Entrée en lice

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Vulgaire

Il est mal habillé. Il en est du moins persuadé. Il se sent mal de cela. Avant d’entrer dans la grande maison blanche où avait lieu l’exposition, il se regarde dans une fenêtre pour ajuster un peu sa coiffure. Il est mal peigné. Du moins il en est persuadé. Il s’avance malgré tout vers la file d’attente composée de la population classique de classe moyenne à supérieure se rendant aux évènements artistiques et culturels. Ils forment une queue paisible et ordonnée, comme il se doit, pour entrer les uns après les autres sans bousculade ni accroc. Il les observe, leurs polos couleur pastel, alligator, leurs chaussures cirées ou au contraire leurs tennis montant de toile, étoile, leur veste de costume sans chemise ni cravate ou leur bas de chemise blanche qui tombe par-dessus leur pantalon. Chacun son style mais tous très propre ou savamment désordonné. Certains portent des couleurs qui flashent pour mieux se montrer. Leurs vêtements sont des symboles d’appartenance à un groupe plus que d’une identité personnelle. Dans certains milieux, il est si bien vu d’être différent ou excentrique que cela en devient un uniforme plus marqué que dans une aile d’hôpital ou un corps de police. Le tout c’est de montrer plus que de porter pour soi. Bien sûr, en affirmant le contraire, « on se fiche totalement de ce que pensent les autres ».

Dans cette banlieue résidentielle assez éloignée du centre-ville, établir une galerie était un chalenge qui ne pouvait être dirigé que vers les classes les plus riches de la société. Cadres supérieurs et professions indépendantes croisaient chefs d’entreprise qui marche. Ici pas question d’amener la culture vers le petit peuple mais, au contraire, amener de riches clients vers un marché juteux. Pas question de faire réfléchir sur des concepts authentiques et des problématiques actuelles mais, plutôt, montrer le courant artistique porteur de retour d’investissement, soit au niveau financier soit au niveau de l’image de l’acheteur. Certains sont là pour trouver une façon de placer leurs économies, d’autres pour avoir dans leur salon de quoi montrer combien ils sont riches et cultivés donc combien ils sont intéressants.

Avant tout, trouver le buffet et les boissons. Cela permettra de se relaxer. Il sait bien que son apparence différente des autres convives n’est pas un problème, au contraire cela l’identifie parfaitement en tant qu’artiste. Finalement, on tendra à parler avec lui parce qu’il est mal habillé. Cela l’énerve par anticipation. Il sait qu’il est une pièce maitresse de la stratégie marketing. Il s’en fout. Il est venu par obligation et pour boire un bon coup, en espérant que quelques-uns de ses amis seraient là aussi pour l’accompagner. Se frayant un chemin parmi la petite foule de badauds qui bougent au ralenti en regardant vers les murs, il aperçoit l’objectif: le buffet. Deux ou trois « pique-assiettes » qu’il a déjà croisés dans d’autres vernissages sont là. Il commande un verre de vin rouge. Un excellent Pessac Léognan submerge ses papilles de multiples saveurs. Ça va mieux ! Il sait enfin pourquoi il est là! Un premier curieux s’approche de lui, le verre à la main et le sourire aux lèvres.

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