Chapitre 13 (deuxième partie)
Si Arouk avait utilisé les éléments de la petite tente qui avait servi à nous abriter le temps de notre trajet entre notre abri d'hiver et le campement du Clan de l'Ourse, il l'avait aussi agrandie. Ce n'était pas un abri aussi grand que celui que Gourn et Lorg avaient réalisé l'été dernier pour le grand rassemblement, mais elle était assez grande pour que nous puissions y dormir tous les trois et y ranger nos affaires. Nous avions étendu nos fourrures d'un côté, la petite couche de Kourag étant installée près de nos têtes, comme nous le faisions dans le grand abri de mes parents. Nous avions laissé un petit espace dégagé au milieu, afin de pouvoir circuler aisément, que je puisse aussi m'occuper du bébé facilement, et de l'autre côté, nous avions entreposé nos affaires, vêtements, provisions, armes, outils.
Alors que je m'endormais presque en même temps que mon fils, le repas se poursuivit encore un peu au-dehors, mais, bien vite, Gourn, Lorg et Arouk rejoignirent les autres hommes pour prêter main forte à l'installation des uns et des autres. Il y avait encore quelques abris à monter, une autre chasse à organiser, du bois à rapporter, mais aussi des pierres ou des os pour permettre au Clan du Renne de trouver des éléments à disposition pour monter son propre campement.
Quand Arouk revint près de notre abri, j'étais réveillée. Kourag dormait encore, mais je savais bien qu'il ne tarderait pas à réclamer sa tétée. Ma mère avait entraîné Kari qui avait vite retrouvé des amis et jouait par-là. Oda se reposait encore. J'entrepris de dégager un peu le foyer des restes du repas de midi. Nous étions seuls ou presque quand il arriva.
- Kourag est déjà réveillé ? me demanda-t-il en me voyant m'activer.
- Non, pas encore, répondis-je. Mais je me suis bien reposée. Ca va. Et toi ?
- Ca va aussi. Nous avons aidé là où il y avait besoin. Tyma est bien installée, me précisa-t-il.
Je souris. Il poursuivit :
- J'étais avec Grak un moment et nous avons aussi parlé avec le chef du Clan de la Louve, Onk. Grak lui a expliqué pourquoi j'étais revenu avec vous plus tôt que prévu. Il a trouvé que c'était normal. Il m'a dit aussi qu'il se réjouissait de pouvoir organiser, sous sa responsabilité, notre cérémonie d'union. Il y a au moins un couple du Clan de la Louve qui souhaite s'unir cet été.
- Il y aura moins d'unions que pour le grand rassemblement, dis-je.
- Oui. Au moins pour la première cérémonie. Il y en aura peut-être plus pour la deuxième.
Je hochai la tête.
- Ainsi, dis-je en réfléchissant à voix haute. Nous ne serons peut-être que deux couples pour la première cérémonie, sauf s'il y en a au sein du Clan du Renne.
- Oui, me dit-il. Cela ne me gêne pas.
- Moi non plus. Je regrette encore de ne pas avoir pu m'unir à toi en même temps que mon frère s'unissait à Oda et que Kaarg s'unissait à Ilya. Mais c'est ainsi et je suis certaine que nous aurons une belle cérémonie.
Arouk se rapprocha de moi et me prit tendrement dans ses bras.
- Est-ce que... tu saigneras encore à ce moment-là ?
Je levai mon visage vers lui.
- Je ne sais pas trop. Ma mère pense que cela devrait bientôt cesser, car mon flux est vraiment faible maintenant. Il faudra que je voie la Grande Mère aussi pour cela. Mais la décision ne sera prise que lorsque le Clan du Renne sera là. La première cérémonie n'aura pas lieu avant une demi-lune environ, cela me laisse du temps, encore un peu.
- J'ai hâte de partager à nouveau le plaisir avec toi, Ourga, me dit-il en me fixant de son beau regard bleuté.
- J'ai hâte aussi, dis-je. Mais... Tu sais... ce soir et quand le Clan du Renne sera là aussi, il y aura une fête et alors... Tu pourras aller avec une autre femme. En attendant.
Il s'écarta un peu de moi, mais garda ses mains posées sur mes bras, assez fermement. Son front s'était plissé.
- Je n'ai pas envie d'aller avec une autre femme que toi. Même pour un moment. Je vais devenir l'homme de ton foyer, Ourga, et je veux l'être dès maintenant. Tu es la femme à laquelle je veux m'unir.
Je lui souris doucement en réponse et me blottis à nouveau contre lui. Ses bras se refermèrent sur moi et nous restâmes un moment ainsi.
**
Le Clan du Renne arriva trois jours après nous. C'était un clan important, comptant à peu près le même nombre de membres que celui de l'Ourse. Ils prirent place en partie près de nous et Ilya eut ainsi le plaisir de retrouver sa famille. Sa mère la serra fort dans ses bras en la voyant porter déjà si haut un enfant.
- Il était temps que nous arrivions, dit-elle en la regardant avec bonheur. Je me réjouis d'être là pour t'aider à mettre ton enfant au monde et je suis heureuse que les esprits t'aient honorée si vite.
- Je suis heureuse de vous revoir tous aussi, répondit Ilya alors que sa soeur, à peine plus âgée, l'entourait également. Je me sens soulagée que vous soyez enfin arrivés. J'aurais été déçue que mon bébé naisse sans vous...
Sa mère la regarda plus attentivement et ne put ignorer les ombres qui avaient creusé ses joues, son regard fatigué. Elle hocha simplement la tête, mais aucune d'entre nous ne fut surprise que notre Grande-Mère et celle du Clan du Renne voient Ilya avant la fin de la journée. Leur entretien dura longtemps, au point que cela nous inquiéta, Kaarg et moi. Il me confia alors qu'il avait hâte que le bébé naisse.
Les premières journées du petit rassemblement furent marquées par une première chasse, la joie des retrouvailles, le plaisir à partager des occupations d'été, comme tanner les peaux, s'occuper des jeunes enfants, échanger des outils, inviter des amis, des proches, à partager un repas, répondre à des invitations aussi. Mais, bien vite se prépara aussi la première cérémonie d'union.
Aucun couple ne voulant s'unir parmi le Clan du Renne, aussi nous ne fûmes que deux à participer à la cérémonie d'union, un couple du Clan de la Louve et Arouk et moi. La date en était fixée à la prochaine grande lune, quand l'astre serait plein et brillant de sa douce lueur argentée. J'espérais, comme je l'avais dit à Arouk, ne plus saigner des suites de l'accouchement à cette date. Un jour que je me trouvais avec ma Grande Mère pour préparer la cérémonie, je lui posai la question et elle me répondit de ne pas m'inquiéter à ce sujet. J'avais emmené Kourag avec moi et l'avais étendu sur une peau, sous la tente de ma Grande Mère. Il était éveillé et regardait avec amusement la peau qui fermait la tente et était soulevée légèrement par un petit vent léger.
- Saignes-tu encore beaucoup, Ourga ? me demanda ma Grande Mère.
- Plus trop, non. C'est presque comme le dernier jour de mes périodes. Assez clair et, parfois, j'ai même l'impression que cela s'arrête.
- Tu ajouteras cette herbe aux tisanes que tu prends pour la montée du lait. Tu n'as pas de mal à nourrir Kourag, n'est-ce pas ?
- Non. Il prend bien.
- Alors, cela ira. Je pense que tu ne devrais plus saigner du tout d'ici deux à trois jours, tout au plus. Quand tu auras passé toute une journée et toute une nuit sans saigner, viens me voir. Tu pourras alors arrêter la tisane. Je pense que ta poitrine peut maintenant bien fournir le lait, sans que tu en aies besoin, mais il vaut mieux que tu la continues jusqu'à la fin des saignements.
- Merci, Grande Mère.
Elle observa alors Kourag, le prit dans ses bras un moment. Elle le palpa, fit bouger ses bras et ses jambes. Puis elle me le rendit en disant :
- Il se porte très bien. Il est déjà plein de force et on ne dirait pas qu'il a tout juste une lune. On pourrait croire qu'il en a presque deux. Mais il ne faut pas qu'il t'épuise non plus. N'hésite pas à rester au repos, notamment l'après-midi, à ne pas trop en faire durant le rassemblement. Je sais qu'on est souvent porté à vouloir voir nos amis, à inviter les uns et les autres. Pour l'heure, l'important est que tu te consacres à ton enfant et que tu te prépares pour la cérémonie d'union.
Je souris à cette perspective. Elle me fixa encore un moment en silence, puis me prit les mains et dit encore :
- Tout se passera bien, cette fois, Ourga. Tu n'as pas avoir de crainte.
Emue, je ne sus que répondre et hochai simplement la tête. Puis je la remerciai et quittai sa tente, ramenant Kourag vers notre abri. Seule Oda se trouvait là, mais elle se reposait et je ne voulais pas la réveiller. Je me rendis alors dans le grand espace aménagé entre les tentes et qui permettait à tous de se rassembler pour les fêtes, les grands repas. Il y avait beaucoup moins d'agitation que lors de l'été précédent, nous étions moins nombreux à nous retrouver, mais la joie était toute autant présente, et l'approche de la cérémonie d'union ainsi que la grande fête qui la suivrait ravissait les coeurs. Beaucoup avaient le sourire et plusieurs échangèrent des petits mots gentils avec moi, sachant que je serais l'une des deux femmes à s'unir prochainement. Sans en avoir eu encore vraiment conscience, je me rendis compte alors que, pour beaucoup, il était nécessaire d'effacer le souvenir de la dernière cérémonie d'union. Je n'avais pas participé à la fête qui avait suivi, je n'étais que blessure et crainte, dégoût et colère. Je ne m'étais pas rendu compte que, pour beaucoup, cela avait été un mauvais souvenir, même si la plupart des personnes n'étaient pas directement concernées. Les couples qui s'étaient unis à cette occasion avaient aussi ressenti comme une tache sur leur union. Je n'irai pas à dire qu'il s'agissait là d'un mauvais présage, mais oui, cela avait été mal vécu. Et ce n'était pas de mon fait, ni de celui d'Arouk, je le mesurais maintenant très bien. Et cela me réjouit et éloigna un peu plus mes craintes, refermant la plaie des mauvais souvenirs.
Annotations
Versions