Chapitre 12
Dehors, le soleil était déjà en train de se lever, annonçant dans son sillage les premiers jours du printemps. Eldria s’éveilla difficilement, se sentant un peu fiévreuse. Elle avait encore fait ce rêve étrange avec cette porte d’un noir profond dans ce couloir sombre... Cette fois-ci elle avait réussi à la franchir, ce qui l’avait amenée à découvrir une scène pour le moins troublante. Que cela signifiait-il ? Quel message son subconscient cherchait-il à lui faire passer ? Elle secoua la tête et finit par se convaincre que la solitude devait probablement lui peser sur le moral et lui faire songer à des choses n’ayant pas forcément de sens.
Avant de sortir de la modeste tente qu’elle avait entièrement montée de ses propres mains, elle jeta un coup d’œil à Dan, étendu à ses côtés dans la même position depuis plusieurs semaines déjà. Le jeune homme demeurait désespérément allongé sur le dos, immobile si ce n’était de son torse qui se soulevait et s’abaissait au rythme lent de sa paisible respiration.
Depuis ce jour où elle s’était échappée in extremis de Brillétoile environ un mois et demi plus tôt, elle ne l’avait pas quitté plus de quelques heures. Elle se souvenait encore de cette escapade comme si c’était hier. La course poursuite dans la ville, le pont, la rivière et son courant implacable... Ce jour-ci, elle avait pris conscience que de ses actes dépendait bien plus que sa seule vie à elle. Elle se revit être emportée par les flots, poursuivie depuis la berge par une cohorte d’Eriarhi déterminés à ne pas la laisser s’en tirer à si bon compte. Elle se souvint du froid mordant qui manqua, au même titre que les carreaux qui la frôlèrent alors, de la faire sombrer dans l’autre monde. Elle se remémora son combat acharné contre ses muscles endoloris afin de regagner la terre ferme une fois suffisamment éloignée de la civilisation. Elle avait rarement eu aussi peur qu’en cette journée, quand elle s’était enfuie en forêt, trempée jusqu’aux os, dans l’espoir de semer définitivement ses poursuivants le plus loin possible du campement, qu’elle avait ensuite mis le reste de la journée à retrouver, grelotant d’un froid mordant qui avait failli lui valoir une pneumonie dans le jours qui avaient suivis.
Heureusement tout s’était bien terminé et Eldria n’avait plus jamais remis les pieds à Brillétoile depuis, de peur de se faire remarquer. Son seul espoir maintenant était de voir Dan revenir à lui. Lui saurait certainement quoi faire. Ces dernières semaines, elle les lui avaient entièrement consacrées. A son plus grand soulagement, les herbes médicinales chapardées en ville s’étaient avérées efficaces et plus les jours avançaient, plus la plaie béante dans le dos de son compagnon de route se transformait en une cicatrice plutôt propre. Eldria ne s’en attribuait pas tout le mérite cependant. L’inconnu, quelle que soit son identité, qui lui avait en effet administré les premiers soins à Soufflechamps avait fait la majeure partie du travail, elle-même n’avait fait que surveiller la blessure et empêcher qu’elle ne s’infecte.
Pour ne pas rester inactive et subvenir aux besoins de leur campement de fortune, elle mettait à profit ses journées de solitude pour explorer les alentours – en prenant bien soin d’éviter les abords de Brillétoile – à la recherche d’habitations abandonnées. Cette période d’occupation avait au moins ceci de bon que ces habitations vides de tout occupant étaient fréquentes dans les alentours. Il lui était même arrivée de tomber sur des hameaux entiers, totalement déserts. Même si la plupart du temps elle n’y trouvait rien de bien intéressant, il lui arrivait de mettre la main sur de la nourriture séchée, des outils utiles pour le camp, ou encore du linge propre dont elle se servait principalement pour refaire le pansement de Dan.
Ce jour-ci, alors que les oiseaux fêtaient dignement l’arrivée des beaux jours au-dessus de sa tête, elle avait prévu d’aller explorer ce qui ressemblait à une très vieille bâtisse abandonnée en plein milieu de la forêt, à une trentaine de minutes de marche. Elle l’avait aperçue par hasard au retour de sa précédente escapade et ne l’avait jamais remarquée avant. Il fallait dire que la demeure semblait inoccupée depuis des lustres, probablement depuis bien avant le début de la guerre. Elle décida de ne pas monter Perce-Neige comme à l’accoutumée et de plutôt s’y rendre à pieds car, de ce qu’elle avait pu observer, le chemin semblait difficilement praticable et le pauvre animal peinerait à se frayer un chemin entre les buissons et les branches.
Le cœur lourd comme à chaque fois qu’elle s’absentait, elle recouvra la tente qu’elle partageait avec Dan d’autant de feuilles qu’elle le pouvait de sorte à ce qu’elle se camoufle autant que possible dans l’environnement, attacha Perce-Neige à un arbre près de la charrette entre deux gros rochers à l’abri des regards indiscrets, éteignit les maigres flammèches du feu de camp qui avaient survécu à la nuit, puis partit en direction de son objectif, seulement munie d’une outre attachée en bandoulière, d’un gros sac en toile destiné à accueillir tout butin intéressant et, car on n’est jamais trop prudent, de la dague de Dan – bien qu’elle espérait ne jamais avoir à s’en servir !
Coupant par des raccourcis qu’elle commençait à bien connaître à force de les emprunter, il ne lui fallut que quelques minutes pour rejoindre le chemin principal. A bien y réfléchir, "principal" n’était peut-être pas le qualificatif le plus approprié. Tout au plus s’agissait-il d’un sentier boueux vaguement reconnaissable entre les arbres, mais malgré tout plutôt pratique en tant que point de repère serpentant dans cette immensité boisée. Toujours était-il qu’Eldria n’y avait jamais croisé personne.
Quelques semaines auparavant, elle avait lutté pour s’y frayer un chemin avec la charrette tirée par Perce-Neige. Etablir le campement dans cette petite clairière isolée n’avait pas été une mince affaire, mais tous ses efforts n’avaient pas été vains : personne ne venait se perdre aussi profondément dans la forêt !
Pourtant, alors qu’elle était perdue dans ses pensées en marchant le long d’un virage qui contournait un gros arbre, elle crut tout d’abord avoir la berlue en apercevant des silhouettes une cinquantaine de mètres plus loin. Non, ses yeux ne lui jouaient pas des tours, il y avait bien un groupe de personnes sur le même chemin qu’elle, qui allait à contresens du sien ! Trois hommes. Une patrouille d’Eriarh ? Cela n’y ressemblait guère car ils ne portaient pas l’uniforme rouge habituel. Des résistants du Val-de-Lune ? Peu probable. Des randonneurs perdus ?
Réfléchissant à toute vitesse, Eldria prit la décision de ne pas faire demi-tour. Ils l’avaient forcément vue eux aussi et si elle s’enfuyait, il y avait une possibilité pour qu’ils se posent des questions et décident de se mettre à sa recherche. Elle ne voulait prendre aucun risque, d’autant qu’elle était encore assez proche du camp et qu’il existait une chance non négligeable pour qu’ils tombent dessus par hasard en s’aventurant sur ses traces dans les bois. Aussi continua-t-elle à avancer comme si de rien n’était pour ne pas éveiller les soupçons. Ils se croiseraient, s’échangeraient peut-être un "bonjour" méfiant, mais elle tracerait sa route sans leur accorder un regard. En continuant sur ce sentier, ils attendraient une petite ferme au nord sans risquer de trouver la clairière où elle avait établi leur bivouac à l’abri des regards indiscrets.
Alors qu’ils se rapprochaient, elle ajusta l’air de rien sa capuche afin de dissimuler son visage et fit de même avec sa cape de voyage. Leurs voix, qu’elle avait captées au loin sans toutefois pouvoir entendre leur conversation, se turent alors qu’ils arrivaient à son niveau. Eldria baissa la tête et fit mine, le pas pressé, de vouloir les contourner comme si leur présence ne l’intéressait pas le moins du monde. Anxieuse, elle sentit les regards se tourner vers elle. Elle fut en premier lieu soulagée qu’ils la laissent les dépasser, mais soudain une voix la héla :
– Eh toi, gamin, qu’est-ce que tu fais seul ici ? Tu m’as l’air bien jeune.
Eldria s’immobilisa, leur tournant le dos.
– Je vais simplement chercher des vivres à la ville, je vis dans une ferme au nord d’ici.
– Et tu te ballades tout seul comme ça dans la forêt ? Montre-nous ton visage un peu.
Pour les mêmes raisons qui l’avaient poussée à ne pas s’enfuir plus tôt, Eldria se retourna et défit sa capuche. Après tout, il était probablement normal d’être méfiant par les temps qui courraient. Dans le même temps, elle posa toutefois discrètement la paume sur la garde de sa dague.
Les trois inconnus portaient des vêtements ordinaires, bien que passablement usés. Ces hommes devaient être sur la route depuis un long moment déjà, à en juger par leurs barbes négligées et la terre sous leurs ongles. Elle remarqua immédiatement qu’ils étaient chacun armé d’une épée. De plus l’un d’eux, celui qui l’avait interpelée, avait même une grosse arbalète attachée dans le dos. Bien plus grands qu’elle, ils devaient probablement tous trois avoir entre vingt et trente ans. De toute évidence, c’était loin d’être un simple groupe de paysans égarés.
En la voyant découvrir son visage, ils eurent une moue étonnée.
– Eh bien eh bien ! Qu’avons-nous là ? Qu’est-ce qu’une fille de ton âge fait seule dans la forêt de si bon matin ?
– Je vous l’ai dit, je vais faire une course en ville.
L’inconnu lui lança un regard perplexe tandis que ses deux acolytes la toisaient de bas en haut.
– Tu es courant que la ville est occupée par vrai ? A moins que tu sois une de ces ordures d’Eriarhi ?
– Quoi ? Non je... Pas du tout ! Je vous l’ai dit je vis dans une ferme au nord d’ici.
De toute évidence, il avait du mal à la croire. Mais ce qu’il venait de dire était une aubaine ! Seraient-ce des Séléniens comme elle ? Elle devait en avoir le cœur net :
– Vous... Vous êtes de la résistance ?
Nouveau regard perplexe. Il croisa les bras.
– Ca s’pourrait bien.
Une vague de soulagement déferla sur Eldria. Enfin, des alliés ! Tout n’était peut-être pas perdu ! Elle avait tellement de questions à leur poser.
– Oh c’est... C’est super ! Certains de mes proches ont disparu et je suis à leur recherche, peut-être que vous pourriez...
Elle n’eut pas le temps de finir sa phrase car un des deux hommes en retrait l’interrompit avant de se mettre à lui tourner autour :
– Qu’est-ce que t’en penses Jol’, c’est une espionne ?
Le dénommé "Jol’" ne l’avait pas quittée des yeux et ne semblait pas s’être intéressé à ce qu’elle venait d’essayer de dire, comme si le fait de croiser une compatriote lui paraissait louche.
– Je sais pas. Je croyais que toutes les filles du coin avaient été raflées par l’ennemi. On dirait qu’ils en ont oublié une, et pas la plus moche en plus.
– Comme quoi c’était pas une si mauvaise idée de quitter ce trou paumé de Pic-Ridas, ajouta l’autre. Visez donc c’que le vent de la liberté nous amène tout cuit entre les dents.
Eldria sentit son cœur s’emballer et fit un pas en arrière. C’était évident maintenant... Ces types étaient peut-être du Val-du-Lune, mais c’étaient des déserteurs ! Et s’ils étaient prêts à risquer la pendaison pour trahison, qui sait de quoi d’autre ils étaient capables...
– Je... hem... balbutia-t-elle. Je vais reprendre ma route car je suis déjà un retard. C’était un plaisir de vous rencontrer. Si vous voulez bien m’excuser...
Elle recula davantage tout en serrant sa dague, priant pour qu’ils la laissent repartir sans demander leur reste. Elle ne recula pas bien loin.
– Pas si vite ma jolie, lança l’inconnu qui s’était mis dans son dos, tandis que ses compères se séparaient pour se placer devant elle. Alors comme ça t’es du coin ? J’ai entendu dire que les fermières étaient pas farouches dans la région...
Joignant le geste à la parole, il glissa une main baladeuse par-dessous sa cape, sur ses fesses.
– Laissez-moi ! le repoussa-t-elle en tentant de s’écarter.
Mais déjà, une autre main venait de l’attraper fermement par le bras. Agissant d’instinct et dopée par la peur et l’adrénaline, Eldria dégaina sa dague et tenta de s’en servir contre l’inopportun, plus pour l’intimider que pour réellement le blesser. La lame glissa sur le bras de l’assaillant, découpant tissu et peau, laissant une fine entaille derrière elle. L’homme lâcha prise dans un juron.
– Sale peste ! s’écria-t-il en se tenant le bras.
Eldria, qui ne savait que trop bien ce que ces énergumènes avaient pour projet de lui faire subir, tenta de profiter de l’effet de surprise pour prendre les jambes à son cou. Pendant une seconde, elle crut presque y être arrivée, mais un autre de ses agresseurs fut plus véloce qu’elle et parvint à lui faire un croche-patte. Elle s’étala misérablement sur le sol et laissa échapper son arme dans les fourrés, hors de sa portée.
– Non ! cria-t-elle avec la force du désespoir. Laissez-moi !
Mais ils n’en avaient cure car déjà ils fondaient sur elle pour l’empêcher de se relever tandis que leur collègue se tenait le bras.
– Ca va Brohk ?
– Ouais... C’est rien qu’une égratignure. Alors ma jolie, on fait joujou avec les couteaux ? Tu devrais faire attention, tu pourrais te couper.
Eldria tenta de se débattre mais ils étaient bien plus forts qu’elle. Quelle étrange malédiction à l’œuvre faisait qu’elle ne semblait rencontrer que des hommes sans foi ni loi ?
– Laissez-moi ! répéta-t-elle dans l’espoir vain que sa détresse les convaincrait. On est dans le même camp non ?
– Peut-être, répondit celui qui se faisait appeler Jol’ et qui semblait être le plus "raisonnable" des trois. T’en fais pas on va te laisser repartir. Mais tu comprends, mes amis n’ont pas vu de femme depuis fort longtemps déjà, et tu sais bien ce que c’est... Ce sera un peu une façon pour toi de participer à l’effort de guerre non ?
– Ouais, soutint son collègue superficiellement blessé. Et puis y’a pas de raison que y’ait que les Eriarhi qui en profitent.
Eldria, terrassée par l’angoisse, trouva la force d’aller chercher de la colère dans ses entrailles. Sans crier gare et parce-que c’était la seule arme qui lui restait, elle cracha en plein dans la figure de Jol’.
– Je suis sûre que vos familles doivent être fières de vous, leur asséna-t-elle avec ce qui lui restait de sarcasme.
Jol’ s’essuya calmement le visage.
– Oh tu sais, les temps sont durs. Et puis nos familles sont mortes depuis longtemps alors bon...
Puis, sans se démonter :
– Allez les gars, on lui enlève sa jolie cape puis on fait ça vite fait et proprement. Vous avez entendu ? La demoiselle est pressée.
– Ouais ouais c’est ça, moi aussi j’suis pressé.
Croyant revivre un éternel cauchemar dont elle pensait s’être définitivement débarrassé, Eldria sentit des doigts pressés lui parcourir le corps. Elle tenta de se débattre comme elle le put mais pendant que l’un la déshabillait, les autres la maintenaient plaquée au sol, sur le dos. Ils lui firent sans difficulté retirer sa cape de voyage, puis tirèrent sur sa tunique. Les boutons ne résistèrent pas longtemps.
– Laissez-moi ! répéta-t-elle, paniquée.
Ils ne l’écoutaient pas, s’intéressant plutôt à sa brassière qu’ils soulevèrent sans mal, dévoilant sa poitrine à l’air libre. Des mains indélicates dont elle ignorait le propriétaire exact ne tardèrent pas à venir se poser dessus.
– Ils pourraient être plus gros, mais c’est déjà pas mal.
Puis, ne lui laissant aucun répit, le dénommé Brohk lui attrapa le pantalon et le fit glisser vers lui, emportant avec lui sa culotte. En quelques secondes à peine, elle se retrouva pratiquement nue dans l’herbe, à leur entière merci. Des visions de ses traumatismes en prison lui revinrent à l’esprit pour la tourmenter davantage.
– Brohk, tu commences ?
– Avec plaisir.
Brohk baissa son pantalon.
Elle aurait pu penser que, maintenant qu’elle n’était plus vierge, ces situations auraient pu revêtir un aspect moins effrayant. Après tout, elle avait déjà vu "le loup" maintenant, on ne pouvait donc plus lui arracher son innocence. Mais il n’y avait rien à y faire : c’était normalement à elle de décider qui lui passerait entre les jambes, et à personne d’autre ! Dans la contrainte et la peur, il n’y avait rien d’excitant...
Le "loup" de son prochain agresseur se dévoila justement à elle. Affublé d’une touffe de poils hirsute et à la propreté douteuse, son engin n’avait rien d’attirant. Son propriétaire, visiblement pas gêné le moins du monde de faire ça devant ses camarades, se frotta le sexe brièvement. Malheureusement pour elle, son érection fut aussi rapide que leur propension à la dénuder.
En désespoir de cause, elle tenta une fois encore de se soustraire aux goujats qui la dévoraient maintenant d’un regard libidineux, mais ses membres étaient trop fortement retenus par ceux-ci. Des images de son incarcération défilèrent à toute vitesse dans son esprit : la fois où elle avait dû se dévêtir devant Madame Martone et deux gardes, Salini sur le point de se livrer à deux hommes près de sa cellule pour la protéger, le blond en train de se masturber devant elle dans l’agitation de la salle commune, le blond la menaçant et l’étranglant dans la réserve, encore le blond sur le lit avec elle, prêt à passer à l’action...
Elle ferma les yeux, s’imprégnant de cette vérité simple : sa deuxième fois – si elle omettait cette tentative avortée dans le sang – se ferait avec ces hommes pourtant censés être dans son camp. L’acte serait certainement beaucoup moins doux que ce jour dans la grotte...
Comme pour venir contrebalancer les affreux souvenirs de ses expériences passées, ceux de sa première nuit avec Dan vinrent subrepticement les chasser. Leurs corps entrelacés, leurs souffles pressants, la chaleur des flammes sur leur peau à nu... Elle aurait tout donné pour revivre cet instant, son seul îlot de bonheur dans l’immensité insondable de chagrin et de souffrance au sein de laquelle elle était plongée, plutôt que de subir la dure réalité.
Elle devait se mettre à délirer car voilà maintenant qu’elle avait l’impression de le voir, son compagnon d’alors, penché au-dessus d’elle. C’était tout bonnement impossible, il était dans le coma, comment pourrait-il être là en cet instant ? Pourtant...
Elle secoua la tête et plissa les yeux. Non, elle n’avait pas la berlue, l’homme devant elle ressemblait comme deux gouttes d’eau à Dan. Il était debout, sorti de nulle part, et s’interposait entre elle et son bourreau. Une dague qu’elle connaissait bien était plantée dans la poitrine du déserteur Sélénien. Les yeux exorbités, ce dernier, cul nu, tomba à la renverse. Ses collègues, sonnés, mirent une seconde à réagir.
– Bordel ! jura l’un d’eux.
Lâchant Eldria, il se releva et donna un violent coup d’épaule en plein dans le dos de l’homme qui ressemblait à Dan. Celui-ci, le torse recouvert d’un épais bandage, se contorsionna de douleur et mit un genou à terre. Du sang se mit à couler d’entre ses omoplates.
– Mais d’où il sort cet enfoiré ? Il a tué Brohk putain !
Jol’ relâcha Eldria à son tour et dégaina son épée. Le sauveur d’Eldria, accroupi et le souffle coupé, n’était plus armé et ne pourrait pas parer la lame qui s’abattait déjà sur lui.
Soudain, un sifflement retentit. Puis un autre. L’instant d’après, deux nouveaux cadavres, une flèche fichée dans la cage thoracique, vinrent joncher le petit sentier. Eldria, soudainement et miraculeusement libérée, renfila son pantalon et sa brassière à la hâte. Puis, sans perdre un instant et sans se soucier du mystérieux ange gardien qui venait de les sauver in extremis, elle se tourna vers son protecteur.
– Dan... souffla-t-elle.
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