Lorsque Vyrian émergea de sa torpeur, Keenan ne se trouvait plus dans sa cellule. Paniqué, le scientifique demanda à Mère de lui faire un compte-rendu des derniers événements. Il écouta l’intelligence artificielle lui faire son rapport et quand il comprit ne rien avoir manqué, il se détendit.

Comme sa guide le lui avait expliqué, il retrouva Keenan et Faric à l’entrée d’Alteryx. Le soleil éblouissait le mage le forçant à plisser les yeux devant le politicien qui n’était nullement dérangé par la lumière, lui tournant le dos.

La vue des deux hommes se faisant face rappela à Vyrian l’étrangeté de leur débat et les longues explications qui en avaient suivi. Le scientifique pouvait encore percevoir la voix monocorde de Mère.

Bien que sa concentration lui ait fait défaut, le chercheur espérait trouver des indices vérifiant les théories de l’intelligence artificielle. S’il se souvenait bien, Mère avait fait mention de trois hypothèses. La première étant une dégradation de l’état de santé du politicien suite à l’utilisation d’une magie issue des recherches sur les Fusionnés.

Vyrian étudia le visage de Faric en quête de preuves. Il découvrit des cernes noircir le contour de ses yeux. Les veines contrastaient avec la blancheur de sa peau. Le biologiste était sûr de ne pas les avoir vues la veille, il en déduisit que la nuit avait été longue pour tout le monde. Puis en y regardant de plus près, le scientifique découvrit de nouveaux changements. Il pensa un instant que le contre-jour était responsable de ce qu’il observait. Mais le phénomène se reproduisit et Vyrian put observer sous l’épiderme du politicien un cœur magique se répandre. Plus les veines se rapprochaient des yeux, plus leur couleur se faisait sombre, leur magie semblait corrompue.

Vyrian poursuivit son investigation. Alors que Faric faisait signe au mage de partir, le chercheur découvrit des bandages dépasser de ses manches. Ces deux détails lui permirent de confirmer la première théorie de l’intelligence artificielle.

En continuant ses recherches, le biologiste ne vit pas le TransMagie autour de la taille du politicien. Cette absence semblait corroborer la seconde hypothèse, l’utilisation abusive du dispositif pour augmenter la portée et l’efficacité du Violeâme affaiblissait l’Altérien.

Quant à la troisième théorie, Vyrian ne pouvait pas la vérifier, mais elle lui semblait cohérente. Faric assurait un poste qui ne lui revenait pas et cela nuisait à sa santé.

Pour la première fois depuis longtemps, Vyrian était confiant en l’avenir. Le karma rattrapait Faric, il se demanda quels autres évènements pourraient se résoudre d’eux-mêmes, avant qu’une angoisse le saisisse. Il interrogea Mère sur les changements observés chez l’Altérien.

— Risque-t-il de devenir un Fusionné ?

Seulement, sa guide n’en savait pas plus que lui à ce sujet.

— Rien de ce genre n’a été recensé.

Vyrian se rappela les deux onglets à sa disposition. Le passé du mage et du politicien était à portée de main. Le scientifique regretta de ne pas avoir eu la présence d’esprit de faire de même avec Dallan, Fara et Dungal. Il savait déjà que le couple venait du Monde Numérique, mais il ne connaissait rien de leur passé. Quant à Dungal, cet homme demeurait un mystère.

A regret, le scientifique renonça à ces données. Comprendre leur passé pourrait lui fournir de précieuses informations, mais il devait déjà rattraper le mage. Il retrouva Keenan un peu plus loin lutter contre le vent qui s’était levé. Pitchi avait cessé de voler à ses côtés et s’était installée sur son épaule. Ce qui fit sourire l’Exilé qui ne put résister à l’envie de taquiner sa partenaire.

— Fainéante !

Pour toute réponse, la Textys lui tira la langue. Le mage qui rit de plus bel et s’essouffla par la même occasion.

— Et mal polie en plus !

Cette boutade fit vivement réagir la petite créature qui pépia à tout-va, pointant du doigt Keenan.

— Comment ça c’est de ma faute ?

Pitchi croisa les bras et hocha la tête en signe d’approbation.

— Tchii !

Les voir se charrier détendit un peu le scientifique, bien qu’il restait vigilant. Il espérait que le trajet ne soit pas trop long. Plus le trajet s’éterniserait, plus Keenan s’affaiblirait et Vyrian craignait une embuscade de la part de Faric. Il n’oubliait pas que le mage était blessé.

En réponse à ses craintes, Mère lui projeta un plan du village et de sa périphérie, la cascade se trouvait à peine à cinq kilomètres d'Alteryx. Si bien que Keenan avala la distance en une vingtaine de minutes.

Arrivé au pied de la chute d’eau, le jeune homme s’aspergea le visage. Le symbole du projet Trimondes sur sa main se refléta à la surface de l’étang. Keenan observa son reflet déformé par les gouttes d’eau qui perlaient de son visage. Alors que l’image se stabilisait, son tatouage s’embrasa.

La douleur et la surprise altérèrent l'expression du mage. Ses jambes se dérobèrent sous lui et il éclaboussa Pitchi qui s’amusait non loin de là à essayer de marcher sur l’eau sans créer d’ondulation. La Textys se trouva trempée des pieds à la tête. Elle entreprit de râler, mais sa plainte resta bloquée dans sa gorge devant l’état de Keenan.

Tremblant, le mage observa un cadran apparaître et se superposer au symbole. Un point scintillait en bordure. Fébrile, Keenan s’épongea le visage et tenta de stabiliser sa main. A force de tressautement le signal était illisible. Il y parvint et vit le cadran changer.

Vyrian eut à peine le temps de reconnaitre la typologie du Monde Mythique, que les montagnes d’Hemyra, la fontaine d’Hydrios, la forêt de la Confrérie des sages et la cascade d’Alteryx avaient fait place à une nouvelle carte. L’endroit semblait uniforme et seule une forme s’en élevait au centre. Un seul paysage correspondait à cette description. Vyrian se rappela le désert de cendres qui constituait le Monde Numérique. Le cadran le conforta dans son hypothèse. Il pointait la direction prise par Yomi durant sa fuite. Le scientifique fit le lien entre les deux. Le symbole indiquait à l’Exilé où trouver la jeune femme.

Le craquement d’une brindille fit sursauter le mage et Vyrian le vit se relever difficilement, alors qu’à quelques pas de là, l’ombre d’une personne dépassait du couvert des arbres.