Chapitre 11

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24/08/2022 Sophie Reynault@free.fr Objet : Signature du contrat avec les Alizés

Papa, je prends l’avion dans 3 jours.

Suite de ce que l’on s’est dit avant-hier par téléphone, tu trouveras ci-joint le contrat avec cet établissement. Tu as vu la plaquette. La maison est sérieuse, loin des « réserves à vieux » comme tu te plais à le dire.

Je te laisse me renvoyer le fichier avec ta signature électronique (il faut jute que tu appuies sur accepter à plusieurs endroits du document).

On s’appelle avant mon départ de l’aéroport.

Je t’aime, mon papounet.

Soso

Allez… ACCEPTER. ENVOYER.

Ça, c’est fait.

Dernier coup d’œil au salon pour les futurs acquéreurs qui apprécieront sans doute la belle couleur miel du parquet. Mon rangement a triomphé du chaos de chiffres, de relevés, de calculs qui recouvraient toutes les surfaces de cette pièce. J’ai quand même abusé en négligeant autant l’appartement. Mais il me fallait étudier ce phénomène après avoir compris que ces disparitions n’étaient pas le produit de mon imagination. Et puis je me l’étais juré. Et je te l’avais promis, Irène.

Restent ces terminaisons mathématiques qui parasitent aujourd’hui la blancheur des murs. Mais ces écritures s’effaceront, après un coup de peinture, semaine prochaine. Et moi, bien avant, je l’espère.

La salle de bain est également propre et bien rangée. Les fragrances citronnées de la poudre à récurer se mélangent aux ammoniacs prégnants de la chambre. J’ajuste le col de ma chemise, repassée hier. Je profite une dernière fois du miroir de la petite armoire murale. Je suis prêt.

Le trousseau de clefs en main, j’ouvre la porte avec précaution. Je pénètre dans la pièce à pas feutrés en mesurant chacun de mes mouvements. Les particules en suspens sont toujours là, par centaines, flottant dans l’air. Elles dégagent la même fragrance entêtante qui a fini par envahir l’espace. En surface du bassin au torii, les minuscules coquilles, réceptacles de ces pollens aériens, surnagent encore à fleur d’eau.

Je les avais découverts juste après le départ de Sophie et Jules. J’étais alors entré à nouveau dans la chambre. J’avais laissé la fenêtre grande ouverte ; la fraîcheur s’était installée dans la pièce, chassant l’odeur épouvantable qui y siégeait. À ce moment-là, le phénomène changea sous mes yeux : la surface de l’eau de l’aquarium était désormais entièrement tapissée de graines quand l’une d’elles éclot devant moi. Une sorte de petit pollen s’en échappa. La particule, évoluant au gré des courants d’air, s’envola par la fenêtre. Je refermai celle-ci sur le champ puis repris mes observations sans avoir à attendre longtemps. Une nouvelle éclosion survint. La poussière stagna dans la pièce, comme en apesanteur, devant le bassin. Les minutes qui suivirent, deux coquilles supplémentaires s’ouvrirent et lâchèrent leurs particules qui vinrent se positionner à d’autres endroits de la chambre tout en restant en suspens dans l’air.

Toute la soirée, je m’assis sur le lit, aux premières loges de ces étranges floraisons qui se succédèrent. J’observais l’organisation spécifique qui se créait sous mes yeux. Tour à tour, les poussières organiques sortaient de leurs réceptacles pour se propager dans la pièce à différents points précis. Certaines se posaient au sol, d’autres au plafond et entre ces deux extrêmes, ces éléments microscopiques en suspension restaient statiques dans une zone qui semblait être la leur. Ces entités répondaient non pas à une localisation aléatoire, mais plutôt à une place définie en fonction de celles qu’occupaient leurs voisines.

Au beau milieu de la nuit, je me relevai pour reprendre une bouffée d’oxygène et un cachet pour les maux de tête — l’odeur d’ammoniac avait ressurgi en redoublant de force. En revenant de la salle de bain, je tentai de photographier cette organisation avec mon smartphone. À ma grande surprise, l’écran révélait davantage cette forme par un miroitement phosphorescent. À travers l’appareil, le réseau de particules était donc bien plus visible. Il s’étendait du sol au plafond et s’évasait suffisamment en son centre pour le traverser.

C’était comme une faille à peine perceptible, un passage secret qui venait de s’ouvrir.

Et n’est toujours pas refermé.

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