Chapitre 13

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Je reste statique pendant ce qui me semble être une vingtaine de minutes si ce n’est plus. Dans le noir, dans cette stupide posture. Je lutte contre l’envie de pleurer, de crier, de hurler. J’ai peur de bouger, car si je bouge, je risque de craquer.

Avec de gros efforts et des exercices de respiration, je parviens à retrouver mon calme ; de nouvelles questions m’assaillent : suis-je censée rester dans cette posture pour « me reposer » ? Ai-je le droit de m’allonger ? Si oui, suis-je libre de prendre la position que je veux ? Il aurait pu être pu claire dans ses propos !

La fatigue finit par l’emporter. Lentement, mes bras se décroisent, tandis que des larmes silencieuses inondent mes joues. Je guette le moindre son trahissant un mouvement de mon bourreau, je me prépare à ressentir la décharge électrique.

Rien ne se produit.

Le sol étant glacial, je décide de seulement m’asseoir tout en remontant mes cuisses contre moi. La position n’est pas des plus confortable pour dormir, mais je vais faire avec : je suis épuisée. J’entoure mes jambes de mes bras et pose finalement ma tête sur mes genoux. Je m’interroge vaguement : de quoi rêve-t-on en Enfer ? Le sommeil m’emporte dès que je ferme les yeux, me laissant découvrir la réponse par moi-même.

Des mares de sang, des démons, des damnés m’implorant de prendre leur place… Les cauchemars s’enchaînent, quand soudain, au milieu d’un mauvais rêve où une créature dévore mes entrailles, l’obscurité emporte tout, me laissant seule. Étrangement, je me sens mieux, presque en sécurité. Une étrange lueur apparaît dans mon champ de vision, elle se rapproche. Je distingue vaguement un visage. Avant même de m'en rendre compte, je cours vers cette lumière : je veux la voir de plus près, elle peut me sauver, je le sais ! C’est alors que j…

— Debout petite chose.

Une voix divine me réveille. Je clignote des yeux, cherchant à me rappeler où je suis et pourquoi je suis étendue nue à même le sol. La réalité me rattrape brutalement.

— Au réveil, je t’accorde cinq secondes pour te relever et être décente.

Cinq secondes ? C’est une blague ? Je m’exécute néanmoins ; je me redresse tout en passant rapidement mes mains dans mes cheveux pour aplatir les éventuelles mèches rebelles, avant de placer mes bras dans mon dos. Le souvenir de la décharge électrique bien vivace à présent que je suis réveillée.

Le regard du démon ne trahit ni satisfaction ni mécontentement. Il s’approche du placard monstrueux et l’ouvre. J’ai peur de ce qu’il va en sortir, qu’a-t-il prévu pour moi ? Lorsqu’il me fait à nouveau face, il me tend un espèce de peigne en métal sombre, aux dents écartées et couvertes de petites pointes acérées. Il ne veut quand même pas que je me démêle les cheveux avec cette horreur ? Mon visage trop expressif trahit mes pensées, le faisant – j’en crois pas mes yeux – presque rire.

— Sois rassurée, cet outil ne t’est pas destiné, il est pour moi.

Je suis encore plus intriguée.

— Contrairement à la plupart de mes de frère qui ont perdu leurs ailes lors de leur chute, j’ai été condamné à conserver les miennes. L’air vicié des Enfers les consume, détériorant mes plumes, les brûlant. Je veux que tu passes ce peigne à travers mes ailes pour enlever les plus abîmées. Veille à avoir des gestes précis. Si ta maladresse me blesse, je te le rendrai au centuple.

Je me raidis. Je vais forcément lui faire mal. Cette tâche qu’il me confie est un piège pour justifier une punition. Ai-je seulement le droit de refuser ?

— Tends ta main droite. Garde l’autre dans ton dos, tu n’en as pas besoin.

A contrecoeur, je m’exécute. Il dépose alors l’ignominie dans ma paume. L’objet est lourd, froid, horrible. Il ressemble réellement à un instrument de torture. Astaroth me tourne aussitôt le dos avant de déployer ses ailes en largeur. Elles sont immenses, cela va me prendre une éternité pour les peigner. Une éternité à commettre des faux pas.

— Cesse de rêvasser et applique-toi, ordonne sèchement le déchu.

Je repousse le frisson glacé qui parcourt mon échine et m’approche, avant de lever le peigne d’une main tremblante.

Dès mon premier passage, plusieurs plumes s’accrochent à l’instrument ; à peine arrachées, elles se désagrègent, ne laissant que des cendres derrière elles. La tâche s’avère plus facile que je ne l’imaginais ; il n’y a pas de nœuds comme dans une chevelure, les plumes intactes glissent entre les dents crochues du peigne, les autres disparaissent aussitôt arrachées. Mais surtout, à chaque passage, je sens les plumes caresser mes phalanges, elles sont d’une douceur incroyable, me donnant envie d’y plonger les doigts.

Alors que je termine l’aile gauche, une ligne de cendre s’est formée au sol. J’entame l’aile droite. À aucun moment je ne perçois de mouvement de sa part, j’en déduis que je m’en sors bien ? Tandis que je passe un dernier coup de peigne, Astaroth se retourne. Je lui tends son bien, mais il me dévisage, arquant un sourcil tout en déployant à nouveau ses ailes. Il me faut quelques secondes pour comprendre que je dois aussi brosser cette face des ailes. Je m’exécute aussitôt avant de recevoir une remarque désobligeante.

Je me sens plus assurée dans mes mouvements et pourtant, je suis troublée. La chaleur qui émane de lui. La douceur enivrante de ses plumes. Malgré moi, je repense à hier, je me remémore ses caresses…

Non. Je ne dois pas.

Je secoue légèrement la tête pour me sortir ces images… me déconcentrant de ma tâche et me faisant appuyer plus que nécessaire sur le peigne. Astaroth siffle aussitôt tout en écartant son aile de mon touché. La panique me gagne.

— Pardon ! Pardon ! Je n’ai pas fait exprès ! imploré-je.

Le regard qu’il pose sur moi me couvre d’un frisson d’effroi.

— Pardon, Maître Astaroth…

Il me faut toute la volonté du monde pour ne pas m’enfuir ou me mettre en boule pour me dérober de sa vue.

— Poursuis, m’ordonne-t-il d’une voix glaciale tout plaçant son aile à nouveau à ma portée.

Je me mords les joues pour m’obliger à me calmer. Je suis trop bête, la tâche était simple et je me suis bêtement laissée déconcentrer. Que va-t-il m’infliger en guise de punition ? Les images horrifiques de son bureau et autres salles de torture ne manquent pas d’alimenter mon imaginaire et mes craintes, tant et si bien qu’à nouveau, j’exerce trop de pression sur le peigne. L’aura qui se dégage alors du démon est glaciale et terrifiante, me paralysant complètement ; je ne parviens même pas à ouvrir la bouche pour me confondre en excuses. Une décharge électrique me sort douloureusement de mon immobilité.

— Poursuis et applique-toi ou tu remplaceras Issam aujourd’hui !

Les mots ne sont pas prononcés plus fort qu’un murmure et pourtant je tremble, car la sécheresse de sa voix est à la hauteur de la menace. Je ne connais pas ce (cette ?) Issam et je veux rester ignorante.

Alors qu’il remet son manteau de plumes à portée de mon peigne, je fais appel à toute ma volonté pour lever le bras et reprendre ma tâche.

Aucune épreuve, aucun examen, rien ne m’a jamais demandé autant de concentration de ma vie. Alors que la dernière plume chue et devient cendre, j’expire enfin. J’ai fini. Je ne connaîtrai pas Issam ni son sort. Mon regard se perd un instant dans les ailes que je viens de brosser, débarrassées des plumes grisâtres, elles sont magnifiques, un véritable manteau de ténèbres. Quel dommage qu’elles soient si déformées. Une décharge électrique vient brusquement me sortir de mes pensées.

— Posture.

Je me ressaisis douloureusement. Dans mon dos, je serre fort mon poing gauche pour me retenir de pleurer, tandis que repose le peigne dans ma main droite tendue face à moi. Le démon s’en empare sans un regard pour moi, je m’empresse néanmoins de ranger mon bras dans mon dos.

— Tullia, nettoie.

Un cliquetis métallique à ma gauche me fait sursauter. Il s’agit d’un petit coffre noir d’où émerge la tête d’une femme, puis son corps long et filiforme. Comment diable tient-elle dans une boîte si petite ? Ses mouvements sont effrayants ; comme si chacun était douloureux et non naturel. Elle s’approche à quatre pattes et une fois arrivée à mon niveau, elle ouvre une gueule béante, je m’aperçois avec horreur que ses joues ont été coupées pour permettre une ouverture plus grande ! Elle se penche alors et se met à lécher les lignes de cendre au sol. Je ne sais pas ce qui me perturbe le plus : son regard extatique alors qu’elle s’exécute ou les gémissements sourds qui émanent de sa gorge lorsqu’elle avale.

Mon cœur s’emballe, est-ce là ce qu’Astaroth attend de moi ? Je jette un regard vers lui. Son visage est impassible, pourtant lorsque le cuivre de ses iris se pose sur moi, je perçois sa détermination à me briser, à me réduire au même état de soumission que Tullia.

Une fois le sol nettoyé de la moindre trace de cendre, l’esclave essuie les traces de salive à l’aide de sa propre chevelure, avant de finalement se positionner à genoux face à son maître, les cuisses écartées, les bras joints dans son dos, cambrée, soumise, offerte à cet être immonde. Mon cœur s’emballe lorsque je le vois avancer son pied entre ses cuisses. Ce spectacle me dégoûte, je détourne le regard. Les gémissements qui résonnent me glacent le sang. S’agit-il de plaisir ? De douleur ? Je ne me suis jamais senti aussi mal à l’aise. Cela dure quelques minutes qui me paraissent être une éternité.

— Retourne à ta place.

Toujours à quatre pattes, Tullia passe devant moi. Un frisson d’effrois me traverse lorsque j’entrevois le sang couler entre ses cuisses. Sans plus de cérémonie, j’entends ses articulations se démettre afin de tenir dans la boîte, celle-ci se referme dans un bruit sec. Au sol, le sang disparaît rapidement, absorbé par le marbre.

— À ton tour maintenant, annonce Astaroth d’une voix glaciale.

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