Chapitre 3
Au dehors, la bise hivernale glacée s’était remise à souffler et une épaisse couche d’au moins quarante centimètres de neige recouvrait ce qui devait d’ordinaire être une allée gravillonnée.
Dan détacha une petite lanterne d’un crochet en métal savamment sculpté près de la porte.
– J’espérais qu’ils ne penseraient pas à venir fouiner jusqu’ici si rapidement, dit-il en scrutant les environs. Il faut qu’on se dépêche, d’autres peuvent encore arriver. Il est commun pour les hommes d’Eriarh de se déplacer en plusieurs petits groupes espacés de quelques minutes, pour prévenir les guet-apens.
Il se mit à longer la bâtisse, Eldria sur ses talons. De la neige drue vint bientôt s’abattre sur eux.
– Ils sont surement venus à cheval, ajouta-t-il en haussant la voix pour couvrir le bruit du vent. Ce qui nous serait d’un grand secours.
Et effectivement, sous un préau à l’angle du bâtiment, deux chevaux sellés et harnachés étaient occupés à savourer un peu de foin à moitié congelé.
– Bingo.
Les animaux ne bronchèrent pas en voyant deux inconnus approcher. Dan entrouvrit les imposantes sacoches en cuir accrochées à la selle de l’un d’eux, qu’Eldria reconnut immédiatement comme étant un pur-sang mâle à la robe blanche.
– Bien, il y a des vivres et une toile de tente là-dedans. Ça nous sera plus utile qu’à leurs anciens propriétaires...
Il désigna le deuxième équidé, également un pur-sang mais cette fois-ci à la robe alezane.
– Inutile de prendre les deux chevaux, nous ne serions que plus visibles, et puis ça nous ferait une bouche de plus à nourrir. Laissons celui-ci à l’aubergiste. Nous lui devons bien ça.
Eldria acquiesça du chef, pas vraiment rassurée à l’idée de chevaucher en pleine nuit sous la neige battante. Mais avaient-ils vraiment le choix ?
Dan détacha leur nouveau compagnon puis se décala jusqu’au niveau de la selle.
– Je vais t’aider à monter, dit-il en plaçant ses deux mains jointes devant lui, la paume vers le haut.
– Je sais monter à cheval ! lui rétorqua Eldria, piquée dans sa fierté.
Joignant le geste à la parole, elle se hissa d’un bon agile sur l’arrière de la selle. Du moins presque aussi agile que ce qu’elle aurait souhaité, sa cheville ayant choisi ce moment précis pour la lancer vivement, comme pour la rappeler à l’ordre.
– Parfait, commenta Dan avant de grimper à son tour devant elle et d’attraper fermement la bride d’une main, la lanterne de l’autre. Accroche-toi à moi.
Eldria s’exécuta en rougissant légèrement d’avoir à se serrer contre lui. Encore. Heureusement qu’il faisait sombre et qu’il ne pouvait pas voir ça...
– Alors, où on va ? demanda-t-elle pour esquiver tout silence gênant.
Malheureusement il n’eut pas le loisir de lui répondre. A l’angle qui donnait sur le chemin principal, ils tombèrent nez-à-nez avec trois cavaliers en train de descendre de leurs montures. D’autres soldats Eriarhi ! Le vent qui sifflait à leurs oreilles les avaient mutuellement empêchés de s’entendre plus tôt.
Surpris, l’un des hommes eut un mouvement de recul et porta la main au fourreau.
– Qui va là ? interrogea-t-il en levant sa lampe. Oh...
Sans attendre de réponse, son regard se porta sur la selle et les sacoches attachées au cheval, en tous points similaires aux accessoires sur sa propre monture et celles de ses deux acolytes. Il leva ensuite les yeux vers Dan et Eldria. Il ne lui fallut pas longtemps pour se rendre compte qu’il ne s’agissait nullement de ses collègues.
– Halte-là ! s’écria-t-il soudain en dégainant son arme.
Dan ne l’entendit pas de cette oreille et donna immédiatement un coup de pied à l’étrier. L’animal cabra brusquement si bien qu’Eldria manqua de tomber à la renverse, puis il s’élança à toute vitesse, se frayant un chemin au milieu du petit groupe qui leur faisait face en sillonnant une ouverture dans la neige.
– Arrêtez, sur ordre de l’Empereur !
Sans relâcher Dan qu’elle serrait maintenant de toutes ses forces, Eldria jeta un coup œil dans son dos.
– Ils nous poursuivent ! lança-t-elle d’une voix paniquée.
– Evidemment qu’ils nous poursuivent !
Très vite, les lumières de l’auberge dans leur dos disparurent derrière les arbres. Il n’en fut malheureusement pas de même pour les trois autres points lumineux des cavaliers Eriarhi, qui semblaient gagner du terrain.
Tout à coup, Eldria entendit distinctement un sifflement caractéristique à quelques centimètres à peine de ses oreilles. Elle en était persuadée, cette fois-ci ce n’était pas le vent... Un carreau d’arbalète vint se planter violemment en plein dans un tronc juste à leur droite.
– Oh non c’est pas vrai, ils nous dirent dessus !
– Je sais !
Après avoir chevauché à toute allure deux bonnes minutes entre les pins, ils firent cette fois-ci irruption dans ce qui semblait être une grande plaine dépourvue de toute végétation.
Un nouveau carreau s’enfonça dans la poudreuse à moins de cinquante centimètres des sabots de leur monture.
– Ils se rapprochent encore ! s’écria Eldria, qui craignait désormais pour sa vie.
Bientôt, l’un des cavaliers fut suffisamment proche pour qu’elle distingue au milieu des flocons sa silhouette pointant droit sur eux une imposante arbalète.
Nouveau sifflement très, trop proche.
– C’est pas passé loin !
A une centaine de mètres, il aperçurent alors à la faveur d’un furtif rayon de lune l’orée d’une nouvelle forêt. Au milieu des arbres, ils feraient une cible beaucoup moins facile à atteindre. Encore fallait-il qu’ils arrivent jusque-là...
L’homme à l’arbalète, seul sur son destrier et donc moins lourd qu’eux, arriva à leur niveau. A cette distance, il était pratiquement impossible qu’il les loupe... Apparemment très bon cavalier, il termina de recharger son arme avec aisance puis les mit une nouvelle fois en joug. Sentant la fin arriver, Eldria se recroquevilla et serra les dents.
Mais au dernier moment, Dan donna en brusque coup de bride, ce qui força leur poursuivant à se décaler légèrement, l’empêchant de décocher. Au même moment, il attrapa la lanterne à huile qu’il avait attachée au harnais de leur cheval et la lança en plein sur l’arbalétrier. Le verre se brisa en mille morceaux au contact du casque de celui-ci et une gerbe de flamme explosa à l’impact.
Le destrier poussa un hennissement apeuré en même temps que son propriétaire, qui s’étala au sol dans un bruit sourd.
L’instant d’après, Eldria et Dan, maintenant privés de lumière, s’éclipsèrent au milieu des arbres.
– Ils sont passés par là, suivons leur trace ! cria l’un des deux autres poursuivants.
Effectivement se dit Eldria, ils n’étaient pas tirés d’affaire pour autant. Sans rien pour s’éclairer ils étaient certes pratiquement invisibles, mais les traces qu’ils laissaient inévitablement dans la neige les trahissaient. Dan l’avait d’ailleurs bien compris et n’avait pratiquement pas ralenti la cadence.
Les pins, qu’il devait esquiver la plupart du temps à la toute dernière seconde, défilèrent à toute allure autour d’eux. A la moindre erreur, la moindre branche qu’il n’aurait pas vue dans la nuit, ils pourraient être désarçonnés...
– Ils nous rattrapent encore, s’inquiéta Eldria cette fois-ci à voix basse.
Pourquoi diable avait-il fallu qu’il neige autant !?
La course-poursuite s’éternisa ainsi pendant plusieurs minutes.
– Ils sont coriaces ! lança Dan, visiblement contrarié de les découvrir si opiniâtres.
Finalement, ils rencontrèrent un petit ruisseau qui n’était pas encore totalement gelé. Dan y dirigea leur monture.
– C’est notre chance !
Redoublant de vitesse, il l’élança le long du cour d’eau. Le cheval protesta un court instant mais, fort heureusement, s’exécuta. La pauvre bête devait être exténuée, d’autant qu’il ne devait pas être aisé de galoper si longuement dans autant de neige.
Dans leur dos, après moins d’une trentaine de secondes, Eldria aperçut à l’endroit où ils avaient bifurqué l’éclat des deux lanternes des cavaliers Eriarhi qui s’effaçait petit à petit. Quelle idée ingénieuse ! Dans l’eau, impossible de suivre leur trace.
Un long moment s’écoula encore avant que Dan ne juge qu’il était désormais prudent de ralentir et de regagner la terre ferme. Leur voyage dans les ténèbres, enfin seuls, pouvait maintenant débuter.
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