Samedi 17 octobre, 9h.

12 minutes de lecture

Il a recommencé son truc. Il m'ignore de nouveau ; quand je pose le regard sur lui, je vois le sien qui me fuit. Tous les derniers jours de la semaine, il est parti plus tôt que moi et rentré bien plus tard. Il fait tout pour ne pas me croiser. Si je reste dans la chambre, il s'en va. Il me rend dingue, et surtout il piétine complètement mon coeur.

C'était un quitte ou double, je savais ce que je risquais en faisant ce que j'ai fait. Je me suis dit qu'au mieux, il me tomberait dans les bras, comprenant à quel point je suis génial pour lui et à quel point il a besoin de moi. Et au pire... Eh bien, on y est. Il m'ignore complètement, comme s'il regrettait. Presque comme si je l'avais violé alors qu'il était consentant. Putain, ce que ça fait mal.

Mais là, il ne pourra plus faire semblant de ne pas me voir. On est samedi et aucun de nous n'est de garde. Je sais qu'il peut sortir, qu'il peut aller voir tous ses potes... Mais je vais essayer de le coincer avant. Il faut que je lui parle...Il me rend fou !

Quand je finis par me lever, toujours perdu dans mes pensées, entre envie et regrets, je vois qu'il dort encore. Putain, il dort encore ! C'est un truc qui n'arrive jamais. Il est toujours prêt avant moi d'habitude, et je suis étonné que ce ne soit pas le cas.

Je me rapproche de son lit, et je le contemple quelques minutes, comme ça, sans bouger, complètement absorbé par la beauté de ce type. Il a des traits tellement fins, tellement doux... Il a l'air innocent et le fait qu'il soit endormi accentue encore ce côté de lui. Je fonds comme neige au soleil. J'approche ma main pour lui dégager quelques mèches, puis mon geste s'arrête. Je suis qui pour faire un truc pareil ? Sa petite-amie ? La blague...

Mais en même temps cette petite mèche là, elle me dérange. Elle couvre son oeil. Il faudrait quand même que quelqu'un la bouge... Je regarde autour de moi, sans trop savoir pourquoi. Ai-je peur d'être surpris ? Est-ce que je cherche quelqu'un pour le faire à ma place ? Quel con. Je perds complètement mes moyens, mon cerveau devient une passoire quand je m'approche de ce mec.

Je poste mon visage encore plus près du sien, ma main gauche à côté de son oreiller, l'autre en suspens, et je l'observe. Il a des cernes. Il doit être épuisé. Est-ce que c'est ma faute ? Sûrement... Je repense à ce que j'ai fait et mon coeur se met à battre la chamade, mon ventre à se réveiller. Stop, les hormones !

Je décide finalement, tout doucement, d'approcher ma main, et j'attrape la mèche délicatement, pour ne pas le réveiller. Je la coince derrière son oreille et je crois que ça le chatouille parce qu'il gigote un peu, puis finit par ouvrir les yeux d'un coup.

  • Jay, il dit.

Sa voix est rauque et ça m'excite encore plus. Je me mords la lèvre pour pas craquer et lui sauter dessus.

  • A...Aiden.

Je bute sur son prénom. Démasqué.

Il s'étire comme un chat, presque en m'ignorant, mais il ne m'a toujours pas demandé de m'éloigner alors que j'ai les mains des deux côtés de sa tête et que mon visage est à trente centimètres du sien. C'est positif, non ? Il ne me rejette pas, du coup ?

  • Jay... il répète encore.

Cette fois, je sens qu'il attend de moi que je bouge. Mais je n'en ai aucune envie. J'ai envie... De jouer, là.

  • Aiden...? je lui demande innocemment, rapprochant un peu mon visage du sien.

Je le vois rougir et ses yeux s'agrandir légèrement sous la surprise. Il veut que je sois entreprenant, non ? N'est-ce pas ce qu'il m'a fait comprendre, sous la douche ? Il va en avoir.

  • Tu, tu, tu... Tu... il en perd ses mots, et je me permets un sourire moqueur.

Aiden, d'habitude si froid, indifférent, se retrouve complètement démuni quand il est entre mes griffes. Bon à savoir.

  • T'imites la sonnerie d'un téléphone ? je lui demande en rigolant.
  • Tais-toi... Tu... Veux pas aller... Plus loin ? T'es un peu près là. C'est trop pour mon espace vital, il me demande.

Je vois qu'il essaie de se ressaisir, mais ses yeux ne mentent pas.

Je rapproche encore mon visage et je le vois essayer de s'enfoncer dans son coussin pour maintenir une certaine distance. Tu peux toujours essayer, Aiden ! Finalement, mes lèvres arrivent enfin sur les siennes, et je veux lui offrir un baiser très léger. Enfin, je voulais, jusqu'à ce qu'il attrape ma nuque et me rapproche de lui d'un coup, me faisant perdre l'équilibre et lui tomber dessus, entrechoquant nos dents. Mais il s'en fout et moi aussi, plus rien n'existe à part sa langue et la mienne, et peut-être ses ongles qui se plantent dans mon échine. J'adore l'entendre gémir sous moi, et je passe mes mains sous son corps chaud pour entourer sa taille.

On commence tous les deux à haleter, refusant d'arrêter ce baiser parce qu'on sait qu'après, ça redeviendra comme avant. On en a parfaitement conscience, et je crois que lui comme moi, on ne veut pas de ça, mais on est trop cons pour l'admettre vraiment.

On est quand même sortis de notre bulle par Luc qui crie d'en bas que le petit-déjeuner est prêt. Je quitte ses lèvres à contre cœur, et je remarque qu'elles saignent un peu. Mes dents, sûrement. Alors c'était ça, ce goût métallique. Je lèche sa lèvre en le regardant droit dans les yeux, et j'y lis tellement d'envie, de passion, de désir, que ça m'excite encore plus.

  • Jaaaaaaaaaay ? Aideeeeeeeeeeen ? ça recommence.

Cette fois, je me relève vraiment, et ses bras retombent le long de son corps. C'est terminé.

  • On arrive... je lance assez fort pour qu'ils entendent, sans le quitter des yeux.

Avant ça, je ferais mieux de calmer mes ardeurs. Je me mets debout et fais les cent pas dans la pièce sous le regard amusé d'Aiden, toujours couché. J'essaie de me concentrer sur du flan ou des mathématiques, mais c'est quand je pense à Yolande que l'érection se barre totalement. Je m'écœure moi-même et un frisson de dégoût me traverse.

  • Je... J'y vais le premier, je lui dis doucement.

Quand Aiden nous rejoint enfin, son père fait une drôle de tête.

  • Tu t'es pris un coup ? T'as la lèvre fendue.

Luc est surpris et je sens un peu de peur dans sa voix. Je me souviens qu'Aiden a été un enfant battu, et je pense que son père culpabilise chaque fois qu'il voit ce genre de choses. Je me dis qu'il a vraiment dû paniquer, la dernière fois quand j'ai piqué le téléphone d'Aiden. Je ris de façon idiote en repensant à ce souvenir de nos débuts, et tout le monde nous regarde.

  • C'est ta faute, Jay ? me demande mon père, avec de l'appréhension dans la voix.
  • Quoi ? Euh, je riais pas pour ça... je tente, en regardant mon assiette.

Et je rougis parce que oui, c'est ma faute mais non, pas pour la raison à laquelle ils pensent.

  • C'était pas la question.
  • Ou-ouais, c'est ma faute... Excuse-moi, Aiden... je marmonne, rouge tomate, sans pouvoir le regarder.

Mais je sens son sourire sur moi.

  • Je t'en veux pas. J'ai bien compris que t'écoutais que tes pulsions.

Et j'entends l'amusement dans sa voix. Tu me le paieras.

  • Ok, ça suffit comme ça, reprend mon père en se levant. On a remarqué que vous... (Je prends peur, quelques dixièmes de secondes. Qu'on quoi ?!) Que vous vous détestez. (La stupeur doit pouvoir se lire sur mon visage, alors il reprend) fais pas l'étonné, franchement ! Vous faites pas grand chose pour le cacher ! Les rares fois où vous vous parlez, c'est pour vous hurler dessus où vous battre !
  • Papa, c'est pas tout à fait... je tente en cherchant le soutien d'Aiden, qui est tout aussi médusé que moi.
  • Écoute, ça tombe bien. je voulais t'annoncer la nouvelle. On a enfin une maison, elle sera disponible dans une semaine. Alors, supportez-vous juste encore un peu, d'accord ?

J'en lâche ma fourchette.

Quoi ?

Après le repas et cette conversation qui m'a coupé l'appétit, je remonte dans ma chambre. Dans une semaine ? Dans une semaine, je ne le verrai plus ? Je le verrai peut-être encore en stage, mais on finit dans deux semaines ! Et après ça ? C'est terminé, salut Aiden, astalavista ? Il ne fera jamais l'effort d'avoir une... Une vraie relation avec moi. C'est évident. Il ne va pas se mettre à m'appeler et me demander de le voir...

Il remonte quelques minutes après moi, et je jette sur lui un regard plein d'espoir et d'appréhension. Il me fait un petit sourire contrit, mais je vois que ses yeux sont aussi déçus que les miens. Ça me rassure un peu. Je me sens moins stupide.

  • Aiden...
  • Tu sais Jay, on peut pas leur dire. Ce genre de trucs. Et pis, tu sais aussi que de toute façon, je vais pas me mettre en couple avec toi ni rien comme ça, tu le sais depuis le début, t'es au courant.
  • Parce qu'aimer quelqu'un c'est lui faire du mal ? je laisse échapper.

Ma voix est calme, mais c'est une tempête dans mon corps. Ce qu'il me dit ne me surprend pas le moins du monde puisque c'est justement ce que j'étais en train de ressasser, mais ça me fait quand même mal. ça me fait encore plus mal depuis que j'ai conscience que je suis vraiment attaché à lui et que je sais qu'on ne se verra bientôt plus. Il ne faut pas se leurrer, je ne vais pas le rendre accroc à moi en une semaine. Il s'est figé.

  • Qui t'a dit ça ? ses yeux ont changé d'un coup, et c'est terrifiant.

Ils sont encore plus noirs que d'habitude, on ne distingue même pas ses pupilles. Peut-être qu'elles sont dilatées à l'extrême.

  • Qui t'a dit ça ? il répète, glacial, s'approchant de moi avec un air mauvais.

Je recule, impressionné parce que putain, il en impose tout à coup, et je me sens de nouveau comme un gosse.

  • Je, c'est... C'est pas ce que je voulais dire. C'était pas une façon de me moquer de toi, je veux juste te comprendre.
  • Je t'ai demandé de me comprendre ?! il se met à hurler, envoyant son poing valser dans le mur à côté de ma tête.
  • Qu'est-ce qu'il se passe en haut ? crie mon père, et j'entends leurs pas se précipiter.

Quand ils arrivent à la porte, je suis blême et muet, prostré contre le mur. Aiden se retourne lentement vers son père.

  • Tu leur as dit ? Tu leur as tout raconté ?! Putain ! il hurle à son père.
  • Aiden, calme-toi. Ce n'était pas intentionnel, on ne savait pas qu'il était là, c'est venu dans la conversation, c'est... son père essaie comme il peut de trouver les mots pour apaiser son fils, mais ça n'aide en rien.

Moi-même, je ne sais pas quoi faire. Il m'a fait peur, d'un coup. Son regard était presque meurtrier, je n'aurais pas su dire jusqu'où il est capable d'aller, là maintenant.

  • Putain ! il répète, envoyant valser ce qui se trouve sur ma table de chevet. Bordel !
  • Aiden-, j'essaie, mais je suis encore coupé par ses yeux qui me font taire directement.
  • Allez vous faire foutre ! il hurle encore, et il part, furieux.
  • Qu'est-ce que tu lui as dit, Jay ? demande mon père. (Je vois qu'il essaie d'être calme, mais qu'il bouillonne à l'intérieur. Il n'a qu'une envie, me frapper. Je les collectionne aujourd'hui...) Je t'ai demandé une semaine. Tiens juste une semaine, pour l'amour de Dieu ! il commence à s'emporter.
  • Je, j'ai pas fait exprès, je le jure ! Je voulais pas le provoquer, c'est sorti tout seul !
  • Sorti tout seul, hein ?! La claque que tu vas te prendre aussi elle va sortir toute seule ! il se dirige vers moi quand Luc l'arrête.
  • Pas de violence ici, Stephen. (Son ton est calme, bienveillant. Ça apaise d'un coup l'ambiance). Jay, je suis sûr que tu n'as pas essayé de lui faire du mal. Je sais que tu n'es pas comme ça. Tu es juste impulsif et tu as dû... Laisser sortir des mots que tu n'aurais pas dû dire. Il va trouver un moyen de se calmer et il va revenir. D'accord ?

J'acquiesce, encore un peu tremblant avec toute cette suite d'événements.

  • Nous aussi, on va se calmer. Viens, Stephen, il dit à mon père, lui prenant le bras alors qu'il me regarde toujours avec cet air furieux.

Une fois qu'ils sont redescendus, je me laisse glisser le long du mur et je lève les yeux sur la parcelle enfoncée, trace de la colère d'Aiden. J'aurais pris cher si ça avait été ma tête... J'ai été tellement surpris que je n'ai pas pensé à parer. Je commence à laisser échapper des sanglots ridicules. Je laisse s'exprimer toutes ces émotions qui me travaillent. La peur, la colère, la honte, la culpabilité...

L'amour. C'est trop pour moi, putain. Je sors mon téléphone dans l'idée de lui écrire un SMS, et je me rends compte que je n'ai même pas son numéro. Je pourrais demander à Matt... Je décide de le faire, même si c'est vraiment gonflé sachant qu'il n'est même pas au courant de la raison pour laquelle je l'ignore.

Jay : Passe-moi le numéro d'Aiden, s'il te plaît. Et je sais tout, tu t'en doutes, non ? J'écris. Comme ça, c'est un minimum honnête. Faut que je réorganise ce bordel que j'ai foutu.

Matt : Pourquoi tu veux son numéro ? Et qu'est-ce que ça peut te faire, ce qui s'est passé ? T'es pas gay, et tu sais que je le suis, non ? Fais pas l'étonné. Une réponse froide qui me fait grimacer. Il va falloir le convaincre... Et lui dire certaines choses.

Jay : J'ai fait une connerie et il m'en veut, j'aimerais le joindre pour m'expliquer. Donne-le moi, d'accord ? Et j'ai changé de bord. Je suis bien content de lui écrire, même si j'ai dû retaper ce SMS dix fois, parce qu'en face, j'aurais bégayé au moins cinq minutes. Et je n'aurais sûrement pas osé le dire au final.

Matt : T'as quoi ?! Tu veux dire quoi par là ?! Sois plus précis mec ! Ça veut dire pleins de trucs et je veux pas m'imaginer des choses ok ? Aiden mérite pas qu'on s'explique avec lui, laisse-le pourrir dans son coin. Au moins, c'est direct.

Jay : Je suis homosexuel, je voulais juste pas l'admettre. T'es content que je le dise ? Donne-moi son putain de numéro, s'il te plaît. Ça te coûte rien ! Laisse-moi régler mes propres problèmes. Je commence à m'énerver.

Matt : TOI ?! J'y crois pas. Je me disais bien que mon gaydar était pas foireux ! J'avais un doute depuis le début ! Tu sors avec Aiden ? C'est abrupt, mais ça ne m'étonne pas du tout de Matt.

Jay : Non. Donne. Le. Moi. Je décide de ne plus répondre à rien d'autre. Cinq bonnes minutes plus tard, je reçois enfin le numéro en pièce jointe, sans autre commentaire. Il a vraiment hésité.

A moi de douter maintenant. Je lui écris ? Je l'appelle ? Si je l'appelle, il raccrochera tout de suite, c'est évident. Si j'écris, il ne saura pas directement de qui ça vient et il va au moins lire mon SMS. C'est décidé.

Jay : Je te jure que je suis désolé. Je voulais te faire réagir, c'est vrai, et je m'y suis pris de la mauvaise façon. Ça me tue que tu veuilles pas te laisser aller et que tu passes à côté de pleins de choses géniales. Je voulais juste découvrir toutes ces choses avec toi. Rentre à la maison, on en parlera ensemble, d'accord ? J'ai besoin de toi ici. Je veux pas m'inquiéter toute la journée.

Je prends pas la peine de signer, c'est évident que ça vient de moi.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Illuni ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0