Mardi 6 octobre, 22h.
Je ne dors pas, je l'attends. Plus pour longtemps parce qu'enfin j'entends ses pas qui grimpent sans faire de bruit les marches de l'escalier. Puis j'entends encore des vêtements tomber au sol, dans le noir, et des draps de lit se soulever. Mon coeur bat plus fort. On n'est que tous les deux dans cette chambre, cette fois.
Je décide de me lever et avance à tâtons jusqu'à sentir au niveau de mes genoux le cadre du lit d'Aiden. Il se relève sûrement dans son lit, m'ayant entendu.
- Tu fous quoi ? Et Marie ? il demande.
- Ça t'intéresse ? je rétorque, sarcastique.
Il n'a pas été fichu de me le demander, il a attendu la nuit pour venir... Je sais très bien qu'il n'a aucune envie de discuter.
- Jay... Excuse-moi, d'accord ? Je suis un peu perdu, il me dit, comme lassé.
Je m'assois au bord du lit, pas loin de lui qui est appuyé contre la tête de lit. Je peux distinguer sa silhouette, d'ici. Et sentir sa chaleur, aussi...
- Elle est partie aujourd'hui, elle est plus là.
- Hmm, je reçois pour toute réponse.
- Tu sais ce que ça veut dire ? j'insiste.
- Hmm.
J'ai envie de le gifler.
- Faut qu'on parle de nous, Aiden.
Je suis le plus sérieux du monde. J'en ai marre de douter.
- Oui, j'ai compris. Écoute, Jay, t'as eu une relation de je sais pas combien de mois ou d'années avec cette fille, et à part avec moi, t'as été du genre fidèle. Attentionné, amoureux et toutes ces conneries. Je suis pas comme ça moi, tu comprends ?
Il est agacé. Il n'a pas envie d'en parler, mais il faudra bien.
- Je comprends pas vraiment, non. Y a pas de "comme ça", ça devrait dépendre d'avec... Avec qui tu es.
Heureusement qu'il fait noir, je suis rouge tomate.
- Ben c'est pas mon cas ! Je peux pas m'excuser d'être comme je suis et tu peux pas m'en vouloir ! (Il s'énerve franchement cette fois). J'ai jamais été du genre fidèle, j'ai jamais été amoureux, c'est pas mon truc d'être en couple. (Ça fait mal). Je... J'ai pas envie de me prendre la tête avec ces merdes, c'est que des illusions et ma vie me convient très bien comme ça. Je veux bien être avec toi Jay, vraiment. Mais je veux pas commencer un truc chiant avec des règles et des limites, tu peux pas me le demander. C'est pas mon truc, il finit sur un ton plus calme.
- C'est quoi ton truc alors ? Je devrais faire quoi pour que tu sois assez attaché à moi pour culpabiliser d'être avec quelqu'un d'autre ?
D'abord j'essaie de me mettre à sa place, et je comprends le double sens de ma question, alors j'en profite pour poser ma main sur les draps qui dessinent ses jambes. Je la remonte doucement.
- Arrête, Jay... il dit d'une voix faible quand mes doigts atteignent le haut de ses cuisses, toujours par dessus les draps légers. Ça marche pas comme ça...
Je ne l'écoute pas et je continue, remontant encore plus haut, sur son ventre découvert et jusque son cœur, son putain de cœur de glace qui bat pourtant rapidement sous mes caresses. Il proteste doucement, dans un souffle, mais ne fait pas un geste pour m'arrêter. Ma main atteint sa joue, et j'essaie de lui donner toute la tendresse que j'éprouve pour lui. Puis je me penche et joins avec douceur mes lèvres aux siennes. Nos souffles sont rapides, et je sais qu'on a envie de plus tous les deux. Mais je veux lui montrer que ça ne s'arrête pas à ça. Alors je me relève sans un mot et retourne dans mon lit.
Il ne m'y rejoindra pas.
11 octobre, 9h.
Je reste au lit, un jour de plus. Je suis plutôt matinal en général, mais ces derniers jours ont été difficiles. Je n'ai pas parlé avec Aiden, qui m'a simplement ignoré. Le message est clair : il ne veut pas de moi. Tout ça pour ça...
Je reste quand même positif, en me disant simplement qu'au moins grâce à lui, j'ai été capable de m'assumer, et ce n'est pas plus mal comme ça.
Je suis réveillé par mon père qui discute avec Luc en bas.
- ... Vraiment ? J'aurais jamais cru ça de Sylvie...
Ça ne m'intéresse d'abord pas vraiment jusqu'à ce que j'entende Son prénom prononcé.
- La mère d'Aiden était une vraie garce et elle le cachait bien. Même moi j'ai rien vu, Stephen. Tu sais pas comme je m'en veux...
C'est la première fois que j'entends Luc s'apitoyer comme ça.
- Tu pouvais pas savoir...
Mon père tente de le rassurer tant bien que mal. Je suis dans les escaliers, je veux entendre la suite.
- J'aurais pu ! Y avait des signes ! Aiden changeait de comportement mais il avait quatorze ans, tu sais, j'ai cru que c'était la crise d'ado... Un truc banal... J'ai été trop con... (Je commence à remettre les choses bout à bout). Quand je l'ai vu rentrer complètement tuméfié pour la troisième fois et qu'il m'a sorti la même excuse, j'ai enfin fini par ouvrir les yeux. Je ne pouvais pas croire qu'elle était capable d'un truc pareil. Sa propre mère... Mon ex-femme, tellement douce...
- Oui, je me souviens d'elle comme une personne formidable, toujours géniale avec sa famille. J'ai du mal à imaginer qu'elle ait pu faire des choses pareilles... ajoute mon père, pensif.
- C'est ce que tout le monde a pensé. D'abord c'est moi qui ai été accusé, puis on m'a dit que je ne pouvais pas l'ignorer et que j'étais complice. J'ai eu l'impression d'être le pire des pères...
Je sens la douleur dans les mots de Luc et je pense à ce qu'a dû subir Aiden ; ça me glace le sang.
- Elle était horrible avec lui, tu sais. Je ne sais pas trop ce qu'il s'est passé. Je sais que ce n'est pas depuis sa naissance, elle était vraiment super avec lui avant. Mais quand notre couple a commencé à battre de l'aile... Quand on a commencé à être en désaccord sur notre façon de l'élever, elle a vrillé et je ne l'ai pas vu tout de suite. Elle est tombée dans l'alcool, elle rentrait tard le soir, elle s'est métamorphosée. Elle n'était plus vraiment elle-même. Elle lui a dit qu'il ne servait à rien, qu'il gâchait sa vie, qu'il avait gâché notre mariage. Elle lui a dit qu'elle ne l'aimait pas, que personne ne l'aimerait jamais. Comment une mère peut dire ça à son enfant... Un jour il m'a regardé droit dans les yeux et m'a promis qu'il ne tomberait jamais amoureux parce qu'aimer c'est faire du mal. Comment un gosse peut sortir un truc pareil...
Je sens que sa voix se brise. Mon père ne sait pas gérer ce genre de chose mais il essaie comme il peut de le rassurer.
- Ça ira. Aiden trouvera quelqu'un tu sais. Il surmontera tout ça avec une femme qui lui fera oublier sa mère. Il retrouvera confiance un jour.
- Je sais comment il est, mon fils, Stephen. Je sais qu'il passe d'une fille à l'autre tous les soirs, qu'il est incapable de se poser, qu'il leur fait du mal. Je crois que c'est sa façon d-
C'est là que je fais du bruit sans m'en rendre compte. La marche a grincé. Pris en faute, je me dévoile.
- Jay, t'es pas au travail ? me demande mon père, surpris.
- Non, c'est jour de congé aujourd'hui... je marmonne. Enfin, c'est pas le moment de parler de ça. Désolé d'avoir écouté.
Je baisse les yeux, attendant ma punition, ou un truc comme ça.
- C'est pas grave, Jay. (Luc essaie de sécher ses larmes). Mais ne lui dis jamais que tu sais, d'accord ? Il m'a fait jurer qu'aller sur l'île, c'était commencer une nouvelle vie et que personne ne devrait être au courant. Je crois qu'il a honte de ne pas s'être défendu, ou de ne pas en avoir parlé. J'ai beau lui expliquer que ce n'est pas sa faute... Enfin... Je ne veux pas qu'il se renferme de nouveau, comme à l'époque... Tu comprends ?
J'acquiesce en silence puis vais prendre une chaise pour m'asseoir près d'eux.
- Tu sais Luc, je crois... Je crois qu'Aiden avance, quand même. Je pense que tu dois lui faire confiance. Il est toujours distant et froid mais... Un peu moins qu'avant, je trouve. Je suis certain qu'il saura aller au-dessus de tout ça, je dis maladroitement, pas plus doué que mon père pour ce genre de choses.
- Merci, Jay. Vraiment, c'est très important, ce que tu me dis. (Je rougis un peu. Je lève les yeux sur mon père, et les siens sont pleins de fierté. Je rougis encore plus). Et je crois que ta présence lui fait du bien. C'est vrai qu'il s'énerve beaucoup plus souvent depuis que tu es là, il rit un peu, mais c'est déjà un sacré progrès pour mon fils.
Je souris à mon tour. Je me souviens qu'il s'exprimait vraiment peu avant. Et puis il s'est ouvert. Et depuis que je lui ai fait comprendre que j'aurais voulu plus que du sexe, l'huître s'est refermée à nouveau, m'empêchant de récupérer cette magnifique et merveilleuse perle.
- Bon, ben... Je remonte me laver, hein ! je souffle, d'une humeur partagée.
Et dans la douche, je laisse enfin mes larmes se mélanger à l'eau fraîche.
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