1. Bondage
Jack jeta un dernier coup d’œil perplexe à sa carte, puis à la passe rocheuse, et à nouveau sur le parchemin. Pas de doute. Il était au bon endroit. Ragaillardi, l’aventurier réajusta son baluchon sur son épaule et se remit en route.
Pourtant jeune, élancé et athlétique, la varappe qui l’attendait ne manquerait pas de l’essouffler. Il escalada un premier éboulis, se hissa sur une corniche et se contorsionna pour se faufiler à travers une brèche de la montagne. Après tant d’efforts, Jack ne pouvait qu’espérer voir ces derniers rétribués.
La légende racontait que trois génies se terraient au cœur de cette montagne. Ces êtres surnaturels seraient en mesure d’exaucer le vœu le plus cher de Jack, celui qui lui offrirait le bonheur inestimable de sa vie. Et étant donné le prix que Jack avait déboursé pour cette carte qui en dévoilait le chemin d’accès, il valait mieux que l’aventurier soit superstitieux.
Son cœur battit sur un rythme plus assidu lorsqu’il pénétra une caverne qui l’obligea à allumer sa lampe. Il suivit la veine rocheuse. À chacun de ses pas, le bruit d’une eau ruisselante s’intensifiait. Il découvrit la cascade à l’origine de ce tintamarre. Elle achevait la voie.
D’une main passée au travers du rideau liquide, l’aventurier réalisa que le chemin se poursuivait derrière. Il n’hésita pas, prit une grande inspiration et franchit ce mur perméable vers une nouvelle profondeur de la grotte.
Hélas, une fois de l’autre côté, sa lampe refusa obstinément de se rallumer. Avait-il suffi de trois gouttes d’eau pour la mettre hors d’état ? Jack ne se laissa pas décourager et persévéra à l’aveuglette, en tâtonnant la paroi.
L’écho d’un rire cristallin se réverbéra tout autour de Jack. Sa chair de poule se dressa et son souffle se fit erratique. S’agissait-il des génies qu’il cherchait ou d’un ennemi ? Dans tous les cas, le jeune homme n’osa pas signaler sa présence et reprit sa route le plus discrètement possible.
Puis la paroi s’arrêta, comme si Jack venait de déboucher dans une cavité plus large de la grotte. Il se risqua à faire quelques pas vers ce qu’il imaginait être le centre, puis en réalisant qu’il risquait surtout de se perdre en lâchant le repère de la paroi, Jack recula.
Son dos heurta une masse. Vivante. Jack voulut crier de stupeur, mais une main se plaqua sur sa bouche, tandis qu’une autre lui saisit les bras. L’aventurier n’avait pourtant entendu aucun bruit ! Il n’imaginait pas qu’un individu puisse le prendre par surprise. Non, deux individus… trois même !
Il s’en rendit compte lorsque ses agresseurs le firent tomber au sol. Jack se retrouva plaqué ventre contre terre pendant que les mains s’activaient à ligoter ses bras dans son dos. Il pouvait sentir distinctement le frottement du chanvre contre ses bras nus, puis les liens se resserrer sur ses poignets, avant de venir scier les muscles de ses biceps.
Étrangement, la sensation n’était pas si désagréable que cela. Même si ne pas savoir entre quelles griffes il était tombé le gonflait de stress, Jack ne pouvait s’empêcher de sentir une bouffée de chaleur l’envahir. Alors qu’un genou plaqué sur ses omoplates le réduisait à l’impuissance pendant que la corde rétrécissait l’espace entre ses bras.
Bien sûr, Jack tenta de crier, de s’offusquer, mais on plaça un morceau de bois entre ses dents. Des cordes nouées derrière sa nuque tenaient solidement en place ce bâillon de fortune. Quand les mains le redressèrent pour faire passer de nouveaux tours de cordes sur sa poitrine, Jack se dit qu’un jambon n’aurait pas été mieux ficelé.
La contrainte lui procura une nouvelle vague de frissons, quand il sentit une poitrine chaude se plaquer dans son dos, qu'un parfum de vanille assaillit ses sens et que la caresse d’une chevelure douce passa sur sa joue. Des femmes ? se demanda Jack. Que faisaient-elles ici ? Et que lui voulaient-elles ? Jack songea qu’il ne tarderait pas à être fixé lorsque l’une d’elles se pencha à son oreille.
— Lève-toi et suis-nous docilement, mon mignon.
Son souffle était chaud et renvoyait une caresse agréable sur sa joue. Sa voix profonde et suave fit frémir son échine. Jack réalisa que ses jambes tremblaient lorsqu’il s’efforça de se redresser pour obtempérer. Par « chance », une poigne ferme l’aida en tirant sur ses liens. Jack en eut le souffle coupé.
Tiré par l’avant, poussé par l’arrière, agrippé par une épaule, Jack n’avait guère le loisir de se soustraire à l’ordre de la femme. Surtout pas alors que ses bras douloureusement accolés dans son dos et sa mâchoire entravée ne lui laissaient plus que le contrôle de ses jambes.
Jack marcha de longues minutes au sein de son escorte. Il ne se sentait étrangement pas si inquiet. Après tout, peut-être que ces étranges créatures féminines étaient là pour le mener directement aux génies ? Il revit cependant l’opinion amicale qu’il s’était forgée d’elles lorsque l’une envoya un coup sur son tibia pour le faire se mettre à genoux.
Jack sentit les trois présences s’éloigner, puis la luminosité revint dans la caverne à ce moment-là. Sauf que de caverne, il n’y avait plus.
Jack dut cligner des yeux plusieurs fois pour bien réaliser qu’il se trouvait dans un intérieur qui respirait le faste. Ce salon arrondi était fait de véritables murs couverts de lourds rideaux pourpres ou de tableaux invoquant des scènes décadentes. Une large cheminée drapait l’atmosphère de chaleur, tandis que les divans et fauteuils soulignaient le confort de l’habitat. Mais ce n’était pas ce décorum qui aurait fait se décrocher la mâchoire de Jack – si elle n’avait pas été bloquée par le morceau de bois.
Non, le plus perturbant s’avérait sans conteste être l’allure de ses ravisseuses. D’apparence diaboliquement humaine, Jack songeait néanmoins qu’aucune créature mortelle n’aurait pu se parer de si beaux atours.
La première jetait un regard sévère au jeune captif. Un carré violine encadrait son visage de porcelaine sur lequel brillaient deux perles d’obsidienne en amande. Ses lèvres, d’un rouge purpurin, s’étirèrent en un sourire vicieux.
— Tiens, tiens, siffla-t-elle. On dirait qu’un agneau s’est égaré par chez nous.
La seconde, par contraste avec sa comparse, incarnait la personnification de la douceur. Son teint diaphane était parsemé d’adorables taches de rousseur en corole sur un petit nez retroussé et ses yeux d’un azur aquarelle couvaient la pauvre silhouette saucissonnée. Elle s’en approcha voluptueusement pour en caresser la joue et laisser tomber sur le crâne de Jack une cascade de cheveux roux savamment ondulés.
— N’aie pas peur, trésor. Nous allons prendre soin de toi, soupira-t-elle d’une voix laiteuse.
Ses mains passèrent derrière sa nuque et ce toucher trop soyeux électrisa son duvet. Les doigts agiles détachèrent le bâillon duquel un filet de bave perlait lorsqu’elle le retira de sa bouche.
La troisième femme observait ce spectacle avec un sourire moqueur. Elle arborait la beauté la plus fougueuse. Les reflets orangés de la lumière tamisée dessinaient de fascinantes arabesques sur sa peau noire. Sa chevelure, sur le même nuancier, ondulait comme une fière crinière, seulement domptée par quelques tresses au sommet du crâne. Son menton prononcé était traversé d’une charmante fossette, tout comme le creux de ses joues.
— Bienvenue dans notre demeure, misérable créature.
Malgré l’insulte, l’impétueuse nymphe ne pouvait retenir un sourire exquis en contemplant sa proie. Jack était resté coi devant ces déesses suffisamment longtemps. Ayant à peine retrouvé ses esprits, l’aventurier balbutia :
— Qui… Qui êtes-vous ? Et où sommes-nous ?
La majestueuse créature déploya sa gorge pour en tirer ce rire qui avait fait trembler Jack en entrant dans la caverne.
— Voici Violet, présenta-t-elle en désignant la sylphide au carré avant de tourner sa main vers la rousse, puis Vermeil et je suis Velvet. Mais cela ne changera rien pour toi, car tu nous appelleras Maîtresses.
Jack dut cligner des yeux à plusieurs reprises, ne comprenant pas bien les dires de cette femme somptueuse. Jack s’attendait à les voir s’esclaffer d’une seconde à l’autre, alors d’autres lumières s’allumeraient et quelqu’un viendrait le détacher, hilare, en expliquant que tout ceci n’était qu’une vaste blague – et dire que Jack avait failli marcher. Mais non. Les trois grâces restaient de marbre, les bras croisés comme si elles escomptaient une réponse de Jack.
Si Jack n’avait pas été aussi perturbé par les charmes de ses ravisseuses, peut-être aurait-il pu profiter de cette occasion pour prendre la poudre d’escampette. Mais mieux valait qu’il n’ait pas eu ce genre de velléités, finalement : avec ses bras toujours comprimés dans le dos, il n’aurait guère pu les semer.
Ce fut, une fois encore, la délicate rousse qui vint à son secours, en se penchant à hauteur de son visage et caressant sa joue d’une phalange distraite.
— Ce que veut dire Velvet, c’est que tu es notre esclave désormais. Soumets-toi si tu souhaites pouvoir continuer à vivre.
Sa voix aux accents de berceuse ne pouvait décemment s’accorder avec son chantage.
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