Chapitre 18 : DE L’AUTRE CÔTÉ DU NOUVEAU MONDE - WILLIAM McGRAHAM
En 1522, le Royaume Kongo était déjà en proie à des turbulences profondes, dues en grande partie aux effets de la traite des esclaves qui avait commencé à éroder ses bases sociales et économiques. La prospérité du royaume, autrefois marquée par sa richesse culturelle et commerciale, était en déclin sous la pression croissante des Portugais et des autres Européens. Le roi du Kongo à cette époque était toujours Nzinga Mbemba, également connu sous le nom de Alfonso Ier après sa conversion au christianisme, un homme tiraillé entre sa foi catholique et ses obligations envers son propre peuple.
Les conversations parmi les nobles du Kongo tournaient principalement autour des traités commerciaux avec les Européens, qui incluaient l'envoi de « marchandises humaines » vers les Amériques. En échange, les Portugais promettaient des biens précieux, mais la réalité était bien différente. Beaucoup d'enfants, de femmes et d'hommes étaient pris dans des raids ou vendus pour être envoyés à travers l'Atlantique, arrachés à leur terre, à leur famille, à leur culture.
Les habitants du royaume, d'ordinaire vêtus de riches tissus colorés et d'accessoires en cuivre et en perles, commençaient à vivre dans la peur, préoccupés par la montée des guerres intestines et par la dureté de l'occupation portugaise. Les chefs de villages portaient des vêtements plus traditionnels, en peau d'animaux, avec des symboles représentant leur statut. Les femmes, quant à elles, portaient de magnifiques pagnes en soie, ornés de colliers de perles et de bracelets en métal. Mais tout cela semblait devenir de plus en plus insignifiant face à la menace grandissante de l'esclavage.
Dans le même temps, au Nouveau Monde, Isabelle Walford se trouvait dans un tourment profond, bien loin de son bien-aimé, Charles, ou plutôt Nkulu. Elle attendait, patiemment, comme elle le faisait chaque jour, mais quelque chose dans son cœur se brisait doucement. Et s'il ne revenait plus ? se demandait-elle chaque soir, en regardant l'horizon. Bien sûr, elle savait que son père lui avait toujours dit qu'un homme d'affaires doit se rendre là où les opportunités l’appellent. Mais un malaise grandissait en elle à l'idée que son homme pourrait ne jamais revenir. Chaque bruit de pas qui se rapprochait de la porte la faisait espérer, mais ses espoirs s’éteignaient vite lorsqu'elle voyait un autre visage, ou un autre groupe de marchands revenir.
Les servantes noires de la maison, qui avaient appris l'anglais au fil des années, comprenaient bien les tourments d'Isabelle. Ces demoiselles, souvent des esclaves, avaient été formées non seulement à comprendre l’anglais, mais aussi à offrir réconfort et sagesse. "Sois calme, madame," lui disait souvent Amina, une des servantes les plus âgées, "le temps fera son œuvre. Reste positive, tout va se résoudre."
Isabelle, dans le secret de ses pensées, ne pouvait s’empêcher de se poser des questions : Pourquoi Charles n’était-il toujours pas revenu ? Elle espérait que son amour se portait bien, mais les rumeurs sur la cruauté de la mer et du voyage laissaient place à de l'inquiétude. Si seulement elle savait, si seulement elle pouvait entendre sa voix ou croiser son regard une fois encore. Mais les silences pesaient lourdement sur son âme.
La guerre entre le monde qu'elle connaissait et celui qu’elle n’avait pas encore vu semblait désormais plus grande qu’elle n’aurait pu l’imaginer.
Alors que William McGraham restait là, seul dans la grande pièce, un air de détermination sombre se peignait sur son visage. Le rejet d’Isabelle l’avait mis dans une rage incontrôlable. Il avait tout mis en œuvre pour se rapprocher d’elle, et chaque tentative échouée le remplissait de colère. Mais au lieu de céder à la frustration, il avait maintenant une idée bien plus perverse en tête. Pour lui, ce "noir" était le seul obstacle qui se dressait entre lui et ce qu'il considérait comme un droit. Une fois de plus, l'orgueil et la supériorité de William, profondément ancrés dans sa vision du monde, le poussaient à considérer les autres comme inférieurs, peu importe leur humanité ou leurs sentiments.
Pendant ce temps, Isabelle, toujours aussi résolue à protéger son amour et sa dignité, était loin de se laisser intimider. Elle savait que William ne représentait rien d'autre qu'une menace momentanée, mais elle ne se doutait pas à quel point sa rancune pouvait devenir dangereuse. Le dégoût qu'elle ressentait pour cet homme grandissait à chaque parole, mais ce qui la troublait profondément était la colère croissante de celui qui cherchait à tout prix à la séduire par la force.
Dans les jours qui suivirent, Isabelle retourna à ses tâches habituelles, supervisant les affaires familiales et s'occupant de la gestion des biens en l'absence de son père. Mais une inquiétude persistante la rongeait. Elle se demandait constamment si son homme, Charles, reviendrait sain et sauf du voyage en Angleterre. Ses pensées se tournaient vers lui à chaque moment de solitude. Et si l’attente devenait interminable ? Et si, un jour, il ne revenait jamais ?
Dans sa chambre, Isabelle s'assit près de la fenêtre, observant les cieux tout en murmurant le nom de Charles. L'angoisse de l'inconnu lui serrait le cœur. Mais, pour l'instant, elle n'avait que des souvenirs et des rêves partagés, des souvenirs de nuits volées, des discussions secrètes, des regards discrets échangés.
Elle se leva et se dirigea vers le coin où ses servantes noires se tenaient. Celles-ci, plus que quiconque, comprenaient le poids de son amour et les sacrifices qu’il demandait. Marie, l'une des plus anciennes servantes, lui sourit et la rassura, comme elle l’avait toujours fait :
"Soyez calme, mademoiselle, l'amour vrai ne meurt jamais. Il reviendra, il reviendra pour vous."
Les autres servantes, malgré leur statut d’esclaves, avaient appris à lire les signes de la vie et de l’amour avec des yeux plus sages que ceux des gens de la haute société. Elles savaient que l’amour de Charles, aussi interdit et complexe qu’il fût, était véritable et indestructible.
Mais la menace de William McGraham planait toujours sur eux. Une situation potentiellement explosive était en train de se tisser dans l'ombre. Alors qu'Isabelle continuait à gérer la maison, sa lutte interne se transformait peu à peu en une bataille plus grande, une bataille pour l'amour et pour la survie.
Les jours passèrent, et William ne cessait de comploter. Il n’était pas du genre à accepter une défaite, et cette "humiliation" de se voir repoussé par une jeune femme lui donnait une nouvelle raison de nourrir son désir de vengeance. Mais dans cette dynamique dangereuse, un événement allait marquer un tournant : un choix allait être fait, un acte allait être commis. Et cette situation allait précipiter Isabelle et Charles dans une spirale de conflits, de choix difficiles, et de sacrifices...
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