Jeudi 22 octobre, 3h12.
Je me réveille, et je n'ai même pas le temps de hurler que déjà je sens deux bras m'entourer et une voix douce me murmurer que tout va bien, qu'il est là. J'ouvre les yeux, je tremble de tout mon corps, à nouveau.
- Je, j'suis désolé.
Je me calme et j'arrête de frissonner et j'étouffe mes sanglots doucement, en respirant bien lentement.
- Ça va ? Tu veux de l'eau ou quelque chose ?
Il est attentionné. Mon coeur gonfle encore dans ma poitrine.
- Non... Je veux juste que tu restes là.
- Je compte pas m'en aller, si c'est de ça que t'as peur, il ricane. T'es chez moi, je te rappelle.
Il me serre encore un peu.
- Ouais, mais dans moins d'une semaine, tu seras plus là. Aiden, je peux pas partir, tu comprends ? Je peux plus... Dormir tout seul. Plus sans toi.
Je me rends compte qu'il a dormi avec moi et dans mon lit - c'est pour ça qu'il a été si rapide à me calmer - et je ne veux plus faire autrement.
- Tu m'as pas dit que tu détestais dormir avec des inconnus, y a deux mois ? il lève un sourcil.
- T'es plus un inconnu...
Je me blottis contre lui comme j'aime le faire quand ça ne va pas. Depuis le début, même quand il me détestait, il m'a toujours accueilli dans ses bras quand je faisais des cauchemars. Je crois que c'est là que j'ai commencé à tomber amoureux de lui. Il ne posait pas de question, il était là. Et je me dis que son passé difficile l'a aidé à se mettre à ma place et à se dire qu'il y a des choses qu'on ne veut pas dévoiler sur nous. Et même aujourd'hui, maintenant que je sais à peu près tout de lui, qu'il s'est mis à nu, il fait toujours attention à ne rien me demander. Il n'est pas curieux, il ne me harcèle pas, il ne m'emmerde pas avec ça. Il attend que je sois prêt, et je suis sûr que même si je ne l'étais jamais, ça ne le dérangerait pas.
Mais là, c'est le moment. Il faut que je lui dise, pour lui et pour moi, et pour lui prouver que j'ai aussi confiance. Je prends une grande inspiration.
- Je... Je dois te dire pourquoi ça m'arrive.
Je reste blotti contre son t-shirt quand je dis ça. Ma voix tremble déjà.
- T'y es pas obligé.
Il caresse mes cheveux.
- Si. Enfin, non, tu as raison, mais il faut que je te le dise. J'en ai besoin, moi aussi. (Cette fois je m'assois et je le regarde. Il fait de même et se met en tailleurs dans le lit). Viens. (J'écarte les jambes et lui propose de venir se mettre contre moi). J'y arriverai plus facilement si j'ai ton contact, et si... Si je te vois pas. je sais pas pourquoi.
Il m'obéit et appuie sa tête contre mon torse, alors que moi je m'installe contre la tête de lit. Nos doigts s'entremêlent sur son ventre. Les miens sont nerveux, les siens m'apaisent.
- Déjà, je ne pourrai pas tout te dire de toute façon parce que c'est vrai, ce que je t'ai dit la première fois. Je m'en souviens pas. On m'a dit que ça arrivait souvent, une espèce de stress post-traumatique. Je revis tous ces trucs dans mes cauchemars, et je ne sais pas si ce dont je rêve est réel, ou si c'est des trucs que j'imagine. Je préfère me dire que c'est juste mon imagination, je suis pas encore prêt à y faire face.
C'est déjà difficile. Je ne sais même pas si j'y arriverai jusqu'au bout.
- Tout va bien, je l'entends murmurer, et il embrasse ma main tendrement.
- Ok. Ok. Ça va peut-être te paraître stupide en fin de compte, j'en sais rien. Je sais pas par où commencer ; à part ma famille qui l'a su d'office, je l'ai jamais dit à personne de moi-même. C'est trop dur. J'ai pas envie de m'en souvenir.
- Je te l'ai dit, t'es pas obligé, si c'est trop, tu-
- Arrête. J'ai pris ma décision, je le coupe avec une voix plus ferme. J'ai besoin de t'en parler. C'est un besoin réel, tu comprends ? Je dois le dire à quelqu'un et m'en débarrasser... Maintenant, tant que j'en ai la volonté. (Je m'arrête, et reprends). J'avais cinq ans. C'était un vingt juin... Il paraît. Il y a douze ans. Je vivais avec mes deux parents en Angleterre. Je ne me souviens pas de tout ce que je vais te dire maintenant. C'est ce qu'on m'a raconté... Et ce que j'ai lu sur internet. (Je fais une nouvelle pause et inspire un bon coup). Une nuit, quelqu'un est entré chez nous par la fenêtre de ma chambre. Il m'a pris avec lui. (Ma voix se brise). C'est con, hein ? Je pleure et je vais mal alors que je m'en souviens même pas, j'ai pas le droit, non ? Y a des gens qui se souviennent de trucs pires et moi non, et je fais comme si ça me traumatisait. Je suis nul.
Aiden me répond pas tout de suite. Il a arrêté de me caresser les mains, mais il les serre fort d'un coup.
- Arrête de te dénigrer. Je sais pas ce qui s'est passé, mais même si tu t'en souviens pas, ça t'est arrivé. Et ton corps lui il l'oubliera jamais. Jamais.
Je ravale un sanglot. Ça me fait du bien d'entendre ça. C'est comme si pour la première fois, quelqu'un validait ma douleur, mon mal-être.
- Je sais pas non plus ce qu'il y a eu après. Je suis resté six mois avec lui. Six mois de ma vie qui se sont complètement effacés... On m'a... On m'a dit qu'il m'avait fait ces trucs et... Je préfère vraiment faire comme si c'était pas le cas. Je peux pas entrer dans les détails à ce sujet... C'est trop difficile pour l'instant. C'est trop... J'avais cinq ans putain, j'étais un gamin, tu comprends ?! Il m'a tout pris, et j'avais que cinq ans...
Je pleure et c'est impossible pour moi de reprendre. Pendant une heure, je pleure silencieusement en entourant ses bras, et lui m'apaise, jusqu'à ce que j'arrête enfin totalement. Je décide de continuer, rapidement, pour en finir.
- C'est tout. Après qu'ils m'ont retrouvé, je suis resté deux mois à l'hôpital, et je disais plus un mot. Ensuite on est venus habiter en France, le pays de maman, parce qu'on était harcelés par les médias en Angleterre. Ma mère est morte d'un cancer quatre ans plus tard, quand je venais d'avoir dix ans, et depuis ce jour, ça a été la descente aux enfers. D'un coup, j'ai commencé à faire ces cauchemars. Elle était plus là, tu comprends ? J'avais perdu ma figure maternelle, ma sécurité, mon ancre. Jusqu'à mes quinze ans, mon état empirait. J'étais un gosse impossible, mon père pouvait pas tenir son deuil et moi en même temps, il avait plus de travail, il a fait une dépression. J'ai fini par... Par essayer de mourir, tu vois, pour que ça s'arrête. Parce que c'était trop difficile de supporter tout ça d'un coup. J'ai fait comme tout le monde, j'ai coupé où je pouvais, comme je voyais à la télé, et je me suis mis dans une baignoire, et j'ai pris tous les médocs de mon père que j'ai trouvés. J'ai vraiment failli y passer, mais il a entendu l'eau de la baignoire déborder. C'est idiot hein ? Si t'essaies de crever, fais en sorte qu'il y ait personne autour de toi... je dis ironiquement. (Il ne rit pas). Je suis resté un mois en observation, et après ça je suis rentré à la maison. Mon père avait enfin retrouvé un travail. C'est là que j'ai rencontré Marie, à l'école. Elle n'a jamais rien su de tout ça. Mais elle savait que ça allait pas. Elle me demandait souvent ce qu'il y avait et j'inventais des conneries d'ado. Tu comprends, elle m'a vraiment sauvé. C'est pour ça que ça a été si difficile pour moi. Elle m'a sauvé et je voulais pas la remercier en lui brisant le coeur.
Je m'arrête enfin, essoufflé et attentif à sa réaction.
Il se retourne sur moi, il se met sur ses genoux et prend ma tête contre lui, m'entourant de ses bras.
- Plus jamais tu vivras des trucs pareils, Jay. Je te le jure. Je vais te protéger parce que je t'aime, et je crois qu'aimer... C'est peut-être aussi un peu ça.
Annotations
Versions