Jour 11 : Cruel
La première fois j'avais douze ans. Je rentrais du collège, un homme m'a sifflé. Je me suis retournée surprise. Oui c'était bien à la gamine en jogging et aux joues rebondies qu'il s'adressait.
La seconde fois, à peine plus vieille, un vieux voisin a essayé de me coincer entre deux escaliers. J'ai pris la fuite.
Une autre fois c'était un homme qui m'a demandé avec morgue combien c'était la pipe. J'avais quinze ans et j'avais vaincu mes complexes pour porter une robe et me sentir un peu féminine. Je n'en ai plus reporté pendant plus d'une année. Je me suis juste sentie sale.
Au lycée, c'était les mecs qui voulaient bien me tringler mais pas s'afficher avec une grosse.
A la fac, ce gars qui m'a suivi aux halles pendant une demi-heure me proposant des cadeaux contre mon corps. Je suis allée voir des flics. Ils m'ont répondu qu’il ne faisait rien de mal.
Il y a eu aussi ces types qui m'ont suivi pendant plusieurs minutes en m'invitant à monter dans leur voiture avant de me traiter de salope suite à mon refus.
Dans le métro, ce type qui me hurle « sale pute aux cheveux rouges », parce que je lui aie répondu non à « t'es charmante, tu me files ton 06 ».
Y a aussi eu ce gars, une fois dans le train, qui pendant quarante-cinq minutes m'a répété qu’il n’était pas jaloux quand je lui ai rétorqué être déjà heureuse en couple. Comme si agiter les couilles de mon compagnon sous ces yeux ne suffisait pas.
Et encore j'en ai oublié tant dans le tas, ils ne sont qu’un magma informe de rage.
Dès que j'entends un « t'es charmante », « hé beauté », « allez viens boire un café », « hé pourquoi tu réponds pas », « fais pas semblant de m'ignorer salope », tout mon corps se tend, mes muscles se bandent, mes poings se serrent et je me surprends parfois à espérer qu'un de ces types dépassent la limite pour que je me mette à le cogner : je lui fouterais mon genou dans ces couilles, mon coude dans son nez pour l'éclater, et mes poings dans son bide jusqu'à qu'il implore pathétiquement mon pardon. Je ne deviens plus que rage, violence, colère. Et je me répète ça dans ma tête pour supporter. Comme un film qui tourne en boucle et qui m'apaise. Un cataplasme sur ma douleur.
Car il n'y a aucun désir chez ces hommes, juste l'impérieux besoin de me ramener à mon état de femme, de bien, bien me rappeler que la rue c'est pas fait pour mes sœurs et moi.
Uniquement de la cruauté.
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