Chapitre 16 : Manipulations (2)
Keenan parut comprendre le message et hocha la tête avant de rejoindre Faric. Vyrian ne pouvait détacher son regard du bandage improvisé. Si bien que Mère lui ouvrit une page informative sur les textiles du Monde Mythique.
Vyrian y découvrit une facette cachée de la culture mysticienne. La tenue du mage était constituée de matériaux composites. Le scientifique apprit que la tunique avait été tissée en laine de Picriin. Le biologiste se souvenait avoir déjà vu ce nom.
Après un instant de réflexion, la mémoire lui revint. Il s’agissait des cousines des Textys. Si bien que lorsqu’il découvrit la multitude de possibilités qu’offrait leur laine, il n’en fut pas étonné. Cette toison ne pouvait être prélevée que lorsqu’elle se trouvait en abondance sur l’animal. Lui retirer trop précocement pouvait nuire à la santé de la créature. Une fois tondue, la laine gardait ses caractéristiques sans vieillir, son absorbance en faisait un composant de choix pour les bandages, la configuration de ses fibres s’adaptait à leur porteur. Si le détenteur transpirait ou était mouillé, les fibres s’espaçaient et le tissu séchait plus rapidement. Au contraire lors de froid, les mailles se resserraient et à force d’enroulement, l’épaisseur du tissu augmentait gardant le porteur au chaud. Pour les saletés, les fibres contaminées s’autonettoyaient en découvrant la souillure si bien qu’aucune infection ne pouvait être contractée.
Rassuré Vyrian cessa de fixer le pansement. Bien qu’il soit curieux sur les composants du reste de la tenue du mage, il préféra se reconcentrer sur la situation actuelle.
Lorsque Keenan regagna l’extérieur, Vyrian découvrit que la nuit était tombée. Les cachots se trouvant en périphérie du village, le biologiste observait de loin Altéryx éclairé par les arbres de nuit. Le spectacle était magnifique. Le vent faisait onduler les ombres colorées des arbres sur les murs des habitations dans un ballet végétal.
Faric attendait Keenan à la lisière de la forêt. Le mage le rejoignit et s’arrêta à bonne distance du politicien. Devant l’espace qui les séparait Faric sourit. Vyrian aurait voulu lui faire ravaler son air satisfait. Comment aurait-il pu en vouloir à l’Exilé de se tenir éloigné de cet homme ? Malgré cette précaution, Keenan se permit de charrier l’Altérien.
— Alors de quoi vouliez-vous me parler loin des oreilles indiscrètes ?
— Pour rappel, je te propose que tu me ramènes Yomi en échange de ta protégée. Bien sûr, comme tout marché, il y a des conditions. La Fusionnée ne devra rien savoir et tu devras agir seul.
— Pourquoi ne pas juste la laisser se faire exorciser par un autre village et laisser sa « remplaçante » partir ?
Vyrian remarqua l’attention que Keenan fit pour ne pas révéler l’identité de Feyna. Moins Faric en saurait, mieux ça serait.
— Parce qu’il s’agit de notre responsabilité ! Nous ne pouvons la laisser dans la nature. Elle risquerait de nuire à autrui !
— C’est vrai qu’en matière de nuisance vous en connaissez tout un rayon !
— Assez plaisanter. Que préfères-tu ? Faire endurer des souffrances inutiles à une innocente ou exorciser la véritable Fusionnée ? Je te conseille de ne pas me désobéir. A chaque faux pas que tu feras, c’est ta petite protégée qui en paiera le prix. Alors que choisis-tu ? M’aider à accomplir la justice ou observer les souffrances d’une innocente.
Keenan prit son temps pour répondre. Vyrian se rappela qu’il devait gagner du temps pour Feyna. Plus il garderait Faric loin de l’hybride, plus Pitchi aurait le temps de lui transmettre un pouvoir et de l’entrainer. Mais le temps commençait à lui manquer, Faric s’impatientait.
— Justice ? Je serai curieux d’en connaître votre définition.
— Je n’ai pas besoin de ton approbation pour gouverner gamin.
— Un bon bras droit ne serait pas du luxe. Quand on voit que vos concitoyens ne sont pas capables de reconnaître une Fusionnée, je n’ose imaginer le reste.
— Rappelle-toi, je connais la sentence qui pèse sur ta tête. Je sais ce dont tu es accusé. Il serait facile de te piéger.
Vyrian se rappela des propos de Faric à l’encontre du mage. Lors de leur précédente confrontation, il l’avait accusé d’avoir tué son mentor, l’ancien chef de la Confrérie des sages. Le biologiste utilisa la fonctionnalité « Historique » et tout comme avec Pitchi, il eut accès au vécu de Keenan. Il en profita pour faire de même avec Faric.
Alors qu’il s’apprêtait à visionner les données, il fut interrompu par la réponse du mage. Jamais, il ne l’aurait cru capable d’une telle insolence.
— Pourquoi vous en priver ?
Vyrian attendit la réponse du politicien, mais il semblait avoir perdu sa répartie. L’homme avait les poings crispés et les lèvres serrées, si bien qu’elles se limitaient à une fine ligne légèrement rosée.
— …
Ce sur quoi Keenan prit un plaisir à enchainer.
— Nous sommes d’accord, c’est facile de menacer, moins d’agir. Mais je ne vous en veux pas. Après tout vous n’êtes pas adapté pour ce poste. On ne peut pas trop en attendre de vous.
Vyrian ignorait ce qui se passait, mais il était persuadé que quelque chose n’allait pas. Faric ne serait jamais passé à côté d’une telle opportunité. Le biologiste ne pouvait croire qu’il laisse passer une occasion de soumettre le mage. Il regarda le politicien tenter de se reprendre, mais ses propos avaient perdu leur mordant.
— Estime-toi heureux que je te laisse le choix, je pourrais très bien t’y contraindre.
— Le choix ? Vous parlez du chantage ?
— Qu’importe ! Je t’offre la possibilité de sauver ta protégée. Quant à moi je récupère la Fusionnée qui nous a échappé. Tout le monde est gagnant.
Pour Vyrian, il ne faisait plus aucun doute, Faric tentait d’abréger la conversation. Mais que lui arrivait-il ? Le biologiste ignorait si le mage percevait l’impatience du politicien, mais si c’était le cas, il ne parut pas en tenir compte et répéta les propos de Faric songeur.
— Tout le monde est gagnant
Le scientifique l’imaginait penser à Fara et Dallan. Keenan s’apprêtait à prendre en chasse leur fille. Mais, d’un autre côté, ils avaient paru si sûrs d’eux, si déterminés. Vyrian comprit que son cheminement n’était pas incohérent, lorsqu’il vit l’expression faciale du mage varier selon les émotions qui l’animaient. L’Exilé semblait suivre le même raisonnement que le sien. Vyrian le vit détourner le regard telle la honte qu’il pourrait ressentir envers les parents de Yomi, de condamner leur fille au profit d’une étrangère. Vint ensuite le doute avec les yeux furetant en tous sens et enfin le regard perdu dans le vague avant de s’animer de la flamme de la détermination.
— Marché conclu
— Bien, tu peux partir
Vyrian vit Keenan immobile dévisager le politicien. Le scientifique devina qu’il devait être aussi choqué que lui. Après quelques instants, le mage retourna en direction des cachots, avant d’être interrompu par Faric.
— La dernière fois où la Fusionnée a été vu c’est près de la cascade. Pas loin de là où tu te trouvais. Par conséquent, tu n’as aucune raison de retourner dans les cachots. Pars, avant que je ne change d’avis !
— Pressez de vous débarrasser de moi ? Ne vous inquiétez pas, je ne compte pas m’attarder. Je vais juste récupérer ma partenaire.
Contre toute attente, Faric laissa passer une nouvelle occasion de nuire au mage.
— Très bien. Dans ce cas tu passeras la nuit en cellule.
Keenan fut reconduit dans les cachots. Vyrian observait les deux hommes de dos, plus il fixait Faric, plus il trouvait sa démarche raide et son attitude étrange. Il ne parvenait à saisir son changement de comportement.
Une fois que Keenan fut de nouveau de l’autre côté de barreaux, le politicien rebroussa chemin et Vyrian se promit de le tenir à l’œil avant que son regard ne soit happé par les visages familiers en quête d’information. Ce fut Fara qui engagea la conversation.
— Comment cela s’est-il passé ?
— Comme prévu. Je pars demain. Et pour Feyna ?
— Une imitatrice
— Pas mal ! C’est plutôt dans le thème compte tenu de la situation.
Plongé dans la découverte du pouvoir de Feyna, Vyrian en oublia Faric et ses incohérences. Ainsi, le scientifique apprit que les imitateurs étaient des personnes pouvant prendre temporairement les aptitudes d’autres êtres, réels ou mythiques. A condition, de parvenir à identifier leur flux magique et de s’en approprier une partie, obtenant ainsi leur pouvoir et affaiblissant leur propriétaire par la même occasion.
Un détail interpella Vyrian. Feyna n’étant pas habituée à la magie, pouvait-elle discerner les fameux flux ? Il ne tarda pas à en avoir la réponse. Keenan était tout aussi curieux.
— Alors qu’est-ce que ça donne ?
Cette fois-ci Dungal lui répondit.
— La bonne nouvelle c’est que l’hypothèse du sort de transformation interrompu n’a jamais été aussi crédible. Elle est incapable de discerner l’appartenance des flux magiques si bien qu’elle mélange tout. Tu l’auras deviné la mauvaise nouvelle, c’est qu’elle n’est pas prête de maitriser son pouvoir.
— Je vois.
Le mage jeta un coup d’œil à Pitchi comme pour demander confirmation, la petite créature roula des yeux et se laissa tomber en arrière dans un nuage de poussière. Keenan haussa un sourcil et entreprit de redresser la petite créature.
— Ça promet.
Personne ne commenta et Vyrian se rappela les deux encarts à sa disposition. Il devait en apprendre plus. Il commença par interroger Mère sur l’étrange comportement de Faric.
— Que s’est-il passé ?
Alors que les prisonniers sombraient un à un dans le sommeil, l’intelligence artificielle lui présenta les différentes possibilités qui pouvaient justifier l’état de politicien. Assommé par les diverses explications, Vyrian finit lui aussi par sentir son esprit s’engourdir.
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