Statues
Tandis que les yeux du bûcheron s'habituaient à l'obscurité, plus profonde encore ici que dans sa cellule car aucune source de lumière n'était présente dans l'alcôve, ses autres sens lui envoyèrent un message ; referme la porte. Referme-la avant même de voir pourquoi.
Il entendait de lointains bruits de chaînes roulant sur le sol, des sons métalliques allongés qui résonnaient plus que de raison, le doux mais inquiétant ruissellement de l'eau, creusant à travers les parois rocailleuses, des gargouillements terrifiants, des grognements incontrôlés, des râles et des raclements de gorges.
Il sentait l'odeur habituelle des vieilles grottes – bien qu'il ignorait cette senteur – mêlée à une aggressive exhalaison de transpiration. Le violent relent de renfermé qui s'introduisait dans les narines du prisonnier laissait malgré tout une place conséquente à des haleines fétides dignes d'un cimetière.
Il ressentait une légère brise s'échapper dans sa direction. Plutôt froide, elle devenait en de brefs instants tempérée, comme un souffle.
Les iris dilatées au maximum, Quinquati entraperçut enfin le contenu de la salle : une vingtaine de stalagmites déformés. Il s'aventura à pas feutrés dans la pièce et ralentit encore l'allure quand il remarqua que les piliers rocheux étaient en fait des statues immobiles. Il croyait les voir bouger, mais il ne se faisait pas d'illusion ; Ses yeux lui jouaient des tours. Désormais adaptés au noir autant que leur métabolisme le permettait, ils distinguèrent une cavité au fond de l'alvéole. Le chemin que suivit l'évadé l'amena tout proche d'une statue. Un frisson de terreur parcouru son échine ; il avait ressenti de l'air chaud s'enfuir de la sculpture et se répandre sur son épaule, humé une émanation méphitique, et entendu une sombre respiration. Il tourna le plus doucement du monde sa tête vers la représentation de pierre ; il en était sûr à présent, elle se mouvait, lentement, au rythme d'une respiration décontractée. Paniqué, Quinquati faillit se précipiter vers la sortie. Mais était-ce seulement la sortie ? Il s'autorisa une profonde inspiration, la main devant sa bouche, pour reprendre son calme.
Il déambula précautionneusement entre la colonnade endormie. Il remarquait désormais quelques discrets ronflements caverneux. Pratiquement arrivé au bout, une voix criarde, pourtant silencieuse depuis un bon moment, hurla :
— S'eeeenfuit !
Tandis que le son se répercutait sur les murs, écho semblable à des lames aiguisées râclant le pierre, les statues se réveillèrent, se remuèrent. Comme autant d'insomniaques dérangés, elles se déplacèrent vers l'intru en hullulant telles des chouettes infernales. En y regardant de plus près, il comprit que ces choses n'étaient pas faites de pierre, mais de chair putréfiée, à l'aspect presque rocheux tant elle était abimée.
Quinquati couru vers la cavité au fond de l'alcôve. Il s'abaissa pour éviter les bras des somnanbules en face de lui tentant de l'attraper, slalomma entre ceux qu'il pouvait et repoussa en le percutant le dernier qui lui barrait la route. La sortie ne donnait en fait que sur un long couloir rocheux et sinueux. Grâce à l'adrénaline, le bûcheron couru à en perdre haleine. Par chance, ses poursuivants n'étaient pas bien rapides, bien que déterminés.
Le corridor semblait interminable. Puis soudain, la délivrance : de la lumière parcourait timidement les parois. La lueur devenait de plus en plus présente. À un tournant, il tomba nez à nez avec trois statues. Quinquati désespéra ; L'une d'elle tenait une lanterne. C'était ça, la lumière au bout du tunnel... Les deux autres tenaient maladroitement des sabres, comme si leurs muscles étaient composés de gelée, incapables de supporter le poids de l'arme. Quinquati arrêta de courir et évalua la situation. Impossible de passer à côté sans risquer de se faire taillader. Il faudrait les vaincre. Si ces adversaires étaient aussi faiblards que leur apparence le suggérait, il pourrait en venir à bout sans trop de difficulté.
Il ne put analyser davantage ; les décharnés l'avaient repéré. Le bûcheron frappa le premier. Son bras expérimenté découpa le tronc du premier en entier d'un seul coup. Le trop plein de force qu'il avait déchargé le déstabilisa face au second. La lame rouillée atteignit son torse. L'entaille, bien que peu profonde – le sabre étant très émoussé – lui procura une intense souffrance. Et cette douleur lui prodigua assez de rage pour découper le bras, puis la nuque, du pseudo-homme. De manière intriguante, les deux ennemis renversèrent une quantité de sang à peine plus abondante que celle coulant de la plaie de l'évadé.
Alors qu'il allait achever le dernier, celui-ci s'exprima, d'une voix déraillée :
— Pitié. Je me rends.
— Donne-moi ta lanterne.
Le rachitique accepta. Il fut coupé en plein milieu de son remerciement en même que sa glotte par la hache.
Quinquati avançait désormais plus lentement, sa blessure lui faisant affreusement mal. Il plaçait son bras – celui tenant son arme – sur elle afin d'endiguer le sang qui y suintait, ce qui ne fonctionnait que très peu. Les bruits de pas et de grognements derrière indiquaient que le cortège de scupltures vivantes se rapprochait. Quinquati pouvait presque sentir leurs langues dans son dos. Affolé par cette pensée, il se força à courir de nouveau. Il n'eut pas à tenir bien longtemps : Une porte de bois apparut. Un simple loquet la maintenait fermée de l'intérieur. Il déverouilla le mécanisme, entra, et referma derrière-lui grâce à un second loquet se situant de l'autre côté. À peine eut-il le temps de souffler qu'une voix, accompagnée de la pire des haleines, l'incita à se retourner. Une voix disloquée, torturée, dont il était impossible de dire si elle fut grave ou aigüe.
— Salut !
— Bonjour ?
L'abomination qui lui avait adressé la parole ne ressemblait à rien de rassurant. Sa forme physique, si monstrueuse, ne pouvait même pas être imaginée lors des pires cauchemars. Quinquati fut pris de vomissement. Cette monstruosité était plus horrible encore que toutes les descriptions de Lucifer que lui avaient peintes les membres de l'Église. Plus atroce encore que la bête qui l'avait capturé et enfermé ici.
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