce soit naturel. Pas un pore, pas un point noir, pas une cicatrice, pas une ride ne souillait le satin de sa peau. Ses cils longs et courbes, d'un rose semblable à celui de sa chevelure et de ses sourcils, venaient caressée ses pommettes quand ses paupières s’abaissaient. Alors que j'étais couverte de fange et que j’avais dégueulé, un doux parfum de jasmin embauma mes sens.

  Sans se soucier de ma crasse, elle approcha son nez délicat de ma nuque et pris une profonde inspiration. Son expression changea alors du tout au tout. Auxdieux, la fée blasée par toute cette histoire, la Tírnanienne irritée par les interruptions des soldats, la merveilleuse dévorée par la curiosité, la marraine choquée de s'être fait tirer dessus. Désormais, elle exultait de joie ! Son visage rayonnait d'une telle excitation qu'elle faisait de l'ombre au soleil.

  –Oh, si ! C'est toi ! s'exclama-t-elle en me lâchant. Par Sihid, c'est vraiment toi !

  –Je ne vois pas..., se borna Jäger.

  –Allons, Thébaldéric, la résistance que tu as étendue chez cette fille porte l’essence d'Aine. (Un rire cristallin s'envola de ses lèvres.) Tu espères vraiment me faire croire que quelqu'un en dehors de ta famille a mis la main sur les ingrédients nécessaires à son extension ?

  La mâchoire de Jäger se crispa tant que ses molaires devaient être à deux doigts de se rompre. La fée, elle, continuait à jubiler, souriant de toutes ses dents d'un blanc éclatant et parfaitement alignées, virevoltant autour de lui comme un papillon au milieu d'un champ de fleurs, répandant de la poussière scintillante à chacun de ses mouvements. Quant à moi, je les regardai l'un après l'autre, perdue.

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