22 h : je me trouve, seule, à proximité du pont St Esprit. C'est l'heure de la Mascleta. D’évidence c’est bien plus qu'un simple feu d'artifice auquel j'assiste : certains de mes sens se retrouvent à cet instant T exacerbés. Dans le blanc des yeux émerveillés des enfants je perçois le reflet de couleurs jaillissantes striant le ciel par fusées explosives. Ce feu d’artifice reflété est aussi beau que le réel, à voir au-dessus de nos têtes.

Je m’amuse à suivre la trajectoire de la retombée de restes incandescents, terminant au ralenti leur descente sur la surface de l'Adour. La magie donne très lisiblement un effet miroir d’une ligne d'horizon colorée. Les détonations semblent à chaque fois relancer mon cœur, que jusque-là j’ignorais éteint. Il repart, comme s'il s'était arrêté les 360 autres jours qui séparent deux sessions de fêtes de Bayonne, comme les 360 degrés d’un tour complet de cercle. Et c’est immanquablement aux fêtes que mon cœur reprend la grande impulsion annuelle nécessaire à un autre cycle d’attente, véritable manifestation d’un moi intérieur reconnecté à sa mère citadine : Bayonne.

La Mascleta, c’est un peu mon pacemaker, celui qui donne à mon cœur la juste note à avoir pour accueillir la joie comme il se doit, et qui m’assure d’être bien vivant. C'est alors cette pyrotechnie qui rallume ma flamme et fait rejaillir la fontaine de Jouvence que j'ai en moi, tarie par le reste de l’année plus terre à terre et asservissant.

Comme une ode à la vie en même temps qu'un moment d'introspection que nul ne suspecte en me croisant aux fêtes, tous les souvenirs des années antérieures reviennent à mon esprit en une joyeuse pagaille qui mélange mon premier baiser à ma première cuite, en passant par des flashbacks de bandes d'amis qui finissent par changer, au fil de l'itinéraire de vie. À la réflexion, Bayonne m’a vu grandir. Néanmoins quel que soit cet itinéraire me concernant, c'est ici qu'il me plait de revenir, comme un rendez-vous avec la ville elle-même que je ne veux pas rancunière après mon choix d'une vie qui m'a menée ici et là ailleurs en France, en Angleterre.

Je veux que ma ville de Bayonne sache combien je l'aime, combien je la chante et combien elle me manque quand je n’y suis pas. Et je crois même l’avoir quittée pour mieux l'apprécier quand j'y reviens. Quand je parle d'elle alors que j'en suis loin, le simple fait de prononcer son nom me donne une nostalgie qui me fait l'aimer encore plus. A chaque fois que je vois un reportage citant Bayonne, je m’entends déglutir émotivement et je crois pouvoir sentir ma pupille se dilater comme pour mieux capturer la moindre image qui pourrait filtrer à l’écran. En même temps, j'ai cette furieuse envie d’éteindre la télé, que personne d'autre que le million de visiteurs déjà présent chaque année n'entende qu'il existe dans un coin de France un tel morceau de paradis. Et pourtant j'ai tort. La ville a pour chaque visiteur un bout de terre promise à offrir.

À quelques échauffourées près, ces fêtes restent un évènement culturel d'intérêt général, et même providentiel à en croire les témoignages ! Quand je reviens à Bayonne, à l'occasion de ses fêtes, j'ai cet afflux soudain d'un sentiment de rentrer au bercail. Je baisse ma garde, je rouvre mon cœur complètement, je respire à pleins poumons, je retrouve l’entièreté de ma personne... Comme une rebelle qui aurait quitté toute une vie sur un coup de tête un jour puis qui reviendrait mi fière, mi penaude avec l'intention de faire son mea culpa pour mieux renouer les liens négligés géographiquement. Ma ville m'accueille alors, fairplay, parée de sa plus belle robe rouge et blanche portée pour l'occasion de ces retrouvailles !