Chapitre 14 : VERS DE NOUVELLES RIVES (Vers 1523)

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Le navire vogua lentement à travers l’Atlantique, les vagues s’écrasant contre les côtés du vaisseau, mais le cœur de Nkulu, ou désormais Charles, battait plus fort à chaque mille nautique qui les éloignait du Nouveau Monde. Son maître, John Walford, était un homme de stature imposante, élégant dans ses vêtements bien coupés, et toujours avec ce regard plein de projets d’affaires. Mais pour Nkulu, ce voyage était aussi bien un départ qu’un voyage vers l'inconnu. Il laissait derrière lui l’Amérique, ses horizons de plantation, et surtout, Isabelle, la jeune fille avec qui il avait partagé des moments de tendresse secrète. Tout ça semblait si loin à présent, et le vide dans son cœur grandissait avec chaque jour qui passait.

Les premiers jours furent marqués par la brume légère et l'humidité de l'Atlantique, l'air salé se mélangeant à l’odeur des voiles et du bois du navire. Nkulu, bien que le maître d’esclaves dans la plantation, se retrouvait cette fois-ci à endosser un rôle plus discret, portant des vêtements d’un homme libre mais toujours marqué par sa couleur de peau. Un long manteau sombre, une chemise de lin blanc qui contrastait avec ses traits noirs, une écharpe de soie autour du cou. Mais malgré ces vêtements qui trahissaient un certain statut, son esprit restait celui d’un homme arraché à sa terre natale.

Les conversations entre lui et son maître étaient souvent simples mais importantes. John Walford lui parlait parfois de ses affaires, des territoires à conquérir, de l’Europe en général, de l’Angleterre qui semblait toujours avoir des affaires à régler. Mais Nkulu était plus pensif, ses yeux se perdaient dans l’horizon, vers l’ouest, vers un monde qu’il n’avait jamais vu mais qu’il allait maintenant découvrir. De temps en temps, il s’accoudait à la rambarde du bateau, les bras croisés sur le bois humide, et regardait la mer s’étendre à l’infini.

"Alors, Charles," disait John Walford, brisant parfois le silence qui s'était installé. "Tu te plaises dans ton nouveau rôle, n’est-ce pas ? Une chance, tu n’auras plus à travailler la terre comme avant. Ce voyage, c’est pour ton avenir, un avenir loin de ces plantations." Il souriait, pensant à la nouvelle vie que son esclave devenu presque son partenaire allait mener à ses côtés.

Nkulu répondait par un simple hochement de tête, même s’il savait que dans son esprit, les deux mondes s’entremêlaient : l’homme libre et l’homme esclave. Il avait désormais son nom de maître, "Charles", mais il savait d’où il venait, et ses souvenirs de Mbanza Kongo, de son village, de sa famille, restaient intacts. Il ne pouvait oublier Isabelle, son amour secret.

Les jours s'étiraient lentement, et les éléments n’étaient pas toujours en leur faveur. Parfois, des vagues de tempêtes balayaient le navire, mais il en fallait peu pour que les marins et les voyageurs s’habituent à la mer. Les marins se retrouvaient souvent à réparer les voiles ou à nourrir les animaux à bord. Le bruit des vagues battant contre la coque devenait un fond constant de leur voyage. En attendant l'arrivée sur les rives d’Angleterre, le temps semblait suspendu.

Les vêtements des marins et des voyageurs anglais, qu’ils aient été nobles ou de simples ouvriers, différaient grandement de ceux qu’il avait portés dans les plantations. Les hommes habillés de velours, de laine, de tissus plus riches, semblaient pleins de pouvoir et de grandeur. Et pourtant, tout autour de lui, les bruits de l'Angleterre naissante, de cette époque en pleine évolution, se faisaient entendre.

L'année était 1523. En Angleterre, Henri VIII régnait encore, un roi puissant dont le nom allait être lié aux bouleversements politiques et religieux de la période. C’était l’époque où le pays était en proie à des changements profonds, où la Réforme religieuse n’en était qu’à ses débuts. Les marins parlaient souvent de l’Église, des querelles entre catholiques et protestants, mais Nkulu n’en saisissait pas tous les détails. Ce qui comptait, c’était qu’il était sur le point de poser pied sur une nouvelle terre, loin de la chaleur de l’Amérique, loin de la mer chaude des Caraïbes.

Il leva les yeux, regardant la silhouette grandissante de l’Angleterre, et il se surprit à se demander si ce voyage serait réellement celui de sa libération.

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