Chapitre 8
contact@VIDEOCLASSROOM.com — vendredi 12 août.
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Mail de merde.
Tout ça, c’est que de la merde.
Je jette mon portable et me lève. Péniblement. Tout m’est pénible. Ma santé, ce mail, ma respiration, faire corps avec la réalité ou encore aller aux toilettes. Même si les traces sur le canapé-lit et les remugles de mes oublis rappellent qu’il est trop tard pour ça.
J’ai mal au dos. Mettons ça sur le fait d’avoir été penché pour cette expérience pitoyable. Le mal de tête, son origine est à mes pieds. J’évite d’ailleurs de rouler dessus. Une bouteille de blanc. Vidée, bien sûr. Une de plus. Il y a quelques mois, c’était pour t’oublier, Irène. Là, c’est… parce que j’ai tout oublié. Y compris le sens des réalités. Je ne me souviens plus vraiment ce que j’ai fait cette nuit. À moins qu’il fît jour. Ça aussi c’est flou : ça fait des semaines que je n’ouvre plus les volets. Je me rappelle, avoir repris un verre puis deux. Parce que je n’avais plus que ça à faire, faute d’idée, faute de cobayes, faute de tout. Tout comme par dépit ou par ennui, mais peut-être aussi parce qu’il était l’heure des bilans, j’ai repiqué une tête dans l’océan d’absurdités et de lieux communs que constituaient les commentaires de mes vidéos. J’étais pourtant usé par mes recherches et savais que ces zéros sociaux allaient finir d’éroder mes rares éclats de vitalité qui subsistaient. Mais c’était plus fort que moi.
Alors, tout en respectant le rituel consacré — apprécier la couleur de la robe et les parfums qui se libéraient de mon verre — je me souviens m’être affalé sur le canapé-lit du salon pour mieux me délecter du cépage sacré. Bercé par la douceur traitre de cette cuvée 2017, je me repassais les messages qui suivaient mes vidéos, amusé de l’idiotie et la puérilité générale qui s’en dégageaient. Ces remarques finissaient par me faire rire. J’allais jusqu’à m’y intéresser, me documentant sur les quelques mots de jargon qui revenaient cycliquement. À la fin de la bouteille — la deuxième-, je lisais moins vite. Mon œil sautait des lignes et mon pouce « scrollait » par inadvertance d’un passage à un autre. Leurs propos défilaient, m’égayaient. Je buvais leurs paroles autant que le Condrieu, j’absorbai leurs vaporeuses critiques. Au point même d’avoir adhéré à l’une d’elles, par pure dérision. Juste pour aller jusqu’au bout de l’absurde.
Ça fait 43 jours aujourd’hui. 43 jours sans aucune avancée dans mes recherches. 43 jours de silence, où plus rien n’a de sens. Je coche la case sur le calendrier et quitte les toilettes. Le bruit de la chasse résonne jusque dans mon crâne… Allez, un cachet et une douche. Et au plus vite !
Dans le couloir, je passe devant le salon et son fatras de feuilles posées au sol, scotchées aux murs, noircies de formules mathématiques stériles. Même le bassin de 800 litres vidé de ses carnassiers morfals – sujets, eux aussi, d’expériences — est recouvert de post-its, de notes en tout genre. Je m’arrête à l’entrée de la salle de bain, face à l’aquarium où miroirs de beauté et coffres à bijoux restent pour seuls et uniques survivants de ce bac.
La petite armoire murale, toujours sans pitié, me renvoie ma propre image. L’absurde m’aura marqué pour ces prochains jours à y voir l’entaille au beau milieu de mon front. Elle me rappelle à mes mauvais souvenirs, ceux de ma nuit d’ivresse. Quand je suis allé dans la chambre, décidé à appliquer la suggestion débile d’un internaute. Mettre le portail dans l’autre sens pour voir ressurgir les poissons était, de loin, la proposition la plus stupide de toutes. Je pivotai ainsi le torii puis attendis quelques minutes. L’absence totale de résultat aidé des effets de l’alcool me fit éclater de rire. Après quelques noms d’oiseau destiné à l’auteur de cette farce, par un dernier regain d’énergie, je suis reparti pour m’éteindre en direction du salon. Là, j’ai trébuché sur une des bouteilles vides, m’ouvrant le crâne sur le bord du canapé-lit. Je m’y suis écroulé.
Fin de l’histoire.
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