26 - Squeak
Le grenier est sombre et malodorant. La poussière recouvre l'essentiel de l'endroit, couche grisâtre donnant un aspect étrange à tout ce qu'elle touche, comme si ce n'était pas tout à fait là. Tout est immobile, comme figé dans le temps, n'attendant qu'une visite impromptue pour revenir à la vie. Même l'air est prisonnier de cette bulle intemporelle, statique, enchaînant avec lui les odeurs qui finissent par devenir l'ombre d'elles-mêmes, comme tout le reste. Et c'est jusqu'à la lumière qui rechigne à venir ici : tout a cette teinte légèrement bleutée, presque impossible à discerner du gris, toutes les autres couleurs effacées, délavées, dévorées par le grenier. Il n'y a que la quiétude ici. Le calme.
Une minuscule ombre surgit d'un coup et bouscule cet ordre que l'on croyait immuable. De ses petits pas menus, elle court en tous les sens, comme paniquée, fuyant une menace qu'elle seule perçoit. Elle s'agite, cherche désespérément un échappatoire, une cachette. Elle finit par se terrer sous une armoire, au ras de la poussière, et guette l'entrée.
Elle n'est qu'une toute petite souris. Elle frémit à chaque mouvement qu'elle s'imagine, chaque craquement du vieux bois. Suite à son passage, la poussière s'agite encore, dansant dans l'obscurité, particules en suspens perdus dans une valse sans queue ni tête. Sa respiration est rapide, son cœur explose dans sa minuscule poitrine. Elle guette, ses yeux fixés sur là d'où elle vient.
Et puis… une forme, gigantesque, entre à son tour dans le grenier. Elle se rapetisse à sa vue, bloque son souffle par réflexe. L'être est immense, progresse à pas de géants, mais avec une discrétion incroyable pour sa taille. Elle s'enfonce un peu plus dans sa cachette. C'est bien le seul recours qu'elle a. Si jamais il la trouve… son pouls s'accélère de nouveau.
La créature progresse avec une lenteur démesurée dans le capharnaüm du grenier, aussi bien pour ne pas y semer encore plus de désordre que pour pister celle qu'elle chasse. Celle-ci observe sa tête qui pointe, se tourne à droite et à gauche. Voilà l'être qui se penche dans le noir, se tort pour observer dans les recoins… Elle ne peut pas le suivre du regard partout. Son champ de vision est réduit. Terrifiée, elle se roule en boule et attend. Dans le pire des cas, peut-être trouvera-t-elle une porte de sortie…
Silence. Elle cligne des yeux. Combien de temps a passé ? Elle n'entend plus la bête. Ne la voit plus. L'air est de nouveau immobile. La poussière est retournée à sa place. Elle avance à peine, juste un peu, pour y voir plus clair. Rien ne bouge. Se pourrait-il qu'elle soit libre ? Elle progresse encore, juste un peu. Elle ne voit rien qui…
« Trouvée ! »
Elle pousse un glapissement terrifié alors qu'une main s'abat d'un coup sur elle et l'agrippe. Elle est soulevée du sol sans ménagement, et son piaillement s'accentue.
Avant de se transformer en gloussement sous les chatouilles.
« Alors, coquine, tu croyais pouvoir te cacher dans le grenier ? Je t'ai dit que c'était sale ici ! »
La petite fille rit, incapable de répondre sous les chatouilles de sa mère. Celle-ci fourre son visage dans son cou et lui fait plein de petits bisous avant de la serrer contre elle puis de la reposer.
« Allez, c'est l'heure d'aller dormir maintenant, plus de jouer à cache-cache.
- Oui môman…
- Roh, ne prends pas ce ton avec moi ! Et puis, tu n'as pas quelque chose à mettre sous ton oreiller, hm ?
- Oh, oui, oui ! Tu crois que la petite souris va passer ? J'ai essayé de me cacher comme une souris, tu sais ? J'étais toute petite et… teffriée !
- Terrifiée, corrige sa mère.
- Oui ! C'était génial ! Tu crois qu'elle va venir ?
- Si tu vas te coucher IMMÉDIATEMENT, peut-être. File ! »
La gamine finit par obéir en rigolant face à l'air faussement autoritaire de sa mère. Celle-ci secoue la tête dans son dos avec un air désabusé, avant de la suivre. Elle referme la porte du grenier derrière elle sans y jeter un seul regard. Au travers du bois, une conversation de plus en plus étouffée se fait entendre, sous les échos de pas rythmés frappant chaque marche :
« Maman, comment t'as fait pour me trouver ?
- Eh bien, je n'ai eu qu'à suivre l'odeur de ta PEEEUUUUR…
- Pfff, n'importe quoi !
- C'est vrai ! Et d'ailleurs, tu as poussé un petit cri par-fait !
- Noooooon !
- Oui, presque comme ça, mais avec plus de surprise !
- Maman !
- Je rigole… »
Quelques minutes plus tard, le silence a repris ses droits, l'escalier ayant fini de grincer. Et dans le grenier, le souvenir d'un glapissement commence à se recouvrir de poussière, prêt à être redécouvert un jour, pour peu qu'on veuille bien y venir le chercher.
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