Chapitre 14 (deuxième partie)
Ainsi entamâmes-nous les préparatifs de notre retour. Je ne fis pas grand-chose, hormis rassembler en partie les affaires des enfants, et encore, ce fut ma mère et Kari qui le firent principalement. Arouk, lui, aidé par Gourn et Kaarg qui voulait faire sa part, rassembla les peaux et la viande que nous avions obtenues, ainsi que les autres vivres. Il avait fait aussi quelques échanges, mais finalement fort peu : nous n'avions pas eu tout un hiver comme les autres, à pouvoir préparer paniers, peaux, bijoux ou armes. Mais cela m'importait peu.
Je passais les derniers jours, les derniers moments de tranquillité que je pouvais trouver, avec Ilya. Et ce fut plus elle qui me consola de notre départ que l'inverse, même si j'emmenais sa fille avec moi. Elle aussi m'accordait sa confiance et me dit qu'elle aurait une bonne raison supplémentaire de reprendre des forces, quitte à ne revenir qu'au printemps : celle de retrouver sa fille.
Grak donna le signal du départ par un matin un peu frais : il était temps de regagner notre campement, car il nous restait approximativement moins d'une lune avant les premières neiges. Et nous aurions à faire là-bas, pour nous préparer au long hiver. Je n'oubliais pas que notre abri n'était pas totalement terminé, qu'il faudrait encore organiser une ou deux grandes chasses pour ramener des provisions, qu'il faudrait récolter les grains et les fruits autour de notre campement, ramasser du bois et préparer nos abris pour l'hiver. Ce seraient des journées bien remplies, mais que nous pourrions vivre tous ensemble et pas uniquement Arouk et moi comme cela avait été le cas l'an passé.
Les adieux à Kaarg, Ilya, Lorg et Oda furent émouvants, mais chaleureux. C'étaient aussi bien différents de ce que j'avais connu à la fin de l'été précédent, alors que je demeurais seule avec Arouk. Mais, d'une certaine façon, cela y ressemblait un peu, car je laissais derrière moi mon frère et mes amis. Sans oublier la petite Lora qui était vraiment un bébé minuscule. On voyait déjà la différence entre Kourag, Kalya et elle. Même si elle était moindre entre les deux petites filles.
Nous mîmes trois journées à revenir à notre campement, car nous étions bien plus chargés qu'à l'aller, même si aucune femme attendant un bébé ne ralentissait cette fois notre progression. Mais ce fut avec un soulagement et une joie certaine que nous retrouvâmes nos abris d'hiver.
Un peu par habitude, un peu par fatigue aussi, je me dirigeai naturellement vers l'abri de mes parents, mais Arouk me retint un instant en me voyant suivre ma mère.
- Veux-tu t'installer chez ta mère pour les premiers jours, Ourga ?
Le ton de sa voix était vraiment interrogateur. Je le fixai un instant, puis compris.
- Non, c'est vrai... Nous avons un abri pour nous.
- Il n'est pas terminé, du moins, il y a encore à faire pour le protéger mieux de la pluie et de la neige, et pour aménager l'intérieur. Mais on peut déjà y habiter. Et Tyma serait heureuse de s'y réinstaller dès à présent avec nous, me répondit-il. Nous en avons parlé tous les deux au cours du trajet.
Je hochai la tête. Je n'avais pas vu Arouk s'entretenir avec Tyma, sans doute l'avait-il fait un soir, près du feu, alors que je dormais déjà ou que je m'occupais des enfants. Je rejoignis ma mère qui commençait à défaire les affaires que Gourn avait tirées sur un long travois.
- Maman... Arouk dit que nous pourrions habiter dans notre nouveau foyer dès aujourd'hui.
- C'est une bonne chose, Ourga, me dit-elle en se redressant. Cela va éviter d'avoir à déplacer vos affaires en peu de temps. Tyma sera avec toi pour t'aider pour les deux bébés, mais si tu as besoin de moi, il suffira de dire à Arouk de venir me chercher, même dans la nuit. Néanmoins, je suis certaine que vous vous débrouillerez très bien tous les trois, et je pourrai t'aider plutôt dans la journée. Va, il est déjà tard aujourd'hui et il reste encore à faire.
- Oui, tu as raison, dis-je et je retournai bien vite près d'Arouk.
Tyma l'avait rejoint elle aussi et il lui avait confié Kalya, attendant que je revienne. Il tenait juste son fils dans ses bras.
- J'ai prévenu maman, dis-je à l'adresse de Tyma.
Elle hocha simplement la tête et nous nous dirigeâmes vers son abri. Enfin, le nôtre désormais même s'il n'était pas encore consacré. Tyma y pénétra la première et je la suivis. Il y avait peu de choses à l'intérieur : Tyma n'avait pas beaucoup d'affaires pour elle seule et elle avait emporté avec elle ses fourrures pour la nuit et quelques vêtements. Elle était peu chargée, pour ne pas obliger non plus quelqu'un d'autre à porter ses affaires. Elle n'avait pas emmené d'ustensiles de cuisine avec elle notamment, hormis un couteau qu'elle portait à la ceinture et un sac dans lequel elle transportait des herbes pour agrémenter les plats et une petite outre en peau pour l'eau. Tyma avait appris à voyager léger depuis qu'elle était seule.
Elle s'assit près de ce qui était le foyer, sur une de ses fourrures et me tendit les mains :
- Laisse-moi les enfants pendant que tu aides Arouk à ranger vos affaires. Ensuite, nous allumerons un petit feu, mais je pense que Grak va faire en sorte que nous prenions le repas tous ensemble ce soir.
C'était souvent ainsi. Je revivais alors d'autres retours de rassemblements d'été, avec l'agitation qui régnait à nouveau dans le campement resté vide durant deux à trois lunes. Chacun était heureux de retrouver son abri, les enfants étaient un peu excités malgré la fatigue des journées de marche. Il y avait des cris, les mères rappelant les plus âgés pour qu'ils viennent aider - et, parmi ce tumulte, j'entendis la voix de la mienne appeler Kari -, les hommes allant et venant avec des charges assez lourdes : morceaux de viande fumée, peaux, travois qu'ils démontaient et rangeaient, chargement de bois pour allumer les premiers feux. Les fumées montaient déjà de quelques abris, bien vite rejointes par d'autres. Des odeurs se répandaient aussi, certains s'employant à préparer le repas du soir. Il y avait des jeunes gens qui se rendaient à la rivière, collectant les outres à remplir pour tous et revenant les bras chargés, repartant jusqu'à ce que chacun ait une bonne provision d'eau à disposition au moins pour le soir et la nuit.
Bien que sollicitée par ma mère, Kari s'était échappée dès qu'elle avait pu et nous avait rejoints. Quand Norok, un garçon d'environ quatorze printemps vint chercher notre outre, elle le suivit vivement jusqu'à la rivière, tenant une autre outre que notre mère lui avait confiée.
Nous rangeâmes vite nos affaires, je commençai par préparer nos couches, celles des petits, celle de Tyma et terminai par celle pour Arouk et moi-même. Tyma avait l'habitude d'occuper le fond de son abri - ce qui lui avait évité d'être blessée ou pire quand une partie de celui-ci s'était effondrée -, et elle reprit naturellement cette place. Une fois que nos couches furent prêtes, elle me redonna les enfants. Kourag s'était réveillé et je dus le changer, mais Kalya dormait encore et je l'installai avec soin dans la cavité où étaient disposées ses petites fourrures. Je lui avais préparé des nôtres, qu'Arouk avait mises de côté à l'issue d'une des chasses à laquelle il avait participé. Elles étaient plutôt destinées à Kourag, Kaarg et Ilya nous ayant donné des affaires pour Kalya, mais elles étaient encore enveloppées dans des ballots et nous n'avions pas le temps de défaire toutes nos affaires ce soir. J'avais donc fait au mieux pour les deux petits pour leur première nuit. Bien entendu, Kourag avait toujours sa fourrure de lynx pour le couvrir.
Pendant que je m'occupais de Kourag, Tyma alluma le feu et termina son propre rangement tout en jetant fréquemment un oeil sur Kalya. Arouk allait et venait de l'extérieur à l'intérieur, rapportant à chaque fois des affaires. Il récupéra ainsi une première outre d'eau, en confia une deuxième, puis une troisième à Kari et Norok. Il resta un instant à les suivre du regard, amusé par la façon dont Kari regardait le grand garçon. Celui-ci avait une bonne foulée, mais semblait ralentir pour permettre à la fillette de le suivre.
Le soir venu et une fois que l'agitation propre au retour se fut un peu apaisée, nous nous retrouvâmes tous autour du grand feu pour le repas. Nous ne veillâmes pas tard, mais nous appréciâmes aussi de partager ce premier repas dans notre campement. Arouk était assis à mes côtés, Kourag endormi sur ses genoux, et alors que je nourrissais Kalya, il passa son bras par-dessus mon épaule et m'attira contre lui.
- Nous voilà de retour chez nous, Ourga, me dit-il tendrement.
- Oui. Et je suis heureuse d'y être avec toi.
Je soupirai, puis ajoutai :
- Tu sais, l'an passé, je n'aurais vraiment pas pu être ici, avec tous les miens. Sans toi. J'aurais été trop malheureuse et trop inquiète pour toi.
- Je le comprends, me répondit-il en me serrant un peu plus contre lui. Nous avons eu de la chance, Ourga, de passer l'hiver ensemble et de survivre aussi, à deux. Et maintenant, nous avons un foyer pour nous. Devant notre peuple et bientôt devant les esprits.
Je hochai la tête, mais n'ajoutai rien. Kalya finit sa tétée en s'endormant, comme bien souvent. Je la berçai un moment, elle fit son petit rot et nous décidâmes de regagner notre abri. Déjà, plusieurs familles avaient quitté la place, mais mes parents, quelques jeunes gens aussi, plusieurs chasseurs demeurèrent encore autour du grand foyer. Tyma resta aussi avec eux, parlant avec ma mère. Je lui fis un petit signe et elle me sourit, me répondant d'un geste de la main. Je compris qu'elle nous laissait seuls pour cette première soirée, qu'elle ne viendrait se coucher que plus tard.
Nous installâmes les deux enfants avec soin. Le nouvel abri de Tyma - le nôtre aussi - était plus large que celui de mes parents et aussi un peu plus long. Arouk n'avait pas imaginé que nous y vivrions au moins un hiver avec deux bébés, mais il avait prévu cependant que nous y serions à deux familles ou presque, puisque Tyma était une famille à elle seule. Elle avait donc son "coin", le fond de l'abri, qui se terminait un peu en pointe et dont le plafond était légèrement plus bas. De l'extérieur, nos abris ressemblaient à de grosses coques de noix retournées, coupées en deux, avec une partie centrale et l'ouverture plus haute que le fond de l'abri. On pouvait ainsi y entrer aisément et vivre confortablement dans la partie centrale. Le fond et les côtés étaient utilisés pour installer les couches ou pour servir d'endroits de stockage, de rangement. Une partie de la viande fut suspendue de l'autre côté du foyer par rapport à notre couche. Les bébés furent installés près de nous, un peu en hauteur cependant. Plus tard, quand ils seraient grands, nous pourrions récupérer les petites niches où ils dormaient pour ranger des affaires.
Nous avions laissé une partie des affaires près de l'entrée, tout ce qui ne nécessitait pas d'être rangé dès aujourd'hui et tout ce dont nous n'avions pas besoin non plus pour les premières heures : peaux, outils, ustensiles, pierres à feu, quelques fourrures aussi, provisions. Seule la viande, donc, avait été suspendue et quelques autres provisions plus fraîches avaient été mises hors de portée. Nous aurions le temps, Tyma et moi, de ranger tout le reste tranquillement à partir du lendemain, quitte à solliciter l'aide de Kari, voire celle de ma mère, alors que les hommes partiraient pour de nouvelles chasses pour faire encore des provisions avant l'arrivée de la neige.
Une fois les enfants couchés, Arouk me prit dans ses bras. Nous étions debout devant notre couche et il m'embrassa longuement. Puis il dénoua ma tunique, mes jambières et, tout en me caressant, il retira aussi les siennes. Nous avions quelques fois partagé le plaisir au cours de l'été, mais j'étais vite fatiguée par les enfants et les soins constants qu'il fallait leur accorder, ce qui faisait que nous ne nous étions pas aimés depuis plusieurs nuits. Mais, ce soir, pour notre première nuit dans notre abri, et alors que Tyma nous accordait un début de soirée juste entre nous, nous voulions en profiter.
Il m'étendit bien vite sur notre couche, je sentis mon dos s'enfoncer dans nos fourrures moelleuses. Je fermai les yeux de bien-être, savourant ses caresses qui faisaient déjà durcir mes tétons. Il embrassa mes seins avec douceur, sans insister pour ne pas faire couler de lait, et préféra s'attarder sur mon ventre. Les rondeurs de ma grossesse s'estompaient et avaient maintenant quasiment disparu.
- Hum, Ourga... Ce que ta peau est douce... Et comme j'en aime le parfum ! me souffla-t-il d'une voix déjà rauque.
Ses mots m'enflammèrent et je me cambrai, gémissant son nom alors que sa bouche s'attardait sur mon bas-ventre, effleurait mes hanches. Ma liqueur coulait maintenant entre mes cuisses et il me tardait de sentir sa langue la laper. Je glissai mes doigts dans sa chevelure, appuyant sa tête sur mon ventre, avant d'insister pour qu'il l'amène plus bas. Mais il résista et s'écarta de moi, me fixa. Je rouvris les yeux, croisai son regard.
- Arouk...
- Ourga... Savoure, femme de mon foyer. Savoure le plaisir que l'homme de ton foyer veut te donner.
Je laissai ma tête retomber sur nos fourrures et refermai les yeux. Je ne vis pas son sourire, mais il saisit mes hanches, ses paumes caressant mes formes, encore légèrement rondes à cet endroit, de mes fesses à mes genoux. Ses mains allaient et remontaient, lentement, mais leur chaleur se répandait dans tout mon corps. J'avais tout oublié. Le repas qui se déroulait encore au-dehors, les cris des enfants qui jouaient entre les abris, la fatigue du retour, Tyma, et jusqu'aux deux bébés qui dormaient pourtant si proches. A cet instant, je ne vivais plus que pour l'homme de mon foyer, celui que j'avais choisi, qui m'avait choisie et avec lequel je voulais partager le plaisir, avec lequel je voulais me fondre et ne faire qu'un.
Je fus presque surprise quand ses lèvres se posèrent sur mon bouton, le faisant jaillir d'entre mes lèvres humides. Il le suça avec application, m'arrachant des plaintes que je ne cherchai pas à retenir. Puis sa langue se glissa en-dessous, s'enfonça entre mes chairs tendres, goûtant encore et encore. Je me cambrai sous les vagues de feu qui m'emportaient, toujours plus haut et plus loin. Mais quand il cessa, je rouvris les yeux, haletante et pantelante. Mais je n'eus pas le temps de protester car il vint poser sa bouche sur la mienne pour un baiser profond et puissant. L'instant d'après, il soulevait mes hanches, et venait en moi, me délivrant d'une attente qui m'était insupportable. Enfin, nous ne faisions qu'un, enfin, il était en moi et m'emportait à nouveau vers le plaisir. Un grognement rauque monta dans sa gorge alors qu'il m'embrassait toujours. Mes jambes s'étaient refermées autour de ses reins, mes bras autour de ses épaules. Je le retenais à moi comme il s'enfonçait encore, plus loin et plus fort. Le plaisir nous saisit tous les deux, nous faisant rompre notre baiser. Sa plainte se perdit dans mes cheveux, la mienne dans son cou.
Mais le poids de son corps sur le mien m'était si doux.
**
J'allais ignorer à quel moment Tyma avait rejoint l'abri, car je m'étais endormie, moite de sueur et de plaisir, blottie dans les bras d'Arouk qui m'avait enlacée, collé à mon dos. Contrairement à la façon dont nous nous couchions sous l'abri de mes parents, cette nuit, ce fut moi qui dormis contre la paroi et lui vers l'intérieur de l'abri. Ce fut ainsi lui qui se leva quand Kalya la première réclama à manger. Je sortis des brumes du sommeil, encore alanguie par le plaisir partagé. Mais, déjà, Arouk me tendait la petite fille d'Ilya. Je la nourris, regardant mon homme qui s'activait près du foyer pour chauffer un peu d'eau afin de la laver et la changer plus aisément, qu'elle ne prenne pas froid. Kalya n'en avait pas encore fini que Kourag réclamait son dû à son tour, m'arrachant presque un soupir. Je savais qu'il faudrait encore au moins une à deux lunes peut-être avant qu'il ne dorme toute la nuit, mais il était possible aussi que Kalya, même si nous veillions à la prendre vite quand elle avait faim ne le réveillât et ne l'amenât alors à vouloir téter lui aussi.
Je n'étais pas loin de la vérité et, en effet, ce serait seulement quand la petite fille dormirait toute la nuit que mon fils dormirait aussi et me laisserait un peu plus de répit. Mais cela n'arriverait qu'une fois l'hiver bien installé.
Au cours de cette première nuit dans notre nouveau foyer, Arouk m'aida au mieux, comme il le faisait déjà quand nous étions au rassemblement d'été et comme il allait le faire par la suite. Tyma ne fut réveillée que par Kourag et nous demanda, depuis sa couche, si nous avions besoin d'aide. Je lui fis savoir que nous nous en sortions tous les deux et qu'elle pouvait rester couchée. Elle ferait ainsi les nuits suivantes, mais se lèverait tôt le matin, dès qu'un des enfants se réveillerait à nouveau, s'occupant à son tour de relancer le feu, de chauffer un peu d'eau, mais aussi de nous préparer le premier repas.
Nous allions, petit à petit, trouver une façon de faire, au quotidien. Dans les premiers jours, les hommes repartirent à la chasse, mais Arouk ne les accompagna qu'une seule fois. Le reste du temps, il termina l'abri, aidé par quelques-uns. Parfois, Gourn restait lui aussi, parfois il allait à la chasse. Mais ils étaient toujours trois ou quatre hommes à l'aider et notre abri fut bientôt terminé.
Pendant ces quelques journées, la plupart des femmes, des jeunes enfants aussi, parcoururent les alentours pour ramasser toutes les graines, tous les fruits qu'ils pouvaient trouver. Nous fîmes sécher une grande partie de la viande, ne mangeant fraîche que la quantité nécessaire. Les grains furent entreposés dans des peaux étanches, des paniers, et suspendus dans les abris pour empêcher les petits rongeurs de se les approprier. En cela, la lune d'automne était l'une des périodes les plus actives dans le clan, afin d'accumuler assez de nourriture pour passer l'hiver. Au cours des lunes à venir, nous aurions le temps de faire moins de choses, même si nous occuperions ces journées à prendre soin des enfants, à tanner les peaux, tresser des paniers, préparer de délicieux repas qui nous permettraient de nous rassembler aussi.
C'était une période que j'étais heureuse de revivre au sein du clan, après avoir passé l'hiver précédent seule avec Arouk. Mais, avant que ne tombe la première neige, la Grande Mère consacra notre abri. C'était la dernière cérémonie d'importance à laquelle nous allions nous plier, dont nous serions acteurs, à moins qu'un autre enfant ne vienne agrandir notre foyer.
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La Grande Mère avait choisi un jour où les hommes avaient suspendu les chasses. Ce jour serait aussi suivi d'une nuit où la lune serait totalement ronde. Lors de la prochaine, il y aurait de la neige, même si elle ne tombait pas encore en abondance. On sentait bien que l'air devenait plus froid désormais et, certains matins, les bords de la rivière se couvraient d'une fine pellicule de givre. Il faudrait encore toute une lune avant que la couche ne s'épaississe, mais c'était le signe que le grand froid allait resserrer son étau sur nous tous.
Nous avions, au cours des deux jours précédents, préparé l'abri pour la cérémonie. Gourn et Kari avaient nettoyé les abords, ma mère avait trouvé quelques dernières fleurs et des branches pour décorer l'entrée. Nous avions revêtu tous les trois, Tyma, Arouk et moi, nos tenues de cérémonies. Arouk portait au côté un des couteaux de Kian. Grak, le premier, s'était avancé, suivi par les chasseurs du clan, puis les femmes et les enfants avaient fait cercle eux aussi.
La Grande Mère fut la dernière à venir. Elle portait un sac de peau. Elle commença par quelques incantations dans la langue des esprits, puis elle fit le tour de l'abri en piochant régulièrement dans son sac et en en répandant le contenu tout autour. C'était un mélange de suie, qu'elle avait obtenue en brûlant le bois d'une essence d'arbre particulière et à laquelle elle avait ajouté des herbes sacrées.
Quand elle eut terminé de faire tout le tour de l'abri, elle nous rejoignit pour tracer un cercle autour de nous cinq. Arouk portait en effet Kourag et je tenais Kalya dans mes bras. Nous étions tous les cinq les occupants actuels de l'abri et, à ce titre, même Kalya avait droit à la protection des esprits. Même si elle n'était qu'une enfant adoptive de notre foyer.
Enfin la Grande Mère se plaça face à nous et dit :
- Aux grands esprits du clan, je demande de veiller sur Tyma qui a offert son abri à Arouk et Ourga. Ils y sont les bienvenus et cet abri est maintenant autant le leur que celui de Tyma. Les enfants Kourag et Kalya vivent aussi dans cet abri et je demande pour eux votre protection.
Elle termina en me confiant un morceau d'os creux, dans lequel elle avait placé un peu de la cendre qui restait. Je devais l'accrocher à un endroit de notre abri, afin que les esprits le reconnaissent comme étant digne de leur protection. Je gardai le morceau d'os avec moi le temps que chacun vienne ensuite nous féliciter. Le premier à le faire fut Grak, puis ma mère et Gourn, puis tout le clan défila. Chacun nous apporta un petit cadeau, souvent simple mais utile : un ustensile pour la cuisine, quelques provisions, des herbes pour parfumer les plats, une petite peau pour les bébés.
Une fois que tous furent passés, je quittai le cercle que nous formions tous les cinq et j'allai suspendre l'os dans l'abri. Tyma m'avait aidée à choisir un endroit adéquat. Certains suspendaient l'os au-dessus du foyer, d'autres près de l'entrée. Nous avions décidé de le placer entre l'ancienne partie de l'abri et la nouvelle, pour que les esprits reconnaissent mieux les lieux. Ainsi, la poudre et l'os sacrés veilleraient sur nous tous, autant sur Tyma que sur nous autres.
Puis nous ressortîmes et je pris cette fois Kourag dans mes bras, alors qu'Arouk tenait Kalya. La consécration d'un abri était un moment important dans la vie d'un clan et cela n'arrivait pas tous les ans. Aussi une fête était-elle organisée après la cérémonie et tout le monde se retrouva près du grand feu. Deux grands chevreuils, tués lors de la dernière chasse, avaient été mis à rôtir et des mélanges de légumes avaient aussi été préparés avec ceux trouvés la veille lors d'une tournée de récolte. Ce fut un grand et beau moment de réjouissances qui se prolongea tard dans la nuit. Mais ce fut aussi la dernière fête avant l'arrivée de l'hiver.
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