Chapitre 27 : Point de non-retour (3)
Zaïk leur faisait face, la FaucheSouvenirs en main. Le Matéria le fixait avec attention.
— Kaeronn m’a raconté votre petite discussion. Qu’en penses-tu ?
— Pourquoi nous nuire si votre projet est la paix ?
— Crois-tu vraiment que la Résistance souhaite la paix ?
Alors que Vyrian cherchait la meilleure formulation pour exprimer son point de vue, Saern le devança.
— Bien sûr qu’on la souhaite ! On milite pour !
L’intervention du résistant ne fit qu’attiser la colère du Matéria.
— En attaquant votre propre peuple !
Cette déclaration fit rire Dinaïn. Tous se tournèrent dans sa direction, alors qu’il démontrait l’absurdité du raisonnement
— N’es-tu pas justement en train de faire la même chose ?
Devant le débat stérile qui se déroulait sous ses yeux le scientifique intervint.
— Le sang n’amènera que le sang.
En souhaitant désamorcé la situation, Vyrian l’empira. Zaïk ne semblait attendre qu’un mot de sa part pour passer à l’attaque et il venait de lui donner inconsciemment.
— Votre camp semble tout choisi. Les pourparlers sont finis !
Vyrian aurait aimé argumenter et nier les paroles de Zaïk. Pourtant, il soutenait la résistance, sans la connaître. Le scientifique savait que son raisonnement était biaisé. Il avait inconsciemment été influencé par ses compagnons d’infortune. Mais même sans cela, les seuls actes des Régisseurs dont il avait conscience se résumaient à la disparition de jeunes villageois du Monde Mythique et à la torture de prisonniers. Aucune de ces actions, ne rendaient ce peuple sympathique aux yeux de Vyrian. Cela n’excluait pas que la résistance ne soit pas irréprochable. Mais encore une fois, il pouvait difficilement juger. Il ne connaissait rien du contexte, de plus, il ne partageait pas la même culture ni les mêmes mœurs. Même si Mère lui avait fourni les informations, il aurait conservé son point de vue d’étranger. Ses critiques se seraient reposées sur son vécu de survivant alité, non sur sa découverte du Monde Numérique.
Le scientifique mit ses pensées de côté et se concentra sur la stratégie à adopter. S’il voulait gagner, il devait réutiliser son lien avec les Numériciens et ses capacités à modifier la réalité. C’était leur seule possibilité. Ils devaient à tout prix éviter de se faire toucher par l’épée.
Il établit le contact et leur parla simultanément. Cette fois, il fit de son mieux pour contrôler les intonations de sa voix, afin que tous sachent qu’il s’adressait à eux. Il espérait ainsi créer une cohésion dans l’équipe. Dinaïn s’y adapta de nouveau sans difficulté, Nick se calma lorsqu’il reconnut sa voix, Vanea et Kayle furent surpris, mais acceptèrent rapidement la situation, ils devaient y être habitué avec l’échange que leur peuple avait pu entretenir avec Mère. Saern se félicita d’avoir deviné son identité et Dezaël fut plus pragmatique.
— J’ignore les facultés que Mère vous a octroyées, mais faites-moi plaisir, soyez imaginatif ! J’ai horreur des types comme lui. Il a souffert, c’est le lot de tous en ce monde. La soumission des clans par les Régisseurs, ne changera rien à cela !
Convaincu que sa méthode était la bonne, Vyrian projeta dans leur esprit le sociogramme. Il perçut leur surprise, les interactions n’étaient pas tout à fait telles qu’ils s’y étaient attendus. Pour compenser la différence, ils ajustèrent leur comportement en conséquence et les tensions disparurent du diagramme.
Satisfait, le scientifique y combina la représentation de leurs capacités. Ils en avaient déjà eu un avant avant-goût dans la salle de torture, néanmoins Vyrian avait décidé de les leur révéler dans l’espoir de faciliter les interactions. Il ne souhaitait plus être le seul chef d’orchestre de cette équipe. Il regarda les liens entre les membres de l’équipe se différencier selon leurs affinités.
Il garda pour lui la représentation de leur état physique, il ne souhaitait pas les surcharger d’informations. Il savait la difficulté que cela pouvait être à gérer. Il ne manquerait pas de leur communiquer selon la progression du combat. Les préparations terminées, il leur donna ses derniers conseils.
— Si vous voulez lui faire mordre la poussière, combinez vos capacités ! Il maîtrise certes les techniques des cinq clans, mais ne s’attend sûrement pas à les voir employées combinées. Et ne vous faites pas toucher par l’épée !
Vyrian perçut leurs idéaux communs. Ils souhaitaient survivre à l’affrontement, rejoindre la résistance et regagner leurs foyers. Il ne pouvait que leur souhaiter. Il prit une profonde inspiration et évalua les combinaisons possibles.
— Vanea peux-tu rentrer une instruction particulière dans tes fouets ?
— Oui.
— Bien, j’ai besoin que tu rompes le lien entre Zaïk et son épée. Saern, je veux que tu sondes l’épée. C’est une vieille arme, trouve-moi son point faible. Dezaël, renseignes-toi sur le fonctionnement de l’arme. Elle peut stocker des souvenirs en s’imprégnant de sang. Il faut l’empêcher d’en absorber. Il doit bien y avoir une capacité limitée.
Vyrian tâchait d’être bref, mais il ne parvint pas à finir de mettre au point sa stratégie, avant que Zaïk n’attaque. Entre ça et ses vertiges dûs à sa perte de sang, il peinait à garder les idées claires. Saern le perçut et entama une mélodie revitalisant ses coéquipiers, qui lui en furent reconnaissants.
Le scientifique observa Kayle parer les attaques de Zaïk à l’aide d’un brassard attaché à son avant-bras qui se dépliait en un bouclier d’énergie. La protection emmagasinait la force du choc et la stockait. Kayle pouvait ensuite la moduler et la combiner à ses propres attaques.
Il fit une démonstration. Après avoir encaissé un coup d’épée, il désagrégea son bouclier et visa Zaïk avec son brassard. Des traits d’énergie fusèrent. Dinaïn en attrapa un au vol qu’il combina avec la lame qu’il s’était fabriquée en joignant les doigts. L’ensemble s’était lissé lorsque son épiderme avait pris la conformation du sol. Il partit à l’assaut aidé par Kayle en soutien. La mélodie de Saern s’était adaptée à la situation.
Vanea informa le scientifique qu’elle venait de finir de coder les instructions de ses fouets, ses doigts avaient cessé de pianoter sur les manches.
— J’ai fini.
— Bien. C’est l’occasion rêvée. Ton frère l’empêche de s’approcher. Dinaïn lui donne du fil à retordre. Vise la main manipulant l’épée.
La jeune femme s’approcha, déplia ses fouets et entama des moulinets en attendant l’occasion opportune. Lorsqu’elle se présenta, son fouet bondit et claqua contre la peau du Matéria. Dinaïn eut juste le temps d’éviter. Vyrian lui transmit ses instructions.
— Désarme-le ! La paralysie ne sera que temporaire. J’ignore combien de temps il met pour se soigner.
— C’est parti !
Le soldat entreprit une série d’attaques rapides. Zaïk peinait à suivre la cadence. Cela ne devait pas faire longtemps qu’il disposait de la faculté d’utiliser les compétences des cinq clans. Il ne parvenait pas à les utiliser simultanément et il semblait rapidement se fatiguer. Le combat contre Yomi devait y être pour beaucoup.
Trop sûr de lui, le soldat envoya un uppercut au prisonnier, qui en profita pour lui entailler le flanc. Zaïk décolla de quelques centimètres sous l’impact du coup qui fut suivi d’un coup de pied circulaire. Il s’effondra, tandis que Dinaïn porta la main à sa taille, qui se recouvrit de sang.
Vyrian vit sa constitution physique chuter. L’épée avait la faculté d’absorber les souvenirs, ce qui revenait également à en priver son propriétaire. Dinaïn se retrouvait incompétent. Il possédait toujours ses connaissances, mais ne parvenait à les appliquer correctement. L’hémorragie ne lui facilitait pas la tâche.
Kayle ne se laissa pas distraire. Lorsque Zaïk se redressa, il lui tira un trait d’énergie dans la main qui lui fit lâcher l’arme. Au même instant, la voix de Saern parvint au cerveau du chercheur.
— J’ai trouvé le point faible. Séparez le dispositif de la lame !
Le contraste entre les deux parties étant visible, il n’était pas bien dur de viser.
— Kayle, Vanea !
Les attaques des deux Ombres portèrent au même instant. L’arme n’y résista pas. Des fêlures la parcouraient. Il s’agissait d’un prototype, il n’avait pas été conçu pour encaisser tant de chocs consécutifs. Les deux affrontements avaient eu raison de sa solidité.
Zaïk se redressa choqué.
— Non !
Dezaël interpella Vyrian
— J’ai analysé le dispositif en question. Il est bien plus complexe qu’il n’y parait. Il peut évoluer.
Vyrian n’était pas surpris par cette nouvelle. En s’imprégnant du sang de l’alchimiste, elle s’était aussi appropriée ses capacités. La FaucheSouvenirs se reconsolida sous leurs yeux.
Un large sourire étira les lèvres de Zaïk qui s’empressa de récupérer l’arme. Vanea fit claquer son fouet l’interrompant dans sa course et s’interposa entre lui et l’épée.
— C’est ce bout de ferraille qui te donne tes capacités. Voyons ce que tu vaux sans !
L’expression de Zaïk se fit amère. Cela intrigua Vyrian. Il se faufila dans ses pensées. Outre ce que lui avait appris Kaeronn à son sujet, le scientifique découvrit avec stupeur que le jeune homme ne possédait aucune des capacités des cinq clans. Seule l’épée les lui fournissait. Cela n’avait aucun sens. Comment était-ce possible ?
Au même moment, l’interface de Saern grésilla.
— On arrive les mecs !
Quelques instants plus tard, trois silhouettes traversèrent les parois du vaisseau. A leur contact, la structure s’effaça pour se reconsolider derrière eux.
Vyrian se sentit perdre pied. La douleur et la fatigue gagnaient du terrain. Il remarqua vaguement parmi les nombreux tatouages que portait une nouvelle arrivante, un symbole bien connu.
Alors que Vyrian sentit son corps basculer sur le côté, ses yeux se posèrent sur l’écran fixé au mur. Il observa Ylméria tenter d’approcher des gardes qui surveillaient la cellule, mais fut chasser par l’onde de choc lorsqu’elle toucha les barreaux. Vyrian l’aperçut se relever, alors qu’il tentait de localiser leur position. Il chercha parmi les plans des différents vaisseaux des Régisseurs que Mère lui avait légués et finit par les retrouver. Soulagé, il regarda de nouveau l’écran et vit là où quelques instants plus tôt se tenait Ylméria, Keenan et Axan tenter d’organiser la foule apeurée.
Alors qu’une cohésion prenait forme entre les prisonniers, Vyrian s’évanouit avec la certitude que la magie, l’alchimie et la technologie ne manqueraient pas de souiller l’histoire des trois mondes d’une encre bordeaux indélébile.
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