Aurélien
La forêt était silencieuse. Les seuls à braver le couvre-feu étaient les Allemands - logique, c'étaient eux qui l'avaient imposé ! - qui se déplaçaient en une chenille de blindés et de véhicules légers d'appoint vers la sous-préfecture. Il y eut comme un geste et un scintillement depuis le fourré, mais aucun des pilotes ne comprit qu'un homme venait de jeter une boîte de clous sous leurs roues. L'un des derniers camions de la colonne explosa un de ses pneus, forçant les trois autres camions à s'arrêter après lui. Le chauffeur descendit, examina le pneu et se tourna vers le pilote du blindé le précédant, qui s'était arrêté en entendant le bruit.
« Que disent-ils ? demanda Aimé à René, depuis les fourrés.
-Chut, murmura René. J'essaie d'écouter. »
Ils parlèrent en allemand, puis René lâcha un soupir de soulagement.
« La colonne continue, eux restent pour changer la roue. C'était un coup de poker, mais étonnamment ça a marché. »
Il recula à plat ventre et monta sur la première branche de l'arbre le plus proche. Et maintenant le signal - la raison pour laquelle son réseau s'appelait le Chant dans la Nuit.
Ami, entends-tu le vol noir du corbeau sur nos plaines...
Ils entendirent tous les paroles de l'air que René ne faisait que siffler et qui marqua le début de l'attaque. Guy, Pascal, Aurélien, Lucien, Aimé, Gaston, même les trois hommes que lui prêtait le Chasseur, chef d'un autre réseau du coin, bondirent vers le camion, désarmèrent ou tuèrent les Allemands le gardant et pillèrent tout. Avant que le reste de la colonne n'ait pu se rendre compte et faire demi-tour, ils s'étaient tous éparpillés.
« Albatros ? demanda l'un des gars de l'autre réseau à René. Où allez-vous cacher tout ça ? Le Chasseur voulait dix pourcents des muni...
-Dis au Chasseur que je lui laisserai les dix pourcents promis dans le vieux moulin à aube près du gué, répondit René. Cendrillon montera la garde. Qu'il y soit à onze heures.
-Merci, Albatros, dit le gars de l'autre réseau. Mais un seul gars ?
-J'ai confiance en tous mes gars, ils valent vingt Allemands individuellement, à eux tous ils sont encore meilleurs, riposta René. Si ça ne te plaît pas, tu peux monter la garde avec lui.
-Non, non, ça va, recula le gars de l'autre réseau. Je transmettrai au Chasseur. »
Il emmena ses deux hommes tandis que René et les autres retournaient dans la grange qu'ils occupaient, derrière la ferme des Legrand. Celui-ci prit d'ailleurs Aimé, Gaston et Guy à part et leur dit :
« Pensée, Saint-Ours, Cendrillon, vous vous relayez au vieux moulin. Cendrillon, tu prends bien sûr la dernière garde pour être là quand le Chasseur ou ses hommes arriveront. Les deux autres, vous revenez prendre du sommeil à la grange à deux heures et huit heures, arrangez-vous pour l'ordre de garde. Je me placerai avec le Chanoine, le Petit Mitron et Cupidon autour du moulin pour vous couvrir vers dix heures - ils doivent venir vers onze heures. Rappelez-vous les codes...
-Le Chant des Partisans pour une attaque, Tea for two pour un repli, et la Marseillaise pour indiquer qu'on est tombé dans un piège et demander aux autres de rester loin, récapitula Saint-Ours, plus connu sous le nom de Gaston. C'est bon, Albatros, va dormir, on s'occupe du reste. »
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