ENTRACTE II. Aphrodite, Nénufar, Aléthie.
La lumière se rallume, nous sommes sur l’Olympe.
Nénufar coiffe l’herbe avec une brosse quand Aphrodite arrive, enragée.
NÉNUFAR (chantonne)
Oh ! Dame des cieux, dame des lacs, dame des prés, dame si belle ! Bergère vous êtes revenue, veiller sur l’Olympe !
APHRODITE
Nénuphar, toi qui si bien chasses les nuages
Aide-moi à combattre ce terrible orage
Qui me serre le cœur comme un chagrin d’été !
C’est mon fils, celui né il y a vingt années,
Il est devenu pis qu’odieux, un moins que rien !
Il était si gentil petit, tu te souviens ?
NÉNUFAR
Ce fils si mignon, oui, je m’en souviens. On ne l'imaginait pas devenir mauvais. Mais vous avez l’air bien pâle, je crois n’avoir jamais vu Colombe si triste.
ALÉTHIE
Ce n’est pas une colombe, c’est un canard.
NÉNUFAR
Comment votre fils, enfant divin, peut-il vous causer tant de torts ? Lui qui, portant votre sang, ne peut être qu’un ange aux ailes blondes.
APHRODITE
Il a fondé une ligue contre les femmes,
Il veut éteindre de ceux qui s’aiment la flamme !
Car lui qui se sent seul, son cœur jà déserté,
Toute mon œuvre entïère va saboter !
NÉNUFAR
C’est terrible, terrible ! Mais peut-être nous faut-il le comprendre. Il mérite, comme tout être, notre compassion. Son cœur est si tendre et jeune, et si impatient encore de battre pour autrui. L’oisillon fragile, sitôt qu’il s’envole du nid, se prend les pieds dans une suite de déceptions amoureuses. Peut-on lui en vouloir d’être mélancolique ?
APHRODITE
Il n’est pas aussi tendre que tu ne le crois.
Il veut faire du mal, briser des couples et des vies.
Il veut écraser autant de cœurs qu’il pourra,
Il veut répandre le malheur et la chienlit.
NÉNUFAR
Peut-être, nous faut-il des fleurs pour calmer ses ardeurs. Un doux bouquet de lilas et d’herbes bleues, des senteurs du printemps amoureux et de la sève d’hévéa. Y avez-vous seulement songé en pérégrinant entre la terre et le ciel ?
APHRODITE
Mais même des fleurs, si belles soient, elles ne vont résoudre !
NÉNUFAR
Alors, il lui faut connaître l’amour et la tendresse. Il faut qu’il voit comme les bras d’une femme sont doux, et comme il est bon de poser son oreille sur la poitrine de quelqu’un qu’on aime. Le ronron du cœur réchauffera la glace qui fige ses idées, et le feu ardent qui brûle dans sa poitrine ne sera plus qu’une passion affectueuse.
APHRODITE (se moquant)
Serais-tu volontaire ? Voudrais-tu en découdre ?
NÉNUFAR
Non pas madame ! J’ai juré de vous servir ici dans les cieux. Jamais je ne pourrais faillir à ce devoir qui m’est si précieux. Peu importe que la terre brûle et tous les hommes avec elle, ma priorité restera toujours de veiller sur ma colombe adorée.
ALÉTHIE
Mais, ce n’est pas une colombe, c’est un canard !
APHRODITE
Mais alors, ai-je été une mauvaise mère ?
Ah ! Pour ainsi subir de telles agonies !
NÉNUFAR
Vous, mauvaise ? Vous êtes la mère des mères ! Vous êtes la caresse du vent dans les arbres, la houle qui s’échoue sur le sable, la tiédeur d’une nuit d’été. Pas la plus câline avec le nourrisson, mais ainsi, vous avez forgé son caractère. Et pas la plus présente dans l’éducation, mais c’est comme ça qu’on leur apprend l’autonomie. Non, m’est avis que vous avez été irréprochable.
APHRODITE
Mais tu dis ça car tu m’aimes sans félonie.
Je ne suis pas à blâmer, je le reconnais
Mais que vais-je pouvoir faire pour l’arrêter ?
NÉNUFAR
Pour l’instant, ne faites rien, messagère de la paix. Observons, prudemment, et laissons-le développer son projet. Le destin fera son travail, et quelques malheureux évènements qui pourraient se produire ne seront point de votre fait, mais du sien. Lui seul répondra devant le tribunal des dieux s’il dépasse les limites. Laissez pleuvoir les fleurs !
APHRODITE
Que je laisse pleuvoir les… quoi ?
NÉNUFAR
Je me comprends !
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