25 - Ship

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 Elle se cale dans son fauteuil avec un petit sifflotement de plaisir, avant de démarrer le puissant engin en quelques gestes rapides, signe d'une grande habitude. Le cuir du revêtement émet un crissement familier alors qu'elle se renfonce dans le siège, et dans un ultime vrombissement, son véhicule s'élance. Elle allume l'écran qui lui donne sa feuille de route, et lance la radio pour en profiter tant qu'elle le peut. La station lance son jingle habituel pile à ce moment-là :

 « Steeeellaaaaaaire… Stellaire – la radio des étoiles. »

 Une chanson du moment envahit l'habitacle. Elle en profite quelques minutes, avant d'atteindre la distance et la vitesse suffisante, et alors, elle saute dans l'hyperespace.

 Elle roule ses épaules dans le calme relatif du vaisseau spatial. Le trajet devrait être bref : à peine une petite heure, deux au grand maximum. Mais tout va dépendre de ce qu'elle croise sur sa route. Elle sait que la plupart de ses camarades évitent le secteur. Il n'y a qu'elle pour prendre ce genre de risques. Beaucoup estiment que cela n'en vaut pas la peine, pas pour la misère à laquelle on les paye. Mais Flore n'est pas dans ce métier pour l'argent, à la base. Pour elle, avoir son propre petit vaisseau, parcourir l'infinité sidérale, c'est son rêve depuis toute petite. Le fait qu'elle soit payée pour cela est un plus. Et si parfois, il y a des impondérables, eh bien…

 Elle sort d'hyperespace et, aussitôt, allume tous les radars, guette chaque écran avec un œil inquiet. Son navire est minuscule, avec juste assez pour se protéger des coups les plus terribles. Il y a de la place juste pour elle et sa cargaison. Si jamais elle tombe dans un piège…

 Pile à ce moment, des bips d'alerte caractéristiques se mettent à lui vriller les oreilles. Flore jure et entame aussitôt une manœuvre en vrille. Elle n'a pas besoin de les voir clairement pour savoir, les quatre petits points rouge sur l'hologramme 3D lui suffisent amplement. Ce sont des pirates, tout simplement, et ils n'hésiteront pas à abattre son vaisseau pour dévaliser l'épave s'il le faut. Et plutôt mourir plutôt que de les laisser l'aborder.

 Elle essuie quelques tirs de rayons plasmas, et pousse à nouveau une bordée de jurons sous la secousse. À toute vitesse, elle tente de se rendre aussi imprévisible que possible, afin de perturber autant que faire se peut les ordinateurs de visée de ses adversaires. L'avantage est bien maigre, mais c'est tout ce qu'elle a pour le moment. Les salauds ont probablement l'habitude de leur petite affaire, et elle ne serait pas à moitié étonnée que quelqu'un les tienne au courant des prochaines arrivées dans le coin, en échange d'une petite part. Flore espère que c'est Vjorn, même si c'est assez improbable. Elle a juste très envie d'une excuse pour lui mettre son poing dans la figure, à ce gros pervers…

 Un nouveau tremblement la force à se concentrer. Les boucliers ne sont pas encore en surchauffe, mais ils n'en ont plus pour longtemps. Du coin de l'œil, elle regarde ce que son ordinateur de bord lui régurgite sur les vaisseaux adverses. On dirait des vieilles corvettes militaires, des petits vaisseaux ridicules qui n'étaient plus en service depuis au moins vingt ans. Elle connait ce modèle. Elle a un sourire dément. Elle sait comment faire.

 En se cabrant sur les commandes et en abusant autant que possible de son compensateur d'inertie, elle manœuvre dans tous les sens, se rapprochant de plus en plus de l'un des trois vaisseaux, sans en avoir l'air. Elle sait qu'elle n'a aucune chance en traçant une ligne droite. Elle est plus rapide, oui, mais ils l'auront dégommée instantanément. Non, elle doit ruser… Une nouvelle salve l'effleure, et sa radio piaille de plus belle. Les pirates lui ordonnent de se rendre pour la dernière fois, mais Flore continue de les ignorer, concentrée sur le ballet diabolique qu'elle mène avec eux. Ils sont énervés, elle l'entend dans la voix de ce qu'elle suppose être la chef de leur escadrille de pacotille. Ces pirates n'ont probablement pas l'habitude de proies comme elles. Elle espère leur faire une belle impression, quelque chose qu'ils ne vont pas oublier de sitôt. Le radar bippe, elle guette les distances et le prochain assaut…

 D'un coup, tout concorde. Elle braque net sur le navire le plus proche, fonçant droit sur lui. Celui-ci tente d'esquiver, son adversaire lui hurle qu'elle est folle et qu'ils vont l'abattre… et au dernier moment, alors même que les deux autres lui tirent dessus, elle s'écarte. Ce qui suit est d'une triste banalité : les rayons plasma s'abattent là où elle se rendait, quelques instants plus tôt, c'est-à-dire en plein sur le navire qu'elle allait percuter. Un grésillement intense sort des enceintes : ces corvettes sont bourrées de défaut, et non des moindres. Leur cadence de tirs est parfaitement régulière et prévisible, mais surtout, lorsqu'elles sont touchées par plusieurs attaques simultanées sur leurs boucliers, elles ont une fâcheuse tendance à perdre leur ordinateur de bord pendant quelques secondes, suite à une défaillance dans la protection magnétique. Un bémol bien connu qui a précipité leur retraite.

 Dans un hurlement victorieux, elle dépasse à toute allure le vaisseau pirate, et leur lance une joyeuse bordée d'insultes avant de les laisser en plan, loin derrière elle. Il est temps désormais de faire son travail.

 Quelque temps plus tard, elle arrive enfin à sa destination, une petite station minière sans prétention, en bordure de système, dans une ceinture d'astéroïdes. Elle se pose à ce qui paraît être le plus proche d'un spatioport en laissant le pilotage automatique faire sa besogne. Flore s'étire et bâille un peu. Le voyage a été bien monotone, après cette petite mise en bouche. Elle descend du vaisseau sans trop se presser, et ouvre la porte arrière pour y récupérer une petite caisse en métal, bien verrouillée. Elle la soulève sans difficulté dans la gravité réduite des lieux, et se dirige droit vers les quartiers résidentiels de la station, sans même passer la douane – il n’y en a pas ici, tout bonnement. L'adresse n'est pas très dure à trouver et, à peine dix minutes après son arrivée, elle cogne à une porte métallique comme une autre dans un couloir sombre et malodorant. L'interphone n'a pas l'air de fonctionner, pas plus que la sonnette. Elle insiste après quelques secondes d'attente. Puis à nouveau, plus fort.

 On lui ouvre d'un coup.

 « Quoi ?! Oh.

  • Bonjour, Devon Iankel je présume ?
  • Euh… ouais.
  • J'ai un colis pour vous, si vous pouviez effectuer une signature bionique je vous prie… »

Elle lui tend une petite tablette luminescente qu'il regarde en clignant des yeux.

 « Je peux examiner le colis avant ?

  • Bien sûr.
  • Hm. Mais il est tout égratigné !
  • Ce n'est que la boîte de transport. Je vous assure que le contenu, quel qu'il soit, est en parfait état. Votre signature s'il vous plaît…
  • Ah non, désolé, mais là, je la sens pas. En plus j'ai payé pour un transport en moins de 48h, ça fait déjà deux jours et… »

 Il continue comme ça, tempêtant, véhément. Au bout du compte, il crache sur sa compagnie, puis au sol, puis manque de le faire sur son uniforme, mais se retient au dernier moment. Peut-être a-t-il vu quelque chose dans les yeux noirs de Flore, sous le masque d'amabilité factice et le sourire figé. En tous les cas, il finit par lui claquer la porte au nez.

 Elle soupire et récupère le colis en maugréant. Lorsqu'elle remonte dans son vaisseau, préparant la livraison suivante, elle n'a qu'une seule pensée.

 S'il y a bien une raison pour laquelle les autres livreurs évitent le secteur, ce n'est peut-être pas nécessairement à cause de la piraterie…

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