13 - Teeming

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 La rue grouillait de monde. Il faisait beau en cette après-midi estivale, peut-être un peu trop. Le soleil frappait tellement fort que les gens suaient, puaient, pourrissaient presque à vue d'œil. On s'éventait, on marchait à l'ombre si possible, on se cachait sous des lunettes de soleil, une casquette, un chapeau de paille, rien n'y faisait. La ville transpirait toute entière jusque dans ses moindres recoins. Et ses habitants la parcouraient, hagards, abrutis par la chaleur, mais dehors quand même, comme si la souffrance caniculaire était un délice. Mais il était vrai que pour beaucoup, rester cloisonné à l'intérieur alors que le monde poursuivait sa route avait des airs de déjà vu. Autant sortir se mêler à la masse informe humaine du dehors.

 « Non, non, et non ! »

 La voix un peu hystérique d'une grand-mère furibarde trancha sur le bruit diffus de la foule. La quiétude si particulière d'une assemblée cessant toute activité pour se tourner vers l'origine d'une telle perturbation était centrée sur la terrasse d'un café. La petite vieille en question se tenait légèrement voûtée, mais ça ne l'empêchait pas de tempêter en tous sens.

 « J'ai dit non, c'est non ! C'est… c'est dégoûtant ! Vous êtes… dégoûtants ! »

 Une jeune femme était face à elle, subissant sa colère. Elle tenait par la main un individu qui paraissait avoir plus ou moins son âge. Elle se tenait droite, un peu pâle mais digne.

 « Mais… mamie, enfin, calme-toi… Nous… nous sommes en public…

  • Qu'est-ce que ça peut me faire ? Je dis non, c'est non ! Pour moi, vous êtes… répugnants ! Jamais je n'approuverai ! »

 Les badauds échangeaient chuchotements et regards entendus maintenant. Quelques-uns, rares, opinaient de la tête, plus ou moins discrètement. La majorité désapprouvait, mine sévère ou blasée, cela dépendait du niveau de cynisme de la personne.

 « Que tu te mettes avec ce… ce… Non, ça me débecte ! Non mais regarde-le ! Avec ces… ces trucs qui lui pendouillent sur le visage, sa peau si…

  • Excusez-moi, madame, intervint l'individu d'une voix calme et basse, un peu rauque, mais je suis un traitement pour cela, et ce n'est pas ma faute si je suis ainsi, je…
  • Taisez-vous ! l'interrompit la vieille. Je n'attends qu'une chose de vous, c'est que vous la fermiez et que vous reveniez d'où vous venez ! »

 Un silence choqué accompagna la déclaration. Celui qui venait d'être alpagué ainsi resta digne, mais on pouvait voir dans son regard qu'il était blessé. La petite-fille intervint, furibarde à son tour :

 « Non mais tu te rends compte de ce que tu dis !

  • Évidemment ! Aussi de ce que tu fais ! Tu n'as pas honte de te souiller ainsi avec… ça ! Il est né à l'époque de ton père !
  • Je l'aime ! C'est parfaitement naturel !
  • C'est CONTRE-NATURE ! C'est… abject ! Immonde !
  • MAMIE !
  • Ne me dis pas de me taire ! Tu sais que c'est vrai ! VOUS TOUS LE SAVEZ ! Le monde part droit dans le mur à cause de choses comme ça !
  • Mais est-ce que tu t'entends ? Que dirait papy si il était là ?
  • Laisse-le en-dehors de ça !
  • Tu veux que j'aille le chercher, c'est ça ? PEUT- ÊTRE QUE ÇA TE DONNERAIT UN PEU DE BON SENS ?!
  • COMMENT OSES-TU PROPOSER UNE CHOSE PAREILLE ?! Tu es… IMMONDE ! Je ne te reconnais plus !
  • Et moi je ne te reconnais que trop bien ! Vieille harpie ! Je ne sais même pas pourquoi j'avais espéré que tu changes !
  • Et toi tu as trop changé, et en même temps pas du tout, NÉCROPHILE ! »

 Cette fois, il y eu une série d'exclamations outrées. Le patron du café se manifesta enfin, et ordonna à ce que la grand-mère quitte les lieux d'un ton ferme. La vieille ne se fit pas prier et, moue réprobatrice et tête haute, s'en alla sans demander son reste en maugréant. La jeune femme ne la quitta pas des yeux jusqu'à ce quelle disparaisse dans la foule, et ce n'est qu'alors qu'elle retourna à sa table en pleurant. Son compagnon lui serra la main, et elle lui sourit au travers de ses larmes.

 « Ça va aller, lui dit-elle. C'est… C'est passé maintenant. Je ne sais pas ce qui m'a pris.

  • Eh, c'est normal. Tu as essayé. C'était une belle tentative. Mais l'âge n'aide pas à l'ouverture d'esprit, tu sais. C'était comme ça quand j'étais jeune, et ça le restera longtemps.
  • Je sais, je sais… »

 Elle soupira. Il lui effleura la joue, la forçant à relever le regard. Ils échangèrent un moment, en silence, avant de s'embrasser tout doucement. Elle recula d'un coup, surprise.

 « Eyh !

  • Ah, pardon, c'est…
  • Oh. C'est pas grave. Encore deux semaines de traitement, c'est ça ?
  • Oui. Et tous seront partis ! Plus de baisers avec des invités surprises. »

 Elle rit à sa bien piteuse boutade. Il la couva des yeux avec tendresse. Jamais il n'aurait pensé avoir une telle relation de toute sa vie… Et maintenant qu'il était mort, il avait enfin cette chance. Décédé dans sa jeunesse, il était, comme tant d'autres, revenu sous la forme d'un zombie. Dans un bien piètre état, mais la science faisait des miracles, de nos jours. Bientôt, il serait comme neuf, ou presque, à vivre comme s'il n'était jamais passé de l'autre côté, avec celle qu'il aimait plus que tout au monde. Il se sentait toute chose.

 Ou peut-être était-ce les quelques vers restants qui grouillaient encore sous son visage.

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