MMCXV
Je suis Greta 3
Quinze ans plus tard, les enfants sont grands. Ils se préparent, ils se forment à aller construire leur communauté à eux, ailleurs, sur une autre île, comme l’ont fait certaines vieilles générations il y a longtemps. Nous, notre vie est accomplie, notre voyage est terminé, il s’achève ici, entre nous, avec nos hôtes, nos sauveurs. Nos jeunes veulent vivre leur exode sans être obligés de rester sous le poids de notre histoire. Avec l’éternité, notre vision de l’existence et du temps qui passe est bien différente, on est loin de la survie dans une fin du monde qui nous a amenée ici, sous un ciel moins bleu, dans une lumière plus froide, avec plus d’air et moins de poids et surtout dans des corps jeunes.
Dans notre chambre à l’étage je suis assise nue sur lui :
- Spencer mon Roi, est-ce que tu m’aimes toujours ?
- Un peu plus chaque jour ma Greta d’Amour.
Je sais que je ne suis plus la même depuis une quinzaine d’année. J’ai perdu mon ange blanche. Elle ne pouvait plus rester en moi. Je l’étouffais avec l’Amour pour mon Spencer, ils sont incompatibles, Jeanne et la Couronne. Elle s’est trouvée une autre âme de notre nouveau monde, Victoria la Résistante et sa Foi en Dieu, elles se sont parfaitement trouvées.
Je bouge, je me déhanche, je le sens se réveiller en moi, je lui tire quelques gémissements. Je mets mes mains sur son visage pour qu’il me regarde, qu’il se noie dans mon regard, dans les fenêtres de mon âme. Il met ses mains sur mon visage et je plonge l’embrasser et lui murmurer :
- Tu es le fils que je n’ai jamais eu.
- Tu es la mère que je n’ai jamais eue.
Et je lui donne le sein pour qu’il aspire mon lait avant que sa ligne droite finale me secoue à me faire rebondir. Je m’appuie sur son torse, il agrippe les fesses et les yeux dans les yeux il s’évanouit dans son plaisir en se vidant en moi. Je me pose délicatement sur lui et il me murmure :
- Greta ma Reine, est-ce que tu m’aimes toujours ?
- Je suis ta femme, ton amante, ton amie, je suis tout ce que tu veux, je suis à toi pour l’éternité.
J’en ai terminé avec les déclarations. Plutôt que de lui dire, je lui fais ressentir et je lui prouve mon Amour tous les jours au réveil de nos désirs et toute les nuits avant de sombrer dans l'inconscience de notre plaisir.
***
Brigitte dit au revoir à son Amour
Encore un congrès qui n’a plus de sens. Les réponses à nos questions ne sont pas là-haut. Je croise Graham qui représente la WesTech :
- Alors mec ? Tes ingénieurs nous encore pondu des trouvailles à envoyer dans le vide ?
- Tellement ! Ils ne sont pas tous bons mais ils sont pire que ça : ils sont passionnés.
- Ouais je connais ça.
Et puis on se regarde en silence. C’est dingue quand même. Après tout ce temps. Il me fait toujours de l’effet. Je romps le silence :
- Même mes enfants se préparent à partir sur une autre île.
- Les miens sont déjà partis. On se retrouve tout seul, avec Béa. C’est étrange. Et Adrien, comme il va ?
- Il fait profil bas pour éviter une pluie de postes à responsabilités à Laguna C. On tient à notre petite vie tranquille.
- Oui, tranquille, c’est ça.
- Tu fais comme quand on était ado. Tu répètes mes mots. Tu te souviens au bar, là où on s’est vraiment dit adieu ? On est partis, chacun de notre côté faire notre vie. Voilà, c’est fait. Et maintenant ?
- On va retourner la terminer, enfin, la continuer.
- Lapsus révélateur. Tu n’a qu’une seule envie, plaquer Béa et me retrouver. Elle t’aime, elle comprendra.
Il rit. Il rigole. Il n’en revient pas.
- Tu es toujours la même, Bri.
Je lui souris :
- On est toujours les mêmes Graham, dans l’éternité, pour l’éternité. Tu sais, je te vois comme le symbole du début de ma vie. Ça me trouble.
- Je suis juste un repère Bri. Une première pierre qui tient l’édifice. C’est tout ce que tu as vécu après qui compte.
C’est la deuxième fois qu’il me scotche. La première, c’était à notre rupture, il a trouvé les mots justes dans ce moment où on était malheureux tous les deux. Que dire après ça ? Il voit que je suis émue. Il me prend la main. Je sens une larme couler sur ma joue. Ses yeux brillent aussi. Je serre sa main. Je reprends mon souffle. C’est encore fort entre nous. Je ne lâcherai pas sa main.
- Je te tiens maintenant. C’est à ton tour de me quitter.
Mais il ne lâche pas. Il me regarde. Il doit voir mon visage désespérée, mon cœur s’emballe, je vis un moment important, je ne demande qu’à être sauvée, enlevée, partir à l’autre bout du monde avec lui comme il me l’avait proposé il y a 15 ans. Il me tire par la main et m’entraîne à l’abri des regards ou alors c’est le début d’une fuite de nos vies, au loin avec lui ? Il m’embrasse sur la joue, très près de mes lèvres.
- Tes larmes ont le goût du regret.
Je le jette dans ses bras, je le serre fort. Je sanglote. Il passe sa main dans mes cheveux, je sens sa main froide sur ma nuque, je prends une grande inspiration. Je sens son autre main sur mes reins, il me presse contre lui.
- Tu m’a lâchée, Graham, tu as lâché ma main.
- Je te tiens encore. Je te tiens plus fort.
On s’en va. Il fait déjà nuit. Il m’entraîne vers sa navette. Je le tire vers mon vélo. Il cède. Je le mets au guidon et je m’installe derrière lui.
- Descends droit sur la plage et ensuite tu prends à droite.
C’est important que ce soit lui qui m’enlève et pas le contraire. Et je peux me tenir à lui, fermer les yeux et immortaliser ce moment, cheveux au vent, plongeants ensemble ans le noir. Je le sens tourner, on ralentit, j’ouvre les yeux pour lui indiquer le petit chemin à gauche qui descend sur la plage. Arrivés sur le sable on gare le vélo, j’enlève mes chaussures et je le prends par la main pour le guider jusqu’à ma cabane, ma cahute, mon cabanon. On arrive devant la porte. On l’entends se déverrouiller et s’ouvrir. Elle m’a reconnue. Il me prends dans se bras et il me soulève, je crie de surprise et on rentre. La porte se referme sur nos ébats, amoureux.
Le jour nous réveille. On se rhabille, on s’embrasse, on se précipite comme si on était pris sur le fait, on coure vers le vélo, on crie, on rit. Je prends le guidon, on remonte à fond, il me tient fort, je le laisse à sa navette. Un dernier baiser :
- Au revoir mon Amour.
C’est le nouveau plus beau jour de ma vie. Tellement. Ça se voit trop que je suis heureuse et épanouie. Je vais vivre ça pleinement. Je suis prête à répondre à toutes les questions de mon homme. Comment il s’appelle déjà ? Ah oui, Adrien. Merde. C’est quelqu’un d’important. Tant pis. D’ailleurs :
- Tu rigoles ou quoi, Brigitte ? Tu m’as sauvé la vie. Et puis on le sait bien avec Béatrice que vous êtes faits l’un pour l’autre. On a eu la chance de vous avoir pendant longtemps. Les enfants sont grands. Faites votre vie, continuez votre histoire.
Quand Béatrice m’aperçoit à son travail, elle comprend pourquoi je viens la voir. Elle m’invite à aller en terrasse sous un parasol s’installer sur une table avec des boissons fraîches pour m’avouer :
- J’ai vu cette lumière apparaître dans son regard. Je ne lui ai pas demandé ce qu’il se passait. Il ne m’a rien dit non plus. J’ai compris en te voyant arriver que c’était toi la cause, la solution à son bonheur. J’aimerais que ça reste entre nous. Je voudrais pouvoir le garder tant qu’il veut encore de moi.
Elle me prend la main et me demande d’approcher, très près d’elle :
- Vous pouvez vivre votre Amour mais est-ce que je peux te demander une faveur en retour ?
Elle me fait un bisou sur la bouche. Je regarde ses beaux yeux verts et me confirme :
- Je voudrais t’essayer, comprendre, partager tout ce qu’il aime lui parce que je l’aime lui. Juste toi et moi. Sans lui.
Me voilà entraînée dans son alcôve. Elle est douce et agréable. Je trouve la situation excitante. Je lui donne mon corps. Je me laisse prendre. Je m’abandonne. Et puis je prends le dessus, je la fais gémir, je la fais crier et on s’endort l’une dans l’autre en se complaisant de nos caresse, de nos odeurs, de mes cheveux noirs dans ses boucles dorées.
Quand je me réveille est est assise sur le lit, j’admire son dos, ses formes parfaites, sa peau satinée, elle se rattache les cheveux. Je m’approche pour l’embrasser tendrement dans le cou et je lui demande :
- Adrien m’a parlé de toi. Vous discutez de nous. Il accepte aussi de me laisser vivre mon histoire avec Graham. Vous vous êtes mis d’accord ?
Elle se retourne pour me faire face.
- On se voit souvent avec Adrien. J’avoue, parfois, je suis, très gentille avec lui. Mais tu le connais, il n’est pas très expressif sur ses sentiments.
Je relève les draps sur mon corps. Je suis outrée. Je me sens trompée, abusée. Elle me prend dans ses bras, elle me caresse et me rassure :
- Ne t’inquiète pas, je ne lui fais pas de mal, à toi non plus je ne veux pas te faire de mal.
Elle m’embrasse, me cajole. Je me détends. J’accepte. Elle m’embrasse avec passion, je relâche les draps. Elle continue de me parler. Elle me montre qu’il y a un nous, un eux, que l’Amour se partage. Elle sait me convaincre comme elle a su convaincre Adrien de me laisser aller vers son mari. Elle veut juste un peu plus d’Amour maintenant que ses enfants sont partis. Elle me rhabille, me recoiffe et me laisse partir en me faisant plein de bisous qui chatouillent et me font rire. À mon dernier regard avant de passer la porte, pas besoin de se souhaiter ou se promettre un au revoir, elle sait que je suis sous le charme aussi de notre aventure intime. Je pense que je ne suis pas la première qu’elle goûte en dehors de notre Graham.
***
Patrice, de l'Enfer au Paradis
À chaque fois que je suis au pied de la Cathédrale et que je regarde le haut des tours, elles me paraissent plus haute. De loin, ça va, mais de près leur hauteur est tout simplement inconcevable face à notre petite taille d’humain. Émilie me parle de son projet :
- Je pense qu’on peut aller encore plus haut, rajouter une couche, un niveau. Les tours seront moins frêles et on pourra y installer nos bureaux. Tu pourras y convoquer tes paroissiens et ils se croiront au Paradis, devant Saint-Pierre.
On rentre inspecter la nef. Sur la gauche la chapelle Victoria en impose encore trop. Il en faudrait une autre en symétrie à droite de l’entrée.
- Tu as toujours aimé vivre dans le vide, comme ta maison à côté du Village.
- J’espère ne plus y retourner. Je suis bien ici avec toi à Laguna. C’est pas très moral mais j’ai hâte que les enfants partent sur leur île.
- C’est de ma faute. Gabriel était insupportable aussi. Surtout avec sa mère. Natacha n’en pouvait plus.
Tous les jeunes vont partir. Plutôt que d’écrire leur version de notre histoire, ils vont partir vivre la leur ailleurs. C’est aussi bien que les générations se séparent, c’est une bonne chose, ça paraît même logique.
- D’après les mesures, ça paraît faisable. Même avec tous les trous qu’on a fait en dessous, ça a l’air de tenir.
- Bien. C’est bientôt l’heure, il faut qu’on rentre. Je n’ai pas envie de faire ça ici.
On a notre heure à nous au milieu de l’après-midi. Un petit coup vite fait, histoire de rester connectés. Elle aime ça. L’Amour automatique, sans se poser de question. Elle me mange comme un fruit au goûter. Elle me montre où me soulager de tout le désir qu’elle éveille en moi. Pendant que j’essaie de reprendre les esprits, elle part se rafraîchir dans la piscine en regardant l’horizon depuis le haut de notre colline. Je la rejoins et je la chatouille par derrière, elle gazouille.
- Embrasse-moi, touche moi, comme cette nuit.
Je la satisfait et il est temps de sortir pour s’installer à table. Je prépare la collation et elle part se changer pour revenir encore plus belle dans une robe blanche à fleurs :
- Un cadeau de Greta. C’est elle qui l’a dessinée. Elle est douée.
Émilie m’embrasse et me chuchote :
- Je t’aime mon Amour.
Avant de s’installer à table avec son sourire mystérieux et son regard doux.
- Le Paradis n’est pas en haut des tours. Le Paradis, c’est toi.
- On a vécu plein de mauvaises choses. Mais c’est fini. Depuis longtemps. Même Aline et Aurélie ont fait leur deuil de leurs traumatismes. Et toi Patrice ? Je ne serai peut-être pas toujours là, ou plus à tes côtés. Je veux te savoir en paix. Raconte-moi.
- Je suis un homme de Foi. La religion m’a poursuivit, sous toutes ses formes.
- Quand est-ce que ça a commencé à devenir un cauchemar, quel est ton traumatisme ?
Mais je suis sûre qu’elle en n’a rien à faire de ce que les autres peuvent penser de la situation et elle serait bien restée des heures à discuter mais là ça fait déjà beaucoup d’informations à traiter. Je retrouve mon Victor.
Elle s’est arrêtée de manger. Elle est sous le choc. Elle essaye de comprendre. Je continue :
- Je n’avais jamais eu l’occasion d’en parler à quelqu’un. Je suis censé avoir oublié tout çà. Mon père croit l’avoir effacé de ma mémoire. Et c’est parce que j’ai connu l’Enfer que je peux reconnaître le Paradis. Et mon Paradis, c’est toi.
Elle se lève et me prend dans ses bras. Elle appuie sa poitrine sur mon visage. Comme une mère le ferait pour consoler son petit. Ma mère n’a pas survécu. Je l’ai vu mourir. Je l’ai vu brûler. J’espère n’avoir jamais l’occasion de lui raconter ça.
***
Leçons de choses de Noëlle
Je suis comme la plupart des parents qui vont perdre de vue leurs enfants dès qu’ils seront prêts à aller sur leur île construire leur communauté. Sauf que moi, j’ai aussi perdu mon homme. Il a trouvé son île, celle des victimes de la Révolution et là-bas il peut parler à nouveau. J’aurai eu ma décennie de bonheur, maintenant je dois gérer au mieux le destin de nos enfants. Ce qui me rassure, c’est qu’ils ont été formés par Aurélie et elle les verra souvent sur place, elle va aller faire du conseil de temps en temps. C’est comme moi, je ne vois mes cuisines que de loin tant il y a des volontaires pour passer aux fourneaux à la Taverne du Village. Ma mère passe me voir mais elle n’est plus que l’ombre d’elle-même tellement elle a fusionné avec Alice. Mon père s’inquiète toujours pour moi mais je me méfie de lui depuis qu’il est avec Émilie. Mon frère à fait sa vie à Sylvania avec Chloé qui me manque. Heureusement il y a Flo, toujours en service, on duty, in charge, elle sait tout sur tout le monde mais elle est très discrète. Elle est la seule que je connaisse qui n’a pas jouée les mères pondeuses. Je l’entends d’ici :
- J’attends le bon moment. Et on a le temps. Après, le géniteur ou la génitrice, c’est un détail.
En fait, elle n’a pas envie, elle reste spectatrice de tout ça. Elle est froide et droite. Elle est forte. On peut compter sur elle. Des fois elle me parle en pensées :
- J’ai été repérée par une autorité chez les agents. On est devenues amies et puis un peu plus aussi.
C’est la rouquine avec laquelle je la vois de temps en temps traîner, elles partent souvent ensemble quelques jours à l’ouest. Je suis surprise de la voir à la Law House, elle vient récupérer ses cartes de résident. Flo me la présente :
- Noëlle je te présente Dana.
On se fait la bise. Elle me scrute. Elle me jauge ? Non, elle me matte. Je lui souris. Flo est occupée, elle commence à me parler :
- Enchantée Noëlle, vous êtes la cheffe de la Taverne, la fille de Patrice et Aline.
- Vous êtes bien une agente.
- Juste responsable d’une partie d’entre-eux. Les médecins. La plupart des agents ont des qualifications scientifiques ou technologiques, on n’est plus tellement en accord avec notre temps. On a quand même une section occulte mais dans ce domaine c’est surtout le Vatican 3 qui œuvre. Tu as passé une grande partie de ta vie dans l’Invisible. Je connais un agent qui souhaiterait que tu lui explique certaines choses, avec ton point de vue unique. Est-ce que je peux te l’envoyer ?
Ces gens-là, pas la peine de leur donner rendez-vous. Ils vous trouvent. Je l’ai attendu devant la Cathédrale mais il ne s’est pas montré. C’est bon signe. Il a compris que la religion n’a rien à voir là-dedans. Finalement, c’est peut-être à moi de le trouver. Il y a un endroit étrange à Laguna City où l’on peut se fabriquer des gris-gris. Je vois un gars s’intéresser à un pendentif triangle avec un œil dedans. C’est sûrement lui. Je m’approche derrière lui. Sans se retourner, il me parle :
- En fait, j’ai fais croire que je ne m’intéressais pas du tout à l’occulte. C’est comme ça que j’ai été affecté à cette thématique.
Il se retourne, en me voyant il a l’air un peu déçu, il s’attendait à mieux, je suis petite et grosse. Il continue :
- Je me présente, je suis l’agent zéro. On m’appelle comme ça parce que je suis le seul dans cette unité.
Il me tend la main. Je me jette sur lui pour lui faire la bise et je demande :
- T’as fait quoi comme connerie pour te retrouver là ?
- J’ai couché avec la patronne. Elle a pas aimé.
Je peux pas me retenir de rire. Il est surprenant. Je lui dis :
- Tu es trop, toi.
- Tu sens rudement bon. C’est quoi comme fragrance ?
- Phéromones. Ça vient d’entre mes cuisses. Je suis toute excitée.
- Tu es toute, toi.
- Ton truc c’est les grandes brunes maigres genre gothique.
- Avec les cheveux longs.
- C’est comme en cuisine, on a tellement de préjugés juste au visuel mais on ne peut pas savoir avant d’avoir goûté, en aveugle.
C’est dur de trouver un endroit vraiment dans le noir dans les cabanons de Laguna Beach à cette heure là. Je n’ai pas d’autre option que de lui bander les yeux. J’arrive ensuite à le mettre en condition très rapidement avec ma bouche et ma langue. Je l’étend sur son dos et je le chevauche, je peux me tenir aux armatures du lit qui tiennent son toit en toile. Je me déhanche de toutes mes force en gémissant comme une truie, ça lui fait tellement d’effet qu’il arrête de respirer et explose déjà de plaisir. Je m’étends sur lui pour lui caresser le visage. Je lui murmure à l’oreille :
- Je vais maigrir pour toi. Je vais me teindre les cheveux en noir. Je vais grandir aussi.
- Non, reste comma ça. Je n’ai rien vu mais tu m’as convaincu.
- C’est exactement ça, l’Invisible.
- Je comprends. Merci pour la leçon.
- Ce n’est que la première, il y en a plein d’autres dans le grand livre de l’occulte.
Quand on se réveille il fait nuit. Alors on remet ça dans la pénombre. Je suis sa première terrienne alors je me mets en position, à quatre pattes sur le lit, il me tient bien les hanches et il y va à son rythme. Comme il me tient bien, je peux me libérer une main pour l’accompagner dans son plaisir.
On finit essoufflés, écroulés, il arrive à me parler entre deux respirations :
- Je m’appelle Davis.
Je lui tend la main. Il me la prend, l’embrasse et la garde contre son cœur.
Je revois Dana à la Carla Party de la mairie :
- Vous en êtes encore à placer vos agents dormants sur les terriennes ? Il m’a vissé l’agent des vis. Merci pour le cadeau.
- Je savais qu’il allait te plaire. Je connais bien le produit. Je l’ai pratiqué pendant longtemps. Il n’a donc pas fait beaucoup carrière, à part dans mon lit. Mais il a du potentiel. Là où tout les autres doutent, lui il a des convictions. Tu sais à quel point c’est important, tu as été enquêtrice sur l’affaire S. Et je ne pouvais pas t’envoyer n’importe qui, je t’ai quand même piqué ta copine.
- Dana, je suis encore un peu médium, je sais qu’elle est derrière tout ça. Elle m’a toujours protégé, dès le début, sur Terre, elle était gendarme, flic, policière, une agent quoi. Elle aurait pu m’arrêter, me mettre en prison, pour meurtre, j’ai tué quelqu’un et elle m’a laissé en liberté. Elle se sent responsable de moi depuis. Et j’ai toujours tout fait pour elle depuis. Mais ne t’inquiète pas, je vais bien prendre soin de Davis.
- Tu as intérêt. Moi j’ai ta copine en otage.
Je lui tend la main. Elle me la prend pour me tirer à elle et m’embrasser. Davis vient me libérer, il n’est jamais très loin. Elle le regarde avec une défiance amusée. Il lui annonce :
- Elle est à moi.
Flo n’est jamais très loin. Elle se montre, j’ai failli ne pas la reconnaître, elle est habillée en femme et elle a ses beaux cheveux détachés. En fait cette mise au point était sûrement arrangée. Flo me fait un clin d’œil, prend discrètement la main de Dana et elles repartent dans l’autre sens. Je me tourne vers Davis qui regarde au dessus de nous l’énorme lustre. Il se décale, en fait il admire la verrière.
- Il y a des inscriptions sous les vitraux. Je crois que ça parle de fantômes.
Je regarde vite fait. Je reconnais une scène de la B3.
- Davis, si tu veux avoir une approche de l’Invisible sous un autre angle, il faut absolument que tu relises la B3. Je te ferai des repères.
Je vois sur son visage de la honte. Les épaules m’en tombent. Il ne l’a jamais ouverte. J’aperçois Chloé ! Je cours lui sauter dans les bras. Elle me montre Clara qui est là aussi. Ça alors ! Flo nous rejoint et on se tient toutes les mains. On revient de loin. On a survécu à la fin du monde il y a longtemps. Clara lève ses mains et commence à les agiter. J’ai cru qu’elle applaudissait en langage sourd et muet jusqu’à ce que j’entende sa voix. Elle chante le banc bourguignon. On si met toutes et on frappe des mains. On nous regarde bizarre. À la fin on crie et on applaudit. J’attrape mon agent et je lui dit :
- Leçon numéro 2 : L’Invisible a un jour été visible. Notre civilisation n’existe plus à part dans nos âmes. Chloé, son père était le maire de Dijon, la capitale de la Bourgogne, en France, en Europe, sur Terre. On a un Invisible en commun et on l’exprime quand on se croise. Toi et moi on est en train de se créer un Invisible aussi. Pour l’instant, il est visible, le temps va l’effacer, nos âmes en garderont une trace dans l’Invisible.
- Ce ne sont que des souvenirs.
- Pas que. C’est aussi des émotions. Et bien plus. Dans la leçon numéro 3, on étudiera les anges blanches et de leur façon de subsister, dans l’Invisible.
***
Sœur Adélaïde en famille
On dîne tous ensemble, comme tous les soirs, enfin c’est plutôt la fin d’après-midi. J’ai la main de mon Tim dans ma main gauche, la main de ma fille Justitia dans la main droite. En face mon fils Eros. J’ouvre les yeux pour tous les admirer. Je souris, je suis tellement fière. Ma famille que j’aime. Merci mon Dieu. Je n’ai même pas écouté les bénédicités de Titia. On fait un tour de table, chacun donne des informations importantes pour la famille. Ma fille :
- Maman ? Tous les jeunes se forment pour partir mais nous on veut rester.
- Même toi Eros ?
- Oui, mère. Et je sais que tu penses que je me laisse trop influencer par Titia.
Le pater familias prend la parole :
- Vous n’êtes pas les seuls les enfants. Je suis sûr que vous avez déjà constitué un groupe, de résistants ?
Les enfants répondent en chœur :
- Les conservateurs !
Je reprends la parole :
- Rien ne nous rendra plus heureux que de vous avoir à nos côtés pour toujours et à jamais.
J’ai hâte que le repas se termine, que notre partie de jeu de société soit faite et que tout le monde aille se coucher parce que je suis tellement heureuse que j’ai une furieuse envie que Tim me secoue dans tous les sens. Je le regarde. Il est tellement doux. C’est moi qui vais le secouer. Il me regarde et je lui fais un clin d’œil.
Assouvie je suis, transpirante sur le lit. On a vraiment fait beaucoup de bruit. Nos enfants doivent nous prendre pour des dingues si ils ont entendu. C’est de plus en plus fort entre nous. Timothée. L’agent 504 que Flo m’a refourgué, que sa 666 m’a confié. Pourquoi lui ? Pourquoi moi ? Pourquoi nous ? Il repasse à l’attaque, je sens ses douces caresses, il vient par derrière, comme il aime, comme il m’aime. De l’électricité remonte de ma colonne, des vagues de plaisir explosent dans mon crâne. J’appuie ses mains sur mes seins, je me cambre et il entre en moi, ses pulsations résonnent dans tout mon corps, je retiens mon souffle pour mélanger la douleur au plaisir. Je lui laisse un peu de répit avant de me retourner, de prendre son beau visage entre mes mains, de regarder au fond de son âme pour l’embrasser et lui dire :
- Je t’aime d’Amour mon amour pour toujours. Comment est-ce possible ? Qui es-tu ?
- Je suis ton homme. Tu es ma femme.
- Oui, je le veux, jusqu’à ce que l’éternité nous sépare.
D’où je sors ça ? Je dois manquer d’oxygène. J’inspire un grand coup.
Au petit déjeuner je vois bien que Titia n’ose pas me regarder. En plus je vois dans le reflet de la cuiller que j’ai les joues encore rouges. Elle a honte d’être excitée par tout les bruits qui viennent de notre chambre. Peut-être même que, oui, elle se touche en les entendant. Et Eros ? Je ne vois jamais rien en lui. Est-ce qu’il existe ou bien ? Ou alors… c’est peut-être lui qui voit tout en moi ? Il me regarde d’un coup, je baisse les yeux sur mon assiette. Je les relève furtivement pour voir où il en est. Il est retourné à son bol de céréales. Et Tim ? Il a l’air fatigué, vidé, au bout de sa vie. Le pauvre… Il faut que je le ménage sinon je vais finir par casser mon beau jouet que j’aime.
*/*
Les jeux interdits de Titia
Je suis bien contente qu’ils nous mettent pas la pression pour partir à l’aventure et faire nos vies ailleurs. On est bien ici, ensemble. C’est que je viens de raconter dans les bénédicités mais elle n’écoute rien, elle pense à autre chose, elle fait le point, elle est heureuse.
- Maman ? Tous les jeunes se forment pour partir mais nous on veut rester.
Il fallait que ça soit dit et annoncé officiellement au souper familial. Ils ont l’air d’accord, tous les deux.
- Les conservateurs !
Non ? J’y crois pas ! Elle triche. D’où elle sort cette carte ? Je n’aurais pas dû voir ça, elle ne s’est pas appliquée, elle a l’air pressée de passer à autre chose.
Maintenant je comprends. Même avec l’oreiller sur mes oreilles je l’entends encore, on entend qu’elle, lui reste discret, enfin j’espère qu’il est là ? Oui, mince ! Quelle vision d’horreur, faut que j’arrête de regarder son esprit. Je dois penser à autre chose. Je me lève et je vais me cacher dans la chambre au fond chez Eros, là on entend rien. Je frappe sept petits coups et j’attends qu’il vienne m’ouvrir.
- Je peux ?
- Tu les entends ?
- Si c’était que ça ? Change moi les idées.
Il me chatouille, me prend dans ses bras et me jette dans son lit. Je retiens mes rires. Il reprend sa place et je me blottis contre lui. Je soupire. Ça y est. Je suis bien là. Au calme. Au chaud. Je l’embrasse sur la joue et je me tortille pour mieux m’installer. J’ai la main sur son ventre, il pose la sienne sur la mienne et je m’endors doucement.
Au petit matin je me réveille. Ma cuisse bouge un peu toute seule sur la sienne. En fait c’est lui qui bouge, il a sa main qui monte et qui descend. Je me manifeste :
- Ça va ?
- Oui, désolé. Je…
Je mets ma main sur la sienne pour l’arrêter. Il continue et retire la sienne qui reste sur lui. Je suis choquée. Je le regarde. Et puis, je continue. Doucement. Il ferme les yeux.
- Plus vite.
Je m’exécute.
- Plus fort.
Je presse. Il me serre contre lui et il râle. C’est fini. J’en ai plein la main. Il me libère. Je pose la main sur mon ventre et je regarde le plafond. Mon esprit est vide. Je ne pense plus. Puis ma main descend sur mon bas ventre et je ferme les yeux. Je me caresse doucement. Puis plus fort. J’ouvre la bouche pour mieux respirer. Mon autre main cherche sa main, je la trouve, je la serre fort. Je sens son autre main sur mon ventre, sur la main que je retire, il prend le relais et je le guide, plus haut, moins fort, plus doucement et je vois des étoiles, je les sens exploser dans mes reins et mon cœur semble s’arrêter. Je reprends ma respiration et mes esprits, je tourne la tête pour le regarder et je sens ses lèvres sur les miennes. On s’embrasse.
Au petit déjeuner elle a l’air tellement épanouie et belle. J’ai l’impression qu’elle sait que j’ai pris du plaisir aussi, mais pas comment. Elle a l’air tellement heureuse. Il faut que je me trouve un gars à faire râler plutôt que m’entraîner sur Eros. Lui aussi il est prêt. Je peux lui trouver une gentille fille aussi si il me présente son copain des bois, le joli petit blond. On va négocier ça.
Dès le lendemain je fais une recherche parmi les conservateurs pour localiser une jeune et jolie brune innocente à mettre sur le ventre d’Eros. La petite Caroline sera parfaite, ça lui fera du bien d’être déniaisée. Une fois livrée à mon frère, je cours dans les bois et je débarque dans sa cabane en haut de l’arbre. Il est bien là :
- Adam, je vais être ton Eve. Maintenant, à poil !
Le pauvre. Il est terrorisé. Rien ne se passe. Tout se transforme. Il n’est pas prêt. Il faut y aller doucement. J’arrive suffisamment à le détendre pour lui faire baisser son pantalon. Après quelques caresses, je lui cache les yeux et je le finis avec ma bouche.
Quand je rentre je les entends rigoler dans sa chambre. Ça a l’air de bien se passer.
Le lendemain, Adam a moins peur de sa Titia. On peut passer à l’étape suivante.
Et à la maison il est temps de dresser la table pour le souper, mais cette fois-ci avec six couverts. On va leur présenter nos jouets à nous.
**
Papa Tim
J’ai vraiment de la chance. Elle est si belle. Elle m’a fait deux beaux enfants qui vont rester avec nous et continuer de définir notre famille. Je me suis vite renseigné sur Caroline et Adam. Ce sont des hybrides aussi, comme eux. Ils veulent conserver l’île pour eux, un héritage des deux camps. Ils veulent nous conserver avec eux. Ils ont gardé le côté famille des terriens. Elle s’est endormie. Je sors doucement d’elle, je caresse sa peau douce et claire, je remonte le drap et je l’embrasse avant de m’éclipser dehors dans la nuit. Il fait frais. J’allume une tige d’herbe et je m’assois pour me vider l’esprit. J’entends des rires. C’est derrière la maison. Je vais voir et je les trouve dans la balancelle sous une couverture.
- Papa ? Viens avec nous, tu vas avoir froid.
Il nous rejoint et se met entre nous.
- Alors ? Que penses-tu de nos couples ?
- Qui est avec qui déjà ?
On pouffe.
- Caroline est parfaite. Adam… il n’est pas un peu jeune pour toi ?
- Il va grandir. Il va être bien. Je l’aime déjà beaucoup comme ça. Ça fait un moment que je l’ai repéré.
- Tu aurais dû laisser choisir ton frère comme tu l’as fait pour lui.
- Il a choisi, c’est un de ses meilleurs amis.
- Papa a raison. Vas-y doucement avec lui. Soit gentille et évite de lui faire peur.
- Ne vous inquiétez pas les gars. Mais vous avez raison. En plus demain il me présente à ses parents. C’est surtout à eux que je ne dois pas faire peur.
L’innocente Titia
Pas facile. Je m’habille plus jeune, l’habit fait la sœur. Pieuse, avec la croix autour du cou. Le père, Lambert, a l’air ailleurs, la mère, Tinaïg est inquiète.
- Justitia, qu’est ce qui t’intéresse chez Adam ?
- Il est original et très beau, j’aime sa conception de l’existence, il est loin des préoccupations de sa génération.
- J’aimerais que tu reconsidères ta relation avec lui, peut-être attendre un an ou deux.
- D’accord, aucun problème. Je peux attendre. Mais est-ce que je peux continuer de le voir ? Les garçons changent vite à cet âge. Je sens que je peux beaucoup lui apporter, l’orienter dans ses choix de vie comme par exemple le sortir de sa cabane, sa perception de la réalité m’intéresse. Dans deux ans il ne sera plus le même, c’est maintenant que je veux le connaître et partager des moments de vie avec lui.
Quel baratin ! Je crois que je l’ai convaincue. Si elle savait ce qu’on a déjà fait…
Derrière chez eux il y a un grand champ en exploitation. Je le prends par la main et on va au premier tas de paille. On se fait un nid et on s’allonge dedans. Je lui parle tout doucement en lui caressant la joue :
- Ta mère est inquiète. Elle me trouve trop grande pour toi. Est-ce que je t’ai fait mal ?
Il fait non de la tête.
- Est-ce que je t’ai fait du bien ?
Il fait oui de la tête.
- Est-ce que je te fais peur ?
Il ne fait rien.
- Je suis désolée. Je n’ai pensé qu’à moi. Pas assez à toi, à ton bien être. Adam, je veux faire partie de ton aventure, d’une façon ou d’une autre, de la manière que tu veux. J’ai été maladroite. J’aurais dû m’y prendre autrement. C’est à toi de décider.
Il n’a pas besoin de me répondre. J’ai compris. Je dois le laisser tranquille et espérer un jour qu’il revienne me voir. J’ai été conne, j’ai tout gâché, je suis une petite fille capricieuse qui a cassé son jouet. Alors je pars en pleurant et je rentre :
- Tu avais raison maman. Il est trop jeune pour moi. J’aurais dû t’écouter.
- Rien n’est perdu dans l’éternité. Il faut laisser le temps au temps. J’ai l’impression qu’il y a un événement qui t’a précipité.
- Chaque conservateur doute sur son choix. On veut être sûrs de pouvoir être heureux avec la bonne personne. On n’est pas nombreux. Les choix, classiques, sont limités. On se place pour l’avenir. Je vais sûrement harceler d’autres garçons ces prochaines années. Peut-être même en convertir certains de rester. Prêcher la bonne parole, à ma façon.
- En tout cas tu as déjà fait un heureux et une heureuse, Adam et Caroline s’entendent bien.
- Le veinard. Je suis bien contente pour eux, pour lui.
Pour moi.
Je suis l’audacieuse Titia mais je suis en mode échec. Toutes les civilisations passées présentes et à venir ont toute un avis et un conseil sur comment mener notre vie dans l’éternité. Je les emmerde. Toute civilisation ayant une fin, faut-il vraiment y adhérer ? C’est ce qui me plaît chez Adam. Il a l’air de cette trempe même si tout le monde le trouve trop jeune, un peu vert, on le prend juste pour un débilos ou un rebelle en devenir. Je lui envoie un message sur son monolithe : « Reste en accord avec toi-même, il ne faut écouter personne, sauf moi. » Il pensera souvent à moi, je le tiens par son désir en devenir. Je suis la fille de Sœur Adélaïde des services secrets du Vatican 1 sur Terre et d’un agent infiltré de la planète C. On va pas me la faire à moi. Aujourd’hui je suis conservatrice pour ne pas suivre les moutons de la meute, demain je serai autre chose pour ne pas suivre les brebis égarées entre deux mondes. Ce soir ma place est vide au souper. Mais je ne suis pas loin. Je fais le point à la chapelle. J’embrasse la croix autour de mon cou entre deux prières. J’écoute mon cœur. J’écoute mon esprit. J’écoute mon âme. J’écoute mon instinct. Je rentre à la maison retrouver les miens. Ils m’attendent sur le perron.
- Désolée, je suis en retard.
On se prend tous dans les bras et on rentre se mettre à table. Je ne participe pas à toute les conversations. Mon regard se perd souvent dans le vide. Je reprends conscience au jeu de société. Tout le monde se détend. On va se coucher. Je m’endors dans une maison calme. Heureusement car je n’ai plus de refuge possible. Je sens la présence d’une autre qui s’introduit dans la chambre d’Eros par sa fenêtre. Caroline. Je les laisse dans leur intimité et mon monolithe vibre. « OK. A+ ». Adam. Ma main descend sur mon ventre. Il faut vite que je le revois car je suis en train de trop l’idéaliser. Mon petit blondinet que j’envisage. Mon petit bonbon d’Amour.
*
Adam son monde
Je suis pris. Elle m’a repéré. Depuis longtemps je sens son regard appuyé sur moi. Je ne peux plus lui échapper. Elle est connectée à l’Invisible et elle ne se doute pas encore de son potentiel. La fille de Sœur Adélaïde. Je n’aurais pas dû la repousser. Mieux vaut l’avoir à l’œil et à proximité. Elle sent que j’ai des réponses pour elle. Elle n’abandonnera jamais. Je dois abdiquer. Pour me protéger. Sinon ça risque de dégénérer.
Confrontation, je lui donne rendez-vous à l’orée de la forêt :
- Sauf toi ? Tu es sûre de toi ?
- Je sens que tu es quelqu’un d’important, je sens que je peux te protéger.
- Les réponses que tu cherches sont en toi.
Je lui montre mon monolithe et je le pose par terre, au pied d’un arbre. Elle comprend et fait de même :
- Ici, à l’entrée de la forêt, on est entre deux mondes. On va passer de l’autre côté. Suis-moi.
On s’engouffre progressivement dans la nature. À de multiples étapes, j’enlève un vêtement et je le pose au pied d’un arbre. Quand on arrive au bord de l’étang, on est presque nus. On laisse nos chaussures au bord et on entre dans l’eau. Elle me suit. On approche de la cascade. On a à nouveau pied, je la prends la main et on passe dessous, de quoi se purifier l’esprit, ça remet l’âme en place. Je la tire du chaos vers l’intérieur on entre dans une grotte qui nous protège. Elle a l’air paniquée. Je la prends dans mes bras, elle se détend.
- Ça fait toujours drôle la première fois, innocente Titia. Garde les yeux ouvert, de nombreuses informations vont te traverser, s’imbriquer, tout va prendre sens.
Elle lutte pour garder le contact. On doit rester connectés. Qu’est ce qu’elle ferait, elle ? Je la déshabille complètement, moi aussi, je l’étends sur les fougères, je me mets sur elle, je tiens ses joues, je capte son regard. Je l’embrasse. Elle m’enlace. Elle s’ouvre, j’entre en elle. On ferme les yeux. On ne fait plus qu’un. Le bruit de la cascade s’estompe. L’eau s’arrête de tomber mais elle est toujours là, un mur translucide. Le temps s’est arrêté sur notre première fois. Une décharge de plaisir remonte nos corps, traverse nos cœurs et explosent dans nos têtes en même temps que le bruit de la cascade qui se remet à tomber. Je ressors. On se rhabille un peu, on fait tout le trajet inverse, main dans la main. À la fin je lui rend son monolithe et je l’embrasse avant de lui expliquer :
- C’est tout au fond de la Nature, loin de toute technologie, qu’on est vraiment dans l’Invisible.
Maintenant elle a toutes les armes pour affronter le monde, pour affronter ma mère et les conventions.
- Justitia. Je te veux toujours après de moi, à mes côtés.
- Adam, je te veux toujours en moi.
***
Victoria
J’allume la radio et j’entends Justitia parler, un discours clair et structuré qui s’appuie sur la B3 mais sans embrigadement, on est loin de mes propos de Résistante. L’auditoire est confidentiel, la fréquence m’a été remise anonymement. Elle représente les conservateurs, ceux qui ne suivront pas la tendance et resteront avec nous. C’est bien qu’ils ne partent pas tous. Je me demande comment elle a été choisie, c’est quand même la fille de Sœur Adélaïde. Je la croise à la Carla Party de la mairie où de plus en plus de villageois viennent échanger. Carla a vraiment réussi à rassembler et réunir tout le monde dans sa ville.
- Salut Adé, tu connais la fréquence ?
- M’en parle pas. Tu sais qu’elle émet comme toi, dans la dernière heure du jour.
- Oui, un instant magique dans une journée. Raconte moi ta fille.
- À la base très sage, conventionnelle, croyante, mais dès que la passion s’en mêle, c’est une furie. Elle a fait une obsession sur un petit mec, Adam, le fils de Tinaïg, la fille de Suzanne Coblenzer, la femme du Père Simon. Adam arrive à la canaliser, dans l’Invisible.
- Ça vient donc encore des terriens.
- Comme toujours, il faut bien faire évoluer votre civilisation, la sauver même. Viens, je vais te les présenter.
- Ils sont là ?
- Oui, je les ai amené, on passe toutes nos soirées en famille.
Comme ils sont beaux. Et impressionnés. Je tend la main à Justitia. Elle hésite avant de la saisir, on se regarde, je souris. On nous laisse. Nous sommes deux femmes de pouvoir, on se rencontre, on a à parler.
- Vous êtes vraiment extrêmement belle Victoria.
- Merci, je fais beaucoup d’efforts pour. Alors comme ça, ton Adam est derrière tout ça ?
- J’ai commencé avant lui mais oui, il me soutient dans ma démarche. Il est aussi une sorte de conservateur.
- Tu as de la chance, moi je n’ai jamais su qui était derrière la Résistance. Je n’ai fait que la représenter. En tous cas bravo pour votre démarche. Malheureusement, mes enfants n’y adhèrent pas, ils vont partir.
- Il faut vous réjouir pour eux. Ils vont s’accomplir. Nous ne sommes qu’une alternative pour les autres, ceux qui ne sont pas prêts ou les culturo-différents. On est là pour leur donner le choix et on respecte tous les choix.
- Ta croix est bien en évidence. Est-ce que tu as déjà vu ma chapelle à la Cathédrale ? Non ? À l’occasion, passe la voir.
- On peut y aller maintenant ? J’ai envie de prendre l’air et d’un endroit calme.
Je l’enlève donc à l’assistance et on y va tranquillement à pied ce qui nous laisse le temps de discuter.
- Justitia, les discours sont importants. Surtout ceux dits au pupitre de la Cathédrale. C’est de là que le premier message adressé au Réseau A est parti. On pensait juste que la nouvelle génération allait écrire sa B4 mais au lieu de l’écrire ils ont décidé de la vivre. Tu es sûre de vouloir passer à côté de ça ?
- C’était vous au pupitre n’est-ce pas ? Il n’y a pas qu’un seul chemin à suivre. Plutôt que d’aller se chercher à l’autre bout du monde, je propose de rester se découvrir et s’inventer ici.
- Ça serait bien de venir raconter ça au pupitre à la Messe. Ce serait comme un message au réseau C, celui des conservateurs de la planète C.
- Et le B dans tout ça ?
- C’est une voie encore libre pour ceux qui ne veulent ni le A, ni le C.
On arrive à la Cathédrale. On rentre et on part sur la gauche vers sa chapelle.
- Justitia, je te laisse y rentrer seule. Écoute ton âme.
Elle s’approche de la grille. Elle regarde à l’intérieur. Elle attrape la croix autour de son cou.
- Je ne peux pas Victoria. Ce n’est pas mon histoire. C’est la tienne, c’est la leur.
- Justitia, tu es allée jusqu’où dans l’Invisible ?
- Jusqu’à ce que le temps s’arrête.
- J’ai entendu parler de ce niveau, on ne peut pas y aller seule.
- Adam, c’est le petit fils du Père Simon et d’une immortelle fille d’évêque. La religion n’est qu’un outil de perception de l’Invisible, une porte d’accès. Il m’a amené très loin. Pourquoi moi ? Je croyais l’avoir choisi mais c’est peut-être le contraire. Mais tout ça n’a rien à voir avec les réseaux A et C. Sauf que le réseau A risque de rester dans le visible. Il risque de se perdre dans le visible si il n’a pas de guide de spiritualité. Ils ont intérêt à ne pas seulement vivre mais aussi écrire leur B4 là-bas, comme un témoignage qui restera à travers le temps, à travers l’Invisible.
- Ton discours au pupitre est prêt.
Je la ramène à la mairie. Elle retrouve son Adam. Il me regarde de loin. Je sens comme une vibration sourde et grave. Il me jauge. Je l’ignore et je cherche mon Clément. Il doit encore fricoter avec une des ses collègues du renseignement. Je vais bientôt devoir le libérer. Moi aussi j’aimerais bien terminer mes vieilles histoires mais Patrice est pris et bien pris, par ma mère en plus. Impossible de se rabattre sur sa lignée, Gabriel est coincé avec Nat. Après, je suis tellement belle que personne n’ose m’approcher. Et quand j’approche ils se sauvent en courant. Tiens, à droite, il y a le savant fou avec sa canne. Il ne pourra pas aller bien loin. Je vais le voir.
- Professeur ? Comment allez-vous ? Vous ne voulez toujours pas vous faire soigner ?
- La voix de la Résistance. Bonsoir Victoria. En fait depuis que je n’y vois plus rien, j’y vois bien mieux. Cet accident est une bénédiction. Tout un autre monde s’est ouvert à moi.
- Le monde de l’Invisible ? Ce n’est pas compatible avec votre science.
- Oui tu as raison Victoria. La science me semble tellement futile maintenant. Tu sais j’écoute beaucoup la radio, les archives. C’était bien tes émissions. Tu sais qu’il y en a d’autres qui émettent aujourd’hui.
Sa femme vient nous interrompre avec un regard aussi glacé que les boissons qu’elle est allé chercher. Je m’éclipse. Je me retourne de loin pour la regarder s’occuper de lui. Quand ce ne sont pas eux qui ont peur de moi, ce sont leurs femmes. Ma beauté est une malédiction. Je me faufile dans un couloir pour partir mais une barre sortie de nulle part bloque ma route en tapant le sol. C’est le professeur X. Il a été rendu aveugle dans une explosion sur une expérience qui a mal tournée.
- J’ai réussi à semer Yalta. On a pas beaucoup de temps.
- Est-ce que ça a marché ?
- Oui, j’ai vu l’avenir avant l’explosion. Tout va bien se passer pour nos enfants.
- Tant mieux. Pourquoi ça a explosé ?
- Sabotage. Mais peu importe. Je suis déjà passé à autre chose.
- Est-ce qu’on pourra se voir en privé ?
- Envoyez moi vos dispos à PX2115.
Et je la vois au loin en train de le chercher.
- Ciao Xavier, je décroche.
Il se réfugie aux toilettes et je quitte la mairie.
*
Quelques jours plus tard on se retrouve à la bibliothèque de la Cathédrale.
- Il y a un ouvrage en particulier que vous voulez consulter ?
- En fait j’en ai fait rentrer une bonne centaine, avec ces livres on peut reconstruire la machine qui se connecte à l’Invisible, ils sont bien mieux là qu’à Western Technologie. Finalement c’est bien que tout ait explosé. Au moins elle ne terminera pas entre toutes les mains. Ceux qui s’intéresseront à ces livres devront avoir la Foi, ça limite les choses. Je ne veux pas revoir. J’en ai assez vu. Je vois très clairement les choses maintenant. Notre vision biaise la réalité. Voir la réalité a été plus douloureux que ma blessure. Yalta m’a trahie. Je l’ai sortie de ma vie. Mes enfants sont partis comme beaucoup d’autres. Me voilà seul. Les vôtres sont encore là. Profitez-en. Après, pour cette histoire de machine, elle est le symbole de notre civilisation scientifique et technique qui est encore allée trop loin. Victoria, j’ai été dans l’erreur toute ma vie. Vous pouvez m’aider ? J’ai juste besoin d’une cellule dans le Monastère, je sais que vous connaissez bien Patrice et qu’il ne peut rien vous refuser. J’ai besoin de faire le point ici pendant quelques années.
- D’accord, comme ça, le jour où j’aurai besoin de toi, je saurai où te trouver. Mieux : je viens prier tous les soirs dans ma chapelle. Je peux passer te voir ensuite pour faire le point sur l’Invisible.
En fait j’amène un pique-nique à chaque fois, c’est comme la cérémonie du souper avant la tombée de la nuit comme beaucoup de familles le font. Quand il fait beau on va dehors dans les jardins sacrés où je pose une couverture. On mange, on boit, on discute et quand la nuit vient c’est lui qui me guide pour rentrer. Je le quitte en lui disant au revoir, puis en lui serrant la main, puis en lui faisant la bise, de plus en plus près de sa bouche. Un soir je l’ai embrassé. Tout le reste s’est passé dans le noir. Il a commencé par m’enlever mes chaussures et me laver les pieds dans des gestes doux, presque religieux. Ensuite il les a embrassés. Il a fait ça pour chaque autre partie de mon corps. Ensuite, nous nous sommes plongés dans un bain chaud purifiant où l’on s’agrippait l’un à l’autre dans de multiples caresses. Ensuite il m’a essuyée et séchée pour finir sur le lit où avec sa bouche entre mes fesses et ses doigts invasifs il m’amène à l’extase avant de venir goûter à son plaisir tout au fond de mon ventre. Il s’est endormi en moi et un rayon de lumière vient dénoncer mon péché que je retourne et que je recouvre et je remballe ma chair et je me recoiffe. Je m’approche de lui, je sais qu’il ne peut pas me voir, je l’embrasse tendrement pour le réveiller et je lui dit :
- C’était merveilleux. À ce soir.
Je lui caresse doucement la joue, j’embrasse ses paupières fermées sur ses yeux aveugles et je quitte discrètement la cellule. Plus j’avance dans ce couloir de Monastère et plus je sens la Foi qui me rattrape, une Foi d’espoir et d’Amour, pure, simple, merveilleuse. Et je sors au grand jour pour traverser le jardin. Des tentes blanches sont déjà installées pour le Coquetèle après la Messe. Je sors de la cour et la Cathédrale s’impose à moi. Elle me questionne. Est-ce que je dois vraiment rentrer à la maison ? Oui. Je vais aller affronter ma culpabilité en famille avant de la perdre. Je n’ai pas beaucoup à attendre. En rentrant à vélo je les vois dans la cour. Clément et Yalta, elle a les bras croisés et le regard fâché. La messe est dite. C’est la fin de leur mission d’agent infiltré dans notre intimité, d’agent reproducteur pour le réseau A. Je m’arrête à leur niveau pour leur dire :
- C’est fini. Vous pouvez rentrer à l’Octogone. Votre mission est terminée. On reprend nos vies en main.
Ils ne réagissent pas. Je descends du vélo et je m’approche de Yalta, frontalement. Elle se décroise les bras et recule. Je demande :
- Il y a un problème ?
Je tourne la tête vers Clément qui baisse les yeux. Je passe entre les deux et je rentre chez moi, sans me retourner. Une fois la porte fermée je m’appuie contre elle pour respirer un peu plus fort. Je regarde par le judas. Ils sont toujours là, ils discutent. Elle lui prend la main et ils partent. J’appelle ma mère pour la prévenir. Les enfants, eux, ce n’est pas leur problème, ils en on rien à faire, ils sont déjà partis dans leur tête.
- Allô maman ? C’est fini avec Clément. Je suis avec quelqu’un d’autre.
- Le professeur X ?
- Xavier. Il ne peut pas te voir.
- Ha ha… C’est bien ma fille. Je suis contente pour toi. Je te souhaite une belle nouvelle vie. Prends bien soin de toi et prends bien soin de lui aussi. Vous allez former un joli couple.
- Merci maman.
Je prends la navette pour aller à Laguna Beach chez Alice. Victor m’attend, je lui saute dans les bras. Je pleure, il me console. Alice nous regarde d’un œil méfiant et attend un peu avant de se joindre à nous. Aline est là aussi, avec mon fils Vincenzo qui me dit :
- On veut le voir aussi. Alice ?
- Bien-sûr, au barbecue.
- Vous le verrez d’abord à la Messe, si vous venez. Il a des choses à dire au pupitre.
Sur la fin de la civilisation technico-scientifique, sur lui, sur nous, sur l’Invisible.
***
Elya
Avec Ilyes on regarde nos parents faire la cuisine, ils se taquinent comme des adolescents. La grande Kate et son petit Doumé. Avec papa on a échappé à la tradition familiale de la médecine. Mais mon frère Ilyes est en plein dedans. Papa il est trop cool. Il ne s’est jamais emprisonné dans un métier. Sa philosophie est spéciale genre :
- Dis-moi ce que tu ne fais pas et je te dirai qui tu es.
En fait il ne vit que pour maman et maman l’adore comme au premier jour. J’essaie de secouer Ilyes avec des phrases chocs :
- Tu te rends compte qu’ils étaient plus jeunes que nous lorsqu’il se sont mis ensemble ?
Il s’arrête de réviser sa bio pour les regarder :
- C’est un jeune couple alors. Ils vont bien finir par se fatiguer.
- Ilyes, tu es déplorable. À ce propos je t’ai mis dans l’algorithme. Sur l’île B tu va être en couple. La pauvre…
J’ai hâte d’y être, repartir à zéro sans l’héritage de nos famille. Personne ne le sait mais je suis inscrite sur l’île C histoire de ne pas avoir ce débile d’Ilyes en vue.
Au camp d’entraînement j’ai réussi tous les modules et j’ai été repérée par Aurélie qui forme plutôt les plus grands. Elle m’a donné un niveau de responsabilité supérieur et une accréditation spéciale :
- Elya, en tant que correspondante tu seras amenée à souvent revenir. Il faudra juste faire attention à l’étanchéité des informations entre eux et nous. Sur l’île B c’est déjà compromis mais pas sur la C.
Tout est planifié. J’aurai un mec sur place et peut-être un autre ici aussi. Un dans chaque île, c’est jouable. C’est ce que je croyais jusqu’à ce que la machine me sorte le résultat de son algorithme pour moi :
- C’est qui ce Tiffany ? Il y a un bug.
À une réunion préparatoire, Aurélie sent bien que je suis contrariée. Je dois lui dire :
- Aurélie, il y a un problème, sur l’île C je suis avec une fille. Ça ne va pas le faire. Il faut que trouves quelqu’un d’autre. Il reste de la place sur l’île B ?
- Elya, la machine ne se trompe jamais. Il faut essayer. Et la fille, tu l’as contactée ?
- Oui, elle pense que c’est une erreur aussi. Mais elle veut me rencontrer quand même.
- Très bien. Mais pas ici. Sur place ce serait mieux, loin de toutes les influences d’ici.
- Là-bas on est quelqu’un d’autre. On est nous-mêmes ?
- Que le début de vous-mêmes. C’est une aventure pleine de découvertes qui vous attend.
Tiffany est du même avis qu’Aurélie. Je reçois un message basique sur la messagerie cryptée. Elle m’envoie une navette ? Apparemment elle est déjà sur place. Le voyage est plutôt court. Avant que la porte s’ouvre, j’entends des instructions. Je dois laisser mon monolithe et mes chaussures. Je descends les marches et je saute sur le sable. Je lève la tête et je regarde autour de moi. C’est juste paradisiaque. Primaire. On aperçoit quelques cabanes au loin. Tiffany est sûrement un nouveau prénom. On nous a conseillé d’en changer en arrivant ici. Je n’ai donc trouvé aucune information sur les réseaux sur cette Tiffany. Peut-être que je la connais déjà, on n’était pas si nombreuses que ça au camp d’entraînement. Ou alors je l’ai croisé à l’école. J’arrive au milieu du hameau. J’entends une voix derrière moi :
- Bonjour Elya.
Je me retourne. C’est une grande.
- Bonjour, je cherche Tiffany.
- C’est moi. Enchantée.
Elle s’approche, je la regarde de haut en bas, ses pieds nus s’arrêtent devant les miens sur la terre sablonneuse. Elle me prend les mains et je suis éblouie, je n’arrive pas à voir son visage, elle nous pivote d’un quart de tour et je vois ses yeux clairs derrière ses cheveux bouclés.
- Tu es une grande ?
- Toi aussi tu le seras dans trois ans. Je suis du Réseau A, je supervise les travaux. Ici c’est la partie la moins avancée, la plus primaire.
Je regarde nos mains. Je la regarde. Elle est étonnée :
- Tu es déjà connectée à l’Invisible ? On l’est toutes plus ou moins ici, mais ce n’est pas aussi fort. Tu arrives à lire en moi ?
Je ferme les yeux et je lui serre les mains. Je fonce dans son esprit, dans son passé, au-delà des travaux qu’elle a fait ici, de ses études d’ingénieur à Westech, de ses études à Russell où elle a croisé ma mère !? J’ouvre d’un coup les yeux et je lâche ses mains.
- Tu as connu ma mère. De près à ce que j’ai vu.
- On était de la même promotion. On s’est bien amusées. Quand ton nom est sorti de la machine j’ai compris tout de suite. Tu es comme la fille que je n’ai jamais eue.
- Pourquoi je ne t’ai pas trouvée sur les réseaux ? C’est quoi ton vrai nom ?
- Tiphaine. Quand on est du réseau A on peut déjà commencer à effacer son passé.
Elle me tend la main. Je lui prend, elle m’entraîne à l’intérieur d’une case. C’est une sorte de poste de commandement, avec des cartes aux murs, des plans de travaux sur les tables et dans le coin il y a un bar avec une table où des boissons nous attendent. On trinque.
- À toi, Elya. Je suis bien contente de te connaître déjà. Tu ne ressembles pas beaucoup à Kate. Les algorithme, ce n’est pas que pour les couples. C’est aussi pour les clans.
Je suis tellement rassurée. Pourquoi elle n’a pas commencé par ça ? Je cherche une chaise pour m’asseoir, je ne trouve qu’une caisse. Je me pose dessus, soulagée. Je bois, c’est frais. Je respire. Elle s’installe à côté de moi. Cuisse contre cuisse. Elle me reprend la main, elle met ses doigts entre les miens :
- Peut-être que je suis ta nouvelle maman ? Je n’ai pas d’enfants. Pas encore. On doit en faire pour avoir une génération autochtone, indigène. Et ton frère ?
- Ilyes, il sera sur la B dans le médical.
- Bien. Elya, on va être heureuses ici.
Elle m’embrasse sur la joue. Elle me regarde avec insistance.
- Tiffany, tu as mis un psychotrope dans la boisson. Je suis immunisée. Et l’hypnose ça ne marche pas non plus. Mais je voudrais quand même vérifier quelque chose.
Je me lève, je luis écarte les cuisses, je m’avance, je lui prends le visage des deux mains et je l’embrasse sur la bouche. Elle m’embrasse, on s’embrasse. Et puis elle me repousse :
- Je suis désolée Elya. Ce n’était pas un psychotrope. C’était juste un philtre d’Amour, ça vient de la Terre. Je pensais que c’était plus adapté pour tes capacités avec l’Invisible.
- Tu as raison Tiffany.
Je me jette sur elle et je l’embrasse partout, je tire sur la robe légère que j’entends craquer. Elle arrête de résister. On se mélange. Après ce déluge de plaisir, j’émerge peu à peu et je l’entends me demander :
- Pas de psychotrope, pas de philtre d’Amour et pas d’hypnose ? Tu es insensible à tout ?
- Je suis sensible à l’Invisible. Officiellement je le suis aussi à l’hypnose.
- Officiellement ?
- Je ne m’entends pas très bien avec mon frère. Un jour il a essayé de m’hypnotiser, j’ai fait semblant de l’être. C’était juste pour me dire qu’il m’aimait bien en fait, il m’a serré dans ses bras et il m’a embrassé avant de me ramener à mon état de conscience normal. On fait souvent ce petit jeu. Moi aussi je lui dis que je l’aime bien. Et je l’embrasse. Et on se caresse un peu. C’est notre monde parallèle à nous.
- Profite bien des tiens, il te reste quelques années avant d’avoir ta vie à toi. Et je serai là.
Quand je rentre à la maison je ressens les choses de façon différente. Je me sens plus sûre pour tout. Sûre du passé, du présent et de l’avenir. Ma mère me serre dans ses bras. Elle est fière de moi. Mon père me sort une phrase étrange, comme à son habitude. Avec Ilyes on attend d’être en privé pour parler. Comme d’habitude, c’est lui qui commence :
- Moi aussi je l’ai rencontrée. Très belle, très sympa, on va être bien.
Il s’attend à une critique, comme d’habitude mais je n’ai plus envie de le taquiner.
- Tant mieux. Elle a bien de la chance. Soyez heureux.
- Plus besoin de t’hypnotiser pour se dire des choses gentilles ?
- Plus besoin.
Je lui tend les bras, il hésite une seconde avant de venir se blottir contre moi. Je l’embrasse sur le front, sur les joues et après un cours regard hypnotique, un bisou sur la bouche et on rit. Chut !
- Et toi, comme elle est ton île C ?
- En travaux. Mais le plus surprenant c’était elle.
- Oui, j’ai vu la réponse de la machine pour toi, c’est même déjà en ligne sur les réseaux.
- Elle est très belle, elle est très sympa, on va être bien.
- Tant mieux. Elle a bien de la chance. Soyez heureuses.
On s’allonge sur son lit. On se tient la main. Et on sombre. Dans l’Invisible et dans le sommeil, accompagné de quelques caresses.
On se réveille reposés et détendus. Il est bientôt l’heure du souper. On coure sous la douche. J’hésite une seconde avant de le suivre dans la sienne en prétextant :
- Tu peux m’aider à me laver les cheveux ?
Ce n’est pas la première fois. Il le fait très bien. Il aime ça. Quand je pars me rincer dans la cabine, il me suit pour finir le travail. À la fin je coupe l’eau et je me retourne. On est nus, face à face. Tout est calme. On ne dit rien. Je lui prends les mains. On se rapproche. On vient du même ventre. On était dans la même poche. Ils ont eu du mal à nous séparer. Nous voilà maintenant l’un contre l’autre, à nouveau, joue contre joue. Je passe mes mains autour de son cou, lui autour de ma taille.
- Ilyes, on va être séparés à nouveau.
- Toi tu peux toujours me voir, avec tes pouvoirs.
- On peut partager. Je peux t’en donner.
- Comment ?
Je me presse contre lui. Je le plaque contre la paroi de la cabine. Je me baisse doucement pour aller le mettre en condition avec quelques coups de langue. Je me relève quand il est prêt. Je recule pour me caler contre le mur, je le tire vers moi et les yeux dans les yeux je lui proclame :
- À toi de rentrer en moi.
Je le guide de ma main. Il entre doucement. Je ferme les yeux. Je le serre fort et il avance jusqu’au fond où nos corps prennent le relais pour nous submerger de vagues de plaisir jusqu’au tsunami final.
Au dîner je me sens propre, fraîche et éveillée. Lui est un peu ailleurs, distrait, hagard, je vois encore des étoiles dans ses yeux. Je lui donne un coup de coude et je lui montre son assiette, il n’a pas encore commencé son entrée. Maman me regarde du genre : « qu’est ce que t’as encore fait à mon fils ? » Je lève les yeux en l’air et je lui montre papa qui joue avec ses légumes genre : « J’ai rien fait. Regarde, tel père, tel fils. » Elle n’a pas l’air convaincue. Je vais y aller plus doucement avec Ilyes. Je le regarde tendrement en coin avec un sourire. Je me sens heureuse. On va avoir de belles vies à partager. Mais c’est qui au fait sa promise ?
- Maman, sur mon île ils m’ont mis avec une fille. Et toi Ilyes ?
- Une fille aussi. Je peux vous la présenter demain si vous voulez ?
- Moi elle est déjà coincée sur l’île. Je ne sais pas si elle peut revenir. Tiffany. Une ingénieure. Elle supervise les travaux.
- Ségolène.
- De la famille royale ? C’est pas une conservatrice ?
- Elle non. Son frère oui.
Effectivement, le lendemain elle est là à l’apéro. Sa princesse. La fille de Frances. C’est du lourd. J’ai l’air un peu ridicule avec mon histoire de Tiffany.
- Ségolène, tu me voles la vedette. Qu’est que tu nous trouves, on est pas de la lignée sacrée.
- Alors c’est toi qui martyrise mon petit Ilyes ?
- C’est pas le rôle des sœurs ?
- Lignée sacrée ou pas, toi et moi on n’est que des hybrides. Ce qui peut faire la différence, c’est l’Invisible. Qui t’a initié ?
- Sœur Nathalie de la Maison Bleue.
- Pas mal, une terrienne du Vatican.
- Et toi ?
- Marwah.
- D’accord, tu as gagné.
- J’aurais préféré un enseignement plus soft. Marwah est très tendance S dans son I. Mais bon, elle a découvert quelque chose qui nous concerne toutes et qui remonte à Victor et Victoria. Toutes ces naissances doubles, ces frères et sœurs connectés qui font des choses bizarre. Tu vois ce que je veux dire ? Cette histoire de Réseau A et d’île B et C, c’est la solution à tout ça. Séparer les frères et sœurs pour savoir qui on est vraiment. Mais ne t’inquiète pas, je prendrai soin de ton Ilyes.
- Il faut revenir au présent Ségolène. Tout ça c’est dans 3 à 5 ans. Tu es trop en avance. Ou alors tu viens du futur ? Pour l’instant on est coincées dans le passé pour un moment. Je te livrerai Ilyes en temps voulu. A moins que tu ne veuilles l’envoyer chez Marwah pour le connecter à L’Invisible ?
- Effectivement, je préfère que ce soit toi.
- C’est dans l’ordre des choses alors. Victoria pour Victor. Toi pour ton prince. Moi pour Ilyes. Et tous les autres. Même les conservateurs ? C’est lié à l’immortalité, aux antennes. C’est un programme ?
- Un programme d’expansion, pour séparer les générations d’immortels. Tout est écrit depuis le début. Mais il y a un imprévu.
- L’Invisible.
- Tu lis dans mes pensées, Elya.
- Le Réseau I ?
- Sœur Nathalie a bien travaillé.
- Heureusement que ce n’était pas sœur Adélaïde. D’ailleurs, ses enfants sont du Réseau C. Comme quoi, il doit y avoir des I dans toutes les obédiences.
- Elya, pour Ilyes, je peux prendre le relais, pour son initiation.
- Tu veux déjà me l’arracher ? Il est une partie de moi. Attends ton tour. J’ai besoin d’être sûre qu’il est bien connectée à moi avant de le quitter pour toujours. Tu devrais plutôt t’inquiéter de ton prince. Voir si tu peux vivre sans lui. Ou alors tu vas mal vivre ton exode. Et Ilyes en souffrira.
- Elya, j’aurais aimé te connaître plus tôt.
- Non Ségolène. Tu as le temps. On est pas encore partis.
Elle me prend la main et elle me regarde :
- Merci.
Après quelques test, je vois qu’Ilyes commence à être réceptif. Il reste quelque chose à faire mais quoi ? Le soir même je me reconnecte avec Ilyes et quand il arrive au fond de moi j’ai une intuition : je mets ma main entre ses fesses et après un petit massage j’y introduit un doigt : Big Bang ! Il y a comme une grosse explosion autour de nous qui chasse toute la lumière, on se retrouve dans le noir. Je sens aussi sa main entre mes fesses et : Bang Big ! On voit une lumière intense au loin, tout autour de nous et elle arrive si vite qu’elle nous transperce et nous submerge. On a trouvé le bouton on/off. Et j’ai la sensation que ce n’est que le début. L’Invisible est infini. Il y a même sans doute plusieurs niveaux.
- Ilyes, on ne peut pas aller plus loin. Ça y est, on est connectés, pour toujours et à jamais.
On pose nos fronts l’un contre l’autre. On se prend les mains. Il se retire. Lâche mes mains, décolle sa tête et on est toujours connectés. Je me rhabille pour quitter sa chambre, une dernière fois, je m’approche de lui et je lui fais un bisou sur la bouche avant de le quitter.
- Au revoir Ilyes.
Mais en fait, on se voit déjà.
Le lendemain matin, je sors de ma chambre pour aller au petit-déjeuner et il m’attend dans le couloir. Il s’approche de moi et il me fait un bisou sur la bouche.
- Bonjour Elya.
Tels seront désormais nos bonjours et nos aux revoirs, en intimité invisible. Arrivés en cuisine ils sont là. On se met d’accord et on va aussi embrasser nos parents pour leur dire bonjour, sur la joue. Ils sont surpris.
- Nouvelle règle : Maintenant on se fait la bise pour se dire bonjour et au revoir.
À la fin du petit déjeuner le monolithe d’Ilyes vibre. Il doit y aller, l’hôpital l’appelle, on ne le reverra que demain. Il se lève pour embrasser la joue de papa et maman et quand il passe vers moi il me fait naturellement un bisou sur la bouche. Maman me regarde avec des grands yeux. Papa fronce des sourcils.
- Quoi ? On vient de se connecter à l’Invisible. Je l’aime pour toujours, c’est mon frère et on va être séparés sur des îles différentes. Vous, vous n’êtes que mes parents. Nous, on est de la même génération.
Je vois que même le Réseau A commence à ne plus nous comprendre. Car je le sais, je le sens, ils en font partie, je soupçonne même papa d’en être un cadre puissant avec son profil lisse. Eux aussi ont leur visible et leur invisible. Je termine mon assiette et je me lève pour aller leur faire la bise et un gros câlin. Je n’ai rien à faire aujourd’hui, je vais prendre mon vélo et aller traîner le long de Laguna Beach. J’ai besoin de marcher dans le sable et de ressentir chacun de leur grain.
Je vois les vagues de l’océan, elles sont agressives et menaçantes. On ne vient pas ici pour elles. Il y a du monde à la Paillote. Je vais voir. Je reconnais Valériane de mon stage des arts, elle a l’air déprimée.
- Salut Valou, t’en fais une tronche !
- Oh ! Elya. Félicitations, j’ai appris pour ton île C.
- Ouais, c’est loin tout ça. On verra. Et toi ?
- Ils m’ont jeté. Je ne suis pas éligible. Je dois rester alors que je ne suis même pas conservatrice. Je suis exclue, comme handicapée
Il faut que je lui improvise une réponse et une consolation…
- Vraiment ? Je pensais que c’était une légende.
Elle se remet droite sur sa chaise :
- Quoi ?
Je regarde à droite et à gauche.
- Je ne sais pas si j’ai le droit d’en parler. On refuse le départ à certains sans leur donner la vraie raison. Ils seraient indispensables, une compétence nécessaire à rester. C’est au dessus de mon réseau C. Le réseau D, celui ces dispensés. Il est encore trop tôt pour vous regrouper. Mais si tu en connais d’autres, je veux bien être votre officier de liaison, pour organiser la suite, jusqu’à mon départ, après vous serez maîtres de vous-mêmes.
C’est l’occasion de me servir de mon kit de création de réseau, ça faisait partie d’une formation avancée. Je prends mon monolithe, j’active le mot de passe et je lance la procédure. Je sème des indices partout et ceux qui chercheront vont découvrir que Valériane vient de créer le Réseau D, je réfléchis à quatre phrase clefs pour en écrire les statuts et d’ici quelques jours on lui annoncera qu’elle est nommée et qu’elle se mette en relation avec son officier de liaison à chaque nouvelle recrue. Ce serait drôle que le mouvement écrase celui des conservateurs. Mais pour être D, il faut être choisi, il faut être refusé des autres réseaux. Je la vois bien finir au pupitre à la Messe pour prêcher sa bonne parole et rassembler les brebis égarées. Elle me touche la main pour que j’arrête de jouer avec mon monolithe et que je l’écoute :
- Tu veux une bière ?
Pas mal comme phrase de reconnaissance… Je le noterai plus tard. Et j’accepte, l’alcool éteint l’Invisible. Alors que j’entame la deuxième, elle me regarde bizarre avec l’œil en coin :
- Alors comme ça il paraît qu’on t’a mis avec une fille ?
- Oui, franchement, ça ne me serait jamais venu à l’idée. En plus c’est une grande. Elle est déjà sur l’île C.
- Ça veut dire que… tu es encore disponible pendant quelques années…
Je vois. Cette informations sur les réseaux changent la vision que les autres ont sur moi.
- Oui, ça me laisse le temps d’évoluer dans un couple normal avant de disparaître. Enfin, c’est ce que j’espérais mais je sens que c’est compromis.
Je lui prends les mains pour voir où elle veut en venir. Je vois son monde. Elle est organisée, intelligente, elle comprend des choses plus vite que les autres. Pourquoi elle a été refusée ? Je vais commencer à croire à mon Réseau D. En même temps elle me murmure à l’oreille :
- Être en couple avec un mec, c’est du réchauffé. On a toutes fait joujou avec notre frangin. Alors qu’une fille, c’est plus subtil, moins invasif. J’aimerais essayer avec toi.
- Valou, je suis immunisée contre ce que tu as mis dans la bière. Tu es sûre que tu as respectée la dose ? Parce que tout d’un coup je te trouve très belle.
Et j’éclate de rire. La pauvre, elle croit que je me moque d’elle.
- Non, Valou, je t’assure. Et j’accepte. Quoi de plus naturel ? Il n’y a pas de mal à se faire du bien. Tu as toujours ton atelier étrange de sculpture en métal ? C’est un coin tranquille. J’aimerais voir tes nouvelles œuvres.
- Viens, je t'emmène, où le soleil le soir va se reposer, où les rivières vont boire et vont se cacher, où les nuages tristes vont s'amuser, derrière le miroir de l'autre côté, au pays du vent au pays des fées.
Effectivement, je parcours ses œuvres une à une, j’en fais le tour, elles racontent tellement de choses, visuellement, au toucher, dans leurs reflets et dans leurs détails.
- Valériane tu as un don, tu as des pouvoirs, tu as une relation privilégiée avec l’Invisible.
Elle me suit de près, me frôle, m’embrasse pendant que je reste hypnotisée par son travail créatif.
- Valériane, tu n’as pas besoin de me faire boire tes bières, il suffit juste de me montrer ce qui sort de ton âme, ce que tu arrives à concrétiser ici, chaque installation a un message clair et précis, tu m’ouvres l’esprit vers une autre dimension.
Je me retourne et je l’embrasse en lui caressant le dos et les fesses. Je suis comme devant un plateau de desserts interdits. Par quoi vais-je commencer ?
Je rentre à la maison exténuée. Je vois déjà où je vais passer tous mes après-midi et avec qui. IL faut que je reprenne des forces pour finir la journée. Heureusement je trouve une canette de stimulant revigorant dans le frigo. Je l’ouvre et je la bois d’une traite avant de m’asseoir et de laisser partir mon esprit dans le vide pendant que mon corps se réveille. Papa m’a entendu, il vient jeter un œil dans la cuisine. Je suis sûr qu’il a déjà vu mes messages sur le réseau D balancés sur les réseaux surveillés. Il s’installe en face de moi :
- Tu changes.
- Moins qu’Ilyes, il grandit si vite. Déjà une tête de plus que moi.
- Double sens, comme toujours.
- Et toi tu ne changes pas.
Il cherche l’autre sens. Peut-être un reproche. Mes phrases sont comme des œuvres d’art, chacun y voit ce qu’il veut. J’en ris. Il fait encore plus la tronche. Je me lève pour lui faire un câlin et un bisou.
- Papa, de toi à moi, seul à seule, je peux te le dire, non, te le murmurer à l’oreille : je t’aime. Et merci d’avoir été un super père. Toujours là, toujours disponible, pour gérer tous les problèmes. Même ton silence ou ton inaction sur certains point ont du sens. Et tu vas toujours dans mon sens. Merci papa. Je suis ta préférée ?
- Bien obligé. Je n’ai pas d’autre fille.
- Pas mal comme réponse. Tu t’en tires bien. Tu marques encore un point.
Je sens quelqu’un approcher de la maison, je le libère et je retourne à ma place. C’est maman. Quand elle rentre dans une pièce, son premier regard est d’abord pour papa. C’est dingue comme elle l’aime. Et ça lui va bien, elle est radieuse. Elle tourne un œil méfiant vers moi. Je lui fais coucou comme une débile, elle est dépitée, une main de papa la réconforte. C’est dingue, il a juste à faire un geste pour qu’elle se sente mieux. Il a ce pouvoir sur elle. Elle a cette fascination pour lui. Son petit Doumé. Il y a comme un parfum d’interdit dans leur histoire, c’est pour ça que c’est si fort. Je me demande bien ce que c’était. Pendant que papa repart à son bureau, elle s’approche de moi et me murmure à l’oreille :
- Ta grand-mère, Lisa, ne voulait pas que je joue avec son fils, j’étais sa baby-sitter, il était trop petit pour moi, trop jeune. C’était à la Maison Bleue, l’endroit est magique. J’ai été un peu trop, gentille, avec ton père. Il adorait ça. J’étais sa grande quête, sa grande Kate. Un amour interdit que Nathalie, maîtresse des lieux, ta marraine, a su rendre possible. Un amour qui jamais ne s’étreindra, qui continue de vivre et de grandir, en nous et en nos enfants, en toi.
Terrifiant. Je n’ose plus bouger. Mes pouvoirs ne viennent pas que de mon initiation. De tout son discours un mot à brillé. Un indice. Un message. Maman repart, elle va voir son petit Doumé pour le serrer dans ses bras sans doute. Je me mets debout, ça tourne, je suis un peu sous le choc. Chaos de ses murmures. Je me sens punie, je vais dans ma chambre et je réfléchis au mot qui brille. C’est quoi cette histoire marraine ? Il n’a jamais été question de religion. Mais je me souviens de mes bijoux d’enfant. Je regarde dans mon petit coffre. Je retrouve une chaîne en or avec son pendentif. Une croix. J’ai été baptisée.
Au dîner je porte une robe avec un beau décolleté où les yeux d’Ilyes se baladent. C’est pas pour lui. C’est pour mettre mon cou en évidence. Ce soir je l’ai paré de ma chaîne de baptême avec sa croix. Maman l’a bien remarquée. Elle me regarde avec douceur maintenant. Je lui parle sans bruit, elle lit sur mes lèvres : « Maman ? Je t’aime ! ». Elle sourit d’approbation. Je vais m’inscrire au pupitre, j’ai plein de choses à raconter à la Messe, il y en aura pour tout le monde, en triple sens.
Du coup je vais l’écouter pour une fois. Je vais laisser son fils tranquille. On a déjà atteint le Bang Big, je ne vois pas comment aller plus loin. Mais cette nuit je suis réveillée par sept petits coups sur ma porte. J’entrouvre. On se regarde. Il a faim. Je le laisse entrer. Je reste passive. Ça ne le dérange pas. Il sent encore Ségolène.
- Quel goût elle a ?
- Elle est salée, iodée.
- Quel goût j’ai ?
- Tu es sucré comme un bonbon interdit.
- Tu es sevré Ilyes. Tu peux passer à de la vraie nourriture. Elle a gagné, elle t’a gagné. Elle est forte. Tous mes vœux de bonheur.
- Toi aussi tu as trouvé quelqu’un avec qui jouer. Mais ce n’est pas Tiffany.
- Tiffany est trop loin en distance et en temps. Je m’entraîne pour elle ici avec une autre. Une ancienne camarade de mon stage d’art. Je l’ai retrouvée à la Paillote. Elle s’appelle Valériane. Elle est si belle, si douce. Elle est promise à un grand avenir aussi. Qu’est ce que tu fais ? Arrête tes va et vient, ce n’est pas très agréable, je ne suis pas une terrienne, reste au fond.
Je ferme les yeux et après quelques vagues de plaisir je sens un dernier soubresaut, de lui en moi. C’est fini. Je lui ouvre la porte, quand il la passe je le retiens pour un petit bisou sur la bouche.
- À demain Ilyes.
- À demain Elya.
- Ilyes, quoi qu’il arrive, je t’aimerai toujours, je suis ta sœur. C’est pas une île qui va nous séparer. Je serai toujours là pour toi.
Il me serre dans ses bras, longtemps. Puis il m’embrasse à nouveau. Il me caresse la joue. Je mets ma main sur la sienne. Et il glisse vers le couloir, je perds le contact physique, un dernier regard et la porte se ferme doucement. Je me remets au lit pour me terminer en pensant à ma Valou.
*
- La B2 a été écrite en grec. En grec le mot compassion veut dire miséricorde. Car le Seigneur est bon et sa miséricorde dure à toujours. Il veut me guérir tout aussi volontiers qu'il veut me pardonner mes péchés. Dans la B3, le seigneur ce sont les symboliques antennes qui nous envoient les ondes de l’immortalité. Et le pardon de nos péchés, c’est l’Amour que nous ressentons tous, souvent différemment, par la Foi ou par le sexe, dans ce qui lie notre génération, un Adam et une Eve dans chaque ventre, on grandit ensemble, on croque la pomme, on est chassés sur une autre île. Et il y a ceux qui restent, qui ne veulent pas partir ou qui ne sont pas choisis. Mais quelle que soit la lettre qu’on nous attribue, nous faisons tous partie du même réseau. Ensemble, allons dans la paix de l’Invisible.
L’orgue de Marwah résonne. Je croise le regard de Ségolène, elle veut me voir au cocktail, pour officialiser la passation de celui qui est à ses côtés, elle lui tient amoureusement la main et le bras, elle l’aime beaucoup plus que moi maintenant.
Je commence à prendre la mesure de mes responsabilités. Un discours historique pour les réseaux, j’officialise le D, inventé sur le vif à la Paillote, je suis aussi la première à parler du comportement déviant et programmé de la génération mixte. Ségo arrive vers moi, je réfléchis à mon discours sur Ilyes mais elle me parle d’autre chose :
- Elya c’est vraiment important ce que tu as dis, tu déculpabilises toute une génération, tu compromets l’inéluctable exode vers les îles, c’est un coup d’arrêt au destin.
- Ce n’est qu’une première étape. Les lâches coupables ne se montreront jamais, on fera avec. Au contraire ça va stimuler les départs surtout si les frères et sœur ne restent pas ensemble. Il y a le temps pour que tout s’organise, il fallait juste éveiller les esprits, rendre visible l’Invisible.
Alice veut me parler, avant qu’elle ouvre la bouche je la lance :
- C’était une bonne idée de ramener nos ancêtres pour nous sauvez. Mais ce n’est qu’un répit assez court pour l’éternité.
- Je peux m’arranger pour arrêter l’onde. Vous voulez vieillir et mourir ?
- On ne veut rien du tout, on subit.
Valériane me récupère. On doit partir. L’ambiance est trop tendue.
- Tu viens d’envoyer balader Alice, je pense qu’elle veut ta mort maintenant.
Je finis par tomber sur Victoria que je vois souvent maintenant à la Cathédrale pour prier :
- Ne t’inquiète pas pour Alice, elle a peur, la situation lui échappe. Nous, on va tous s’en tirer Elya. J’ai connu pire encore par la suite et je suis toujours debout.
- Pire ? Comment ça ?
- Mon fils Vincenzo, il n’a pas de père, je suis censé l’avoir faite toute seule. C’est comme pour les antennes, il y a un seul coupable, on ne peut plus lui faire payer et c’est tant mieux, comme ça on peut avancer.
Je lui prend la main et j’approuve. Valériane me tire à nouveau :
- Si ça continue tu vas finir en guide spirituelle.
- Toi aussi Valou, ça rime déjà avec gourou.
On arrive enfin aux jardins du Monastère pour le cocktail. Ma mère est là, je peux enfin faire les présentations officielles :
- Maman, je te présente Valériane. Valou voici la grande Kate, docteur Russell.
(Patrice)
Elle présente aussi cette fille à son père. Tim passe par là, je l’arrête pour lui demander :
- C’est qui cette Elya en fait ?
- C’est la petite fille de Lisa par son père, Doumé. De l’autre côté de son arbre, c’est la famille Russell, comme le nom de l’école. Mais Elya, c’est surtout le Réseau C. Et sa copine, Valériane, c’est le réseau D. Elle la présente à son père, c’est le Réseau A. Mais ce n’est pas fini. Elle a parlé des Adam et Eve du même ventre. Son Adam, Ilyes, il est avec la Couronne, la Princesse Ségolène.
- C’est tout ?
- Non, en fait, le plus important pour toi, c’est la marraine d’Elya. Tu la connais. Sœur Nathalie. Elle a initié Elya à l’Invisible. À un niveau tel qu’elle vient de découvrir sa Foi. D’où sa présence au pupitre.
- Oui, bien-sûr, je me rappelle de ce baptême, la fille de Lisa et son bébé. Le temps passe vite. Comment tu sais tout ça sur l’Invisible ?
- Avec Yalta on nous a affecté à un nouveau service. On doit venir t’interroger.
- Je peux vous faire un résumé en un ou deux ans ?
- Oui, on a vu l’ampleur de la chose. Mais on se concentre seulement à ce qui se passe en surface. C’est dans la stratégie de l’agence. Quand on en aura fini avec les réseaux, il restera toujours l’Invisible à gérer.
- C’est toute l’histoire de ma vie.
(Alice)
Je n’aurais pas dû m’emporter. Ce n’est pas digne. Elle a de la répartie. Elle sait bien s’entourer pour être efficace. Mais elle n’est pas une menace. C’est moi la menace. Je l’ai menacée. Je reprends une gorgée de moelleux sur ma terrasse face à la mer. À chaque problème à résoudre, je viens ici chercher des réponses.
Ding dong.
C’est la porte d’entrée, ça faisait une éternité que je n’avais pas eu de visite imprévue. Aucune alarme sur mon monolithe. Je le laisse sur la table avec mon verre et je vais voir qui c’est, pieds nus en robe légère, interrompue dans ma méditation. J’ouvre, c’est elle. Elya. Seule. Avec une bouteille de bulles à la main. Je souris et je ris. Je lui fais la bise :
- Je suis désolée Elya. J’ai dit n’importe quoi. J’ai compris que maintenant je n’étais plus seule à diriger les choses. Merci pour tout ce que tu fais.
- Et je n’aurais pas dû mal te parler. Quoi que, ça a fait son effet.
On s’installe confortablement sur le canapé du salon. Elle ouvre sa bouteille et nous sert, on trinque :
- À l’avenir.
- Au destin.
- À vous.
- À nous.
Elle regarde mes jambes, elle regarde mes lèvres. J’ouvre la bouche et j’écarte les cuisses. Elle rougit de désir. Je sens mon cœur accélérer.
- Ça a l’air puissant tes bulles.
Je regarde l’étiquette et je ris.
- Philtre de paix. C’est bien trouvé. Il fallait au moins ça.
Je lui tend la main, elle la prend. Je précise :
- Je ne suis pas connectée à l’Invisible. Juste à mon âme.
- Tu n’est plus seule, tu as beaucoup d’Aline en toi, l’Invisible va finir par s’installer aussi.
Je lui presse la main, je la tire vers moi et je l’embrasse sur la bouche. On fait la paix.
Elya
Elle me presse la main, elle me tire vers elle et elle m’embrasse sur la bouche. Nous ne sommes plus en froid, plutôt en chaud. Elle veut me montrer quelque chose en elle. Je lui prends son autre main. Son regard change, sa bouche s’ouvre. Je sens cogner ses pulsassions cardiaques. Je vois son Victor, l’homme de sa vie, leur rencontre sur le tarmac de la base aérienne, son entraînement, son vol de qualification, sa mission sur Terre à Stockholm, son retour à la tête des services secrets, son poste au conseil de sécurité et toujours Victor dans sa vie, elle doit le partager avec Victoria. Puis longtemps après on arrive, elle rencontre Aline, elles deviennent très proches, elle tombe enceinte, une fille et un garçon en même temps Carla et Adrien. Adrien… il n’y a rien d’Alice en lui. Carla… il n’y a rien de Victor en elle. En revanche, il y a de l’Aline. Je vois Aline se faire une injection, donner du lait, le partager avec Alice. Carla est leur fille, leur protégée, la maire de Laguna City. Je reviens à elle, je caresse son visage avec le dos de ma main, je la vois toute petite, délaissée par ses parents, un grand frère brutal, sa scolarité à Russell, ses copines, elle ne regarde que les filles, plus tard les garçons qui ne s’intéressent pas à elle, son diplôme, son premier poste de responsable dans une entreprise où son patron est arrêté et condamné pour activités illégales. Innocente, Aline doit quand même purger sa peine chez les agents où elle est tellement efficace qu’elle se fait une réputation à traquer les criminels mais elle refuse un poste permanent et se fait muter sur la base pour terminer son temps. C’est là qu’elle rencontre Victor. Je reviens à elle.
- Je viens de voir toute ta vie, Alice. Tes envies, tes regrets, tes succès, ta force, ton ambition, ta soif d’Amour.
- J’ai soif, Elya. Victor et Aline ne me suffisent plus.
Je me rapproche tout près de sa bouche ouverte.
- Alice, je peux peut-être quelque chose pour toi.
- Et ta Valériane ?
- Elle est mon officielle jusqu’à mon départ pour l’île C. Là-bas, Tiffany m’attend. En attendant je suis libre de butiner ici et là, en toute discrétion, ça restera entre…
Elle me saute dessus. Je lui commente ce que je ressens :
- Vas-y Alice, impose-moi ton pouvoir, marque ton territoire, je suis ta chose, je suis à toi. Domine moi. Je veux succomber sous tes assauts intimes. Mords-moi, griffe-moi, laisse une trace de son passage en moi. Te laisse pas faire par moi, montre-moi qui tu es, démontre-moi qui est la plus forte, la plus belle, la plus intense. Frappe moi.
Elle me giffle, elle me donne la fessée, elle me presse le cou, elle met sa main sur ma bouche et elle me frotte fort l’entre-cuisse. Quand je commence à perdre conscience de douleur et de plaisir, elle me retourne et plonge sa tête entre mes fesses, puis ses doigts qu’elle agite fort dans tous les sens. Je cris, je pleure, elle me retourne et elle me prend dans ses bras, elle me cajole, m’embrasse, je me blottis contre sa poitrine généreuse où je me sens en sécurité, apaisée, assouvie. Ma main descend en elle et je la caresse doucement. Je cherche ses lèvres pour l’embrasser. Elle s’allonge et je m’apprête à la goûter de bas en haut, avec douceur et tendresse, en soumise.
- Ma soumise.
Elle m’a entendue. On est connectées.
- Alice, je suis là, pour toi. Tu n’es plus toute seule. Tu peux compter sur moi. Au delà des épreuves. Au delà de la douleur. Au de là du plaisir. Au delà de l’Invisible, du Sexe et de l’Amour. Au delà de tout. C’est toi la cheffe. On compte sur toi aussi.
- Elya, d’accord mais j’ai déjà tant donné. J’aimerais aussi que les réseaux prennent le relais.
- Alice, d’accord, je ferai passer le message.
- Merci, je veux laisser la main.
- Oui, laisse ta main là où elle est.
- Comme ça ?
- Han !
Je me réveille au pays des merveilles. Je dois suivre le lapin blanc ? Non, je suis au bord de l’océan. Laguna Beach. Chez Alice. Elle est où ? Je me rhabille, je vais vers la salle de bain. Elle est là, elle se protège les cheveux avec une coiffe. Elle va passer sous la douche, elle se retourne et elle me voit, elle me demande :
- Tu as repris tes esprits ? Tu viens ?
Elle me tend la main. J’enlève mes vêtements et je la suis sous la pluie chaude de ses caresses. Elle me lave, elle m’essuie, elle me sèche et elle me coiffe avant de me rhabiller avec d’autres vêtements, les siens, ils sont trop grands, elle rit, elle m’embrasse. Je ferme les yeux, je me sens comme dans un cocon d’Amour tout doux. Quand je les rouvre je nous vois dans le miroir. Elle m’enlace et elle pose sa joue contre la mienne. Il y a tant d’Amour dans son regard ! Elle me murmure à l’oreille :
- Tu es beaucoup trop jeune pour moi. Tu as quel âge ?
Je lui souffle comme un secret :
- Je viens d’avoir quinze ans.
- Mon Dieu que tu es belle déjà. Il te reste une dizaine d’année à grandir. J’arrive trop tôt. À ton âge j’étais loin de diriger tout un peuple vers une nouvelle civilisation. À ton âge tu m’aurais beaucoup plus. Mais je suis heureuse de t’avoir enfin rencontrée. J’aimerais qu’on se voit, souvent. J’aimerais te voir grandir.
- Alice, je t’offre tout mon temps libre des prochaines années.
- On va bien s’amuser ma belle.
- J’en suis sûre, maîtresse.
Elle sourit, elle ferme les yeux, elle plonge son visage sans mon cou, elle me sent, elle me mémorise pour ne jamais oublier ce moment, notre moment à nous.
J’ajuste mes vêtements en rentrant. Je passe par ma chambre pour me changer. J’accroche précieusement les habits d’Alice dans ma penderie. Je les caresse avant de refermer la porte. Je m’inspecte dans le miroir avant de me lancer dans le couloir, moi la gentille petite fille qui va souper en famille. Maman nous annonce :
- Vos compagnes sont les bienvenues aussi, si elles veulent bien.
J’entre à nouveau dans mon rôle de petite peste capricieuse à double sens :
- Toutes ? Tu assez de chaises ? Où sont les rallonges pour la table ?
Et revoilà le regard outré, étonné et méfiant de maman.
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