Chapitre 23 : Du sang sur les mains (2)
Le scientifique le regarda, médusé. Il peinait à se remettre du choc.
— Que se passe-t-il ? Où sommes-nous ?
Le soldat le regarda longuement, semblant analyser les dégâts qu’il avait pu prendre dans sa défaite.
— Nous sommes dans un des vaisseaux des Régisseurs. Vous avez été capturés hier. Vous ne vous en souvenez pas ?
— Si, si.
Les souvenirs du scientifique lui revinrent par vagues. Il se prit la tête entre les mains. Il peinait à démêler ce qui lui était arrivé de ce qu’il percevait des autres mondes. Les douleurs se confondaient, les émotions se mélangeaient. Peu importe leurs origines, la souffrance était universelle. Un tremblement secoua son corps et un filet de sang perla de son nez. Il regarda les gouttes s’écraser sur le sol. Son corps ne semblait pas supporter le cadeau que Mère lui avait fait.
Dinaïn le fixa avec attention, mais n’émit aucun commentaire sur son état.
— La guerre a repris. La résistance a saboté les vaisseaux. Les autres clans ne devraient pas tarder à attaquer.
Vyrian avait vaguement eut le temps de consulter les données de Mère. Il connaissait les ravages que la guerre entre les cinq clans avait engendrés sur le Monde Numérique. Ainsi, ils remettaient le couvert. Que resterait-il de ce monde à la fin ?
— Pourquoi t’en réjouis-tu ?
— Je suis libre ! Je vais pouvoir faire regretter à mon peuple l’erreur qu’il a commise. Mais trêve de bavardages, il est temps de déguerpir !
Dinaïn s’élança, suivi de Nick. Vyrian ignorait quels liens les deux jeunes hommes avaient tissés durant leur incarcération. Néanmoins, ils semblaient mus par le même but : la liberté.
Vyrian se joignit à leur course. L’alerte avait été donnée. Des sirènes répandaient un son strident dans l’espace étroit des couloirs, tout en tapissant les murs de faisceaux rougeâtres.
Au détour d’un virage, le scientifique entendit des cris. Il s’arrêta devant les portes d’une salle et entra. Une odeur de désinfectant lui assaillit les narines, la senteur semblait imprégner les murs mêmes de la pièce. Trois corps informes se balançaient au bout de chaînes. Vyrian comprit qu’il s’agissait des Ombres retenues prisonnières, celles que Kayle et Vanea étaient venus sauver.
Le scientifique entendit la porte s’ouvrir derrière lui. Nick et Dinaïn le rejoignirent. Le soldat ne put s’empêcher de commenter la scène.
— Triste spectacle.
Vyrian approuvait les paroles du Régisseur et comptait bien y remédier.
— Il est temps que cela cesse.
Surpris par sa brusque implication, Dinaïn l’interrogea.
— Que comptez-vous faire ?
— Les opérer.
Contre toute attente, Nick proposa son aide.
— Je vais vous aider, j’ai déjà assisté mon père dans des chirurgies.
Vyrian ne doutait pas des compétences du jeune homme. Par contre, il se méfiait de ses motivations. Simple charité ou stratagème pour essayer d'obtenir des informations sur Feyna ? Quoi qu'il en soit, il refusa la proposition.
— J’ai bien peur que tu ne puisses m’aider.
Vyrian ne souhaitait pas vexer le jeune homme, mais dans une situation comme celle-ci, l’aide de Dinaïn lui paraissait plus appropriée. Le soldat devait connaître le mode opératoire de son peuple, il pourrait ainsi l’aider lors de la chirurgie.
— Tu m’aideras en montant la garde. Au moindre mouvement, tu nous préviens ! Toi, le soldat, avec moi ! J’ai besoin de tes connaissances !
Le scientifique fut surpris de l’autorité qu’il perçut dans sa propre voix. Il n’en montra rien et s’avança, déterminé à sauver ces pauvres gens.
Il chargea les fichiers de Mère concernant les Infovirus et apprit leur fonctionnement. Apparemment, ils avaient la capacité de contaminer toute chose, organique ou matérielle et d'en prendre le contrôle. Une fois le contrôle pris, les connaissances des êtres vivants et les programmes des appareils étaient transmis au QG des Régisseurs. L'étape finale de contamination provoquait un changement radical de la personnalité. L'organisme devenait alors entièrement animé de la haine que portaient les Régisseurs aux autres clans.
Plus motivé que jamais, Vyrian avisa un présentoir sur lequel reposaient plusieurs outils d’opération. Le scientifique choisit une pince et un scalpel et se dirigea vers ses patients. Dinaïn sur ses talons.
Le regard que lui renvoyèrent les trois Ombres le fit frémir. Il percevait leurs attentes. Il s’approcha du plus proche et s’excusa par avance pour ce qu’il s’apprêtait à faire. Précis, il sectionna l’un des poignets et des filaments rougis de sang apparurent. Il se saisit de la pince, les attrapa et tira.
Les hurlements du prisonnier lui brisaient le cœur. Mais il ne pouvait faire autrement, il devait les faire souffrir. Le seul moyen de rompre le contact entre un Infovirus et son hôte avant qu’il en prenne possession consistait à infliger une douleur telle que le corps de l’hôte devienne invivable. Le virus se nourrissant de tout l’organisme, il assimilait aussi sa douleur et souffrait par la même occasion.
Plus Vyrian extirpait les filaments du corps, plus ils reprenaient l’aspect vaporeux que leur connaissait le scientifique. La méthode en soi était la bonne. Par contre, Vyrian doutait de la résistance des prisonniers. Ils avaient subi tant de souffrance qu’il n’était pas sûr que leurs corps en supportent une énième.
Son patient lui donna raison. De ses lèvres craquelées perla du sang qui, dans un ultime souhait, éclaboussa le visage du biologiste.
— Pitié… Tuez-moi.
Vyrian se figea. La mort ne lui était pas inconnue, loin de là. En revanche, il n’avait pas pour habitude de l’apporter. Deux autres voix se manifestèrent, telles des échos.
— Pitié… Sauvez-nous… Mettez fin à notre torture.
Dinaïn n’appréciait pas plus la scène qui se déroulait sous ses yeux. A plusieurs reprises, le scientifique l’avait vu se raidir.
— Que comptez-vous faire ?
— Répondre à leur souhait.
Vyrian eut toutes les peines du monde à contrôler les tremblements de sa voix et de ses mains. Il était venu avec l’intention de les sauver, seulement il n’avait pas pris en compte que la mort pouvait être une source de délivrance. Si tel était leur souhait, il l’exaucerait.
Le chercheur laissa sa pince lui échapper des mains, resserra sa prise sur son scalpel et le retira de la plaie. Il rechercha quelque chose de plus adaptée sur le charriot d’opération pour ce qu’il s’apprêtait à accomplir. C’est alors que Dinaïn lui tendit une de ses armes. Vyrian regarda la crosse du pistolet que lui présentait le Régisseur. Il abandonna son arme chirurgicale et s’en saisit. Il remercia le jeune homme d’un hochement de tête avant de positionner l’arme sur le torse de sa victime. Il contracta les muscles de ses épaules dans le but de stabiliser l’arme et tira. Le corps de l'Ombre fut parcouru de soubresauts avant que la vie ne le quitte.
Tremblant, Vyrian regarda le sang s’écouler de la plaie. Le pistolet à air comprimé que lui avait donné Dinaïn compressait l’air qui une fois éjecté du canon de l’arme perforait les obstacles. Le projectile à peine visible n’avait eu aucun mal à traverser le corps du pauvre homme. Comme guidé par une volonté extérieure, Vyrian la mort au bout des doigts réserva le même sort aux deux autres prisonniers. Avant que la vie quittât la dernière Ombre, celle-ci la gratifia dans un soupir.
— Merci…
Vidé de son énergie, Vyrian se laissa tomber au sol. Des mares de sang se formèrent à ses pieds. Il pouvait voir son ombre s’y refléter. Celle d’un meurtrier. Il savait qu’il avait agi de la meilleure manière, pourtant cela ne suffirait pas à laver le sang sur ses mains.
Dinaïn posa sa main sur son épaule en guise de soutien.
— On ne peut pas toujours sauver tout le monde. Vous avez fait le bon choix. Même en sauvant ces personnes de ce qui les rongeait, elles n’auraient jamais survécu. Vous leur avez épargné des souffrances inutiles. Elles le souhaitaient.
— Je le sais, pourtant…
Au même moment, Nick réapparu.
— Nous avons de la visite ! Que…
Au même moment dans le couloir les voix de Kayle, Vanea et Dezaël se firent entendre. Le scientifique se retourna blême, prêt à affronter leurs jugements.
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