Chapitre 2

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Il n’y avait aucun bruit dans la chambre, hormis les légers ronflements de Véra. Pourtant, j’entendais des coups des feux. Ceux qui ont retenti lors de mon enlèvement et lors du sauvetage. Ces coups de feu qui m’empêchait de dormir depuis que j’étais rentrée. Pour ne pas réveiller Véra à cause de mes tremblements, je sortis de la chambre. Plaid sur le dos, je m’installais sur le canapé.


— Mademoiselle Élia ?


Je levais la tête et reconnu Liva, malgré l’obscurité. Elle me servit un verre d’eau et s’essaya à côté de moi.


— Vous voulez me parler ?

— Tu pourras reprendre rendez-vous avec le psychologue du palais ?

— Je croyais que vous alliez mieux.

— C’est plus compliqué que je le pensais. Je n’arrive pas à dormir.

— Qu’est-ce qui vous en empêche ?


Je relevais mes jambes sur le canapé et resserrais le plaid autour de mes épaules. Liva se rapprocha pour me réconforter.


— Je vais le prévenir pour qu’il vienne à la première heure. Essayez de vous reposer un peu en attendant.

— Merci Liva.


Je la regardais s’éloigner et restais quelques minutes de plus sur le canapé, le temps de retrouver mes esprits, avant d’aller me coucher. Sans faire de bruit, je m’allongeais à nouveau. Véra se retourna au moment où je me glissais sous la couverture et son bras se posa sur mon ventre. Afin d’essayer de m’endormir, je me rapprochais de ma fiancée. Sa respiration sur mes cheveux, son rythme cardiaque régulier me permit de me sentir un peu plus en confiance. Dans ses bras, j’arrivais à me sentir en sécurité, même si ce n’était que temporaire.

Comme chaque matin, j’étais la première réveillée. Je me préparais avant d’en faire de même avec Lianna. Véra sortit de la chambre au début du petit déjeuner. Elle embrassa sa fille puis moi, avant de s’asseoir avec nous. Rapidement, Liva emmena la petite à l’école, Véra partit travailler dans son bureau et le psychologue me retrouva.


— Dites-moi tout.

— À vrai dire, je ne me sens pas en sécurité.

— Vous êtes pourtant toujours accompagnée d’un garde.

— Ils étaient beaucoup plus nombreux et ils ont tous de même réussi à nous enlever.

— A quand remonte votre dernière sortie ?

— Je n’y arrive pas. Même dans les jardins du palais, je n’y arrive pas.

— Même avec Lianna ?

— Surtout avec elle. Je fais déjà un effort surhumain en la laissant à l’école. Et pour elle aussi. Elle est discrète, mais je sens qu’elle a peur d’y aller. Ou alors, c’est moi qui lui transmets ma peur.

— Avez-vous essayé de parler avec elle ce de qu’il s’est passé ?

— Je ne sais comment m’y prendre.

— Voulez-vous que je revienne en fin d’après-midi, pour discuter avec vous deux ?

— Je veux bien. Et tant que vous êtes là, vous ne pouvez pas me prescrire quelque chose pour dormir ?

— Seul un psychiatre peut prescrire un médicament et je ne le suis pas. Demandez plutôt à votre médecin.

— Merci.


Le psychologue avait raison. Pour aller mieux, je devais en parler. Et la seule personne capable de faire taire ce sentiment d’insécurité, c’était Véra. Mais en même temps, je savais comment elle allait réagir et ce qu’elle allait mettre en place. Finalement, c’était peut-être ce dont j’avais besoin. Je pris mon courage à deux mains et montais dans le bureau de ma fiancée. Elle et Rosalie travaillaient silencieusement à leur propre bureau. Véra leva la tête en m’entendant entrer et me sourit.


— Je peux te parler un instant ? la questionnais-je en jouant avec mes doigts.

— Bien sûr. Il y a un problème ?

— En quelque sorte.

— J’arrive.


Elle posa son stylo et attrapa son gilet en me rejoignant. Je la suivis jusqu’à mon studio et on s’installa sur le tapis de jeu de Lianna.


— Je t’écoute. Qu’est-ce qui ne va pas ?

— Et bien… je… j’ai peur, Véra. La nuit, j’entends des coups de feu, j’entends Lianna pleurer alors qu’elle dort dans sa chambre. Je n’arrive pas à sortir du palais parce que j’ai peur que ça recommence. Je… je ne me sens pas en sécurité.

— Tu voudrais que je renforce ta sécurité ? Je peux recruter d’autres gardes.

— Je ne sais pas ce que je veux. Je suis perdue.

— Tu veux que je prenne la décision à ta place ?

— S’il te plaît.

— Où est-ce que tu te sens le plus en sécurité ?

— Quand je suis avec toi, même sans garde.

— Reste avec moi alors. Au moins jusqu’à ce que ta peur se calme.

— Et après ? Il faudra bien que je retourne au Conservatoire un jour.

— On avisera à ce moment-là. Ne te mets pas la pression, mon amour. Je serais à tes côtés aussi longtemps qu’il le faudra.

— Merci.


Elle me serra dans ses bras pendant plusieurs longues minutes. Comme chaque nuit, sa respiration, les battements de son cœur et la chaleur de son corps contre le mien me permettaient de garder les pieds sur terre. De me rappeler que c’était fini, que j’étais en sécurité. Je la savais prête à tout faire pour me protéger, elle me l’avait prouvé. Elle me proposa ensuite de remonter ensemble dans son bureau. Elle avait tout compris. Après ma confession, je ne voulais pas rester seule. Mes doigts entremêlés avec ceux de ma fiancée, elle m’accompagna pour que je puisse récupérer de quoi m’occuper, avant de nous installer dans son bureau. Rosalie m’aida à m’installer dans le coin de repas. Mi-assise, mi-allongé sur le canapé, musique dans les oreilles, je me concentrais sur mon livre et non sur mes pensées et émotions parasites. Je réussis à oublier, à plonger dans le monde fantastique de mon roman pendant plusieurs heures. C’est Véra qui brisa mon enchantement en posant délicatement sa main sur mon épaule. Je retirais mes écouteurs, me redressais et elle s’assit à la place de mes jambes.


— La directrice de Lianna a appelée. Elle est la maîtresse qui aimerait nous parler. À toutes les deux.

— Elles s’inquiètent pour Lianna, je suppose.

— Je pense aussi. Déjà qu’avant votre enlèvement, elle n’était pas très à l’aise à l’école, mais maintenant… elle ne parle plus du tout, chérie. Ça m’inquiète aussi.

— Il n’y aurait pas moyen de les rencontrer ici, au palais ?

— Élia, soupira Véra. Je te parle de Lianna, là !

— Je sais ce qu’elle traverse ! J’étais là-bas moi aussi, avec elle. C’est moi qui l’ai rassurée pendant une semaine, moi qui étais prête à tout pour qu’il ne lui arrive rien. Tu n’as pas le droit de me reprocher de ne pas me préoccuper d’elle. J’ai peur, Véra, elle a peur. Quand ses parents sont morts, elle a arrêté de parler. Laisse-lui du temps, le temps de nous refaire confiance.

— Je sais que vous n’allez pas bien, l’une comme l’autre, mais…

— Je vais faire un effort. Je vais venir à ce rendez-vous pour leur expliquer pourquoi Lianna réagit comme ça. Mais je veux être accompagnée. Pas juste par Sacha et un garde de plus. Je veux pouvoir me sentir en sécurité.

— Je vais organiser ça. Merci mon ange.


Mon cœur s’emballait dans ma poitrine, mes mains devenaient moites, mais je devais le lui cacher. Elle se serait à nouveau énervée en comprenant que je paniquais pour une simple sortie. Avant qu’elle ne le remarque, je rangeais mes affaires et sortis du bureau. Je devais me préparer. C’était ma première sortie depuis mon retour. Les caméras risquaient d’être braquées sur moi. Je devais faire bonne figure. Moins d’une heure plus tard, nous étions dans la voiture. Ma main dans la sienne, je tentais d’ignorer le signal d’alarme qui raisonnait dans ma tête. Cette alarme qui me disait de rentrer au palais. Que dehors, tout pouvait arriver. Un accident de voiture, des tirs, une barricade qui nous bloquerait l’accès. Mon cerveau avait complètement mis de côté la présence de Véra. Le fait que personne, ou presque, n’oserait s’en prendre à elle. Ou du moins, que les chances étaient infimes.

Ce fut seulement quand la voiture s’immobilisa devant la grille de l’école de ma fille que mon cœur ralentit et que je pus enfin respirer normalement. Sans perdre une seconde, je me dépêchais d’entrer dans la cour puis dans le bâtiment où je me sentais plus en sécurité.


— Mademoiselle Aubelin, Votre Majesté, nous accueillit la directrice. Merci d’être venues.

— Le bien-être de Lianna est primordial.

— Votre fille et sa maîtresse vous attendent dans mon bureau. Si vous voulez bien me suivre.


J’observais ma fiancée et avance quand elle fit le premier pas. Dès que Lianna nous reconnut, elle se jeta dans mes bras et cacha son visage dans mon cou. Elle utilisait la technique de l’autruche pour de protéger. Elle se cachait.


— Je vous en prie, asseyez-vous.


Les bras de Lianna autour du cou, je déplaçais ses jambes pour m’asseoir et les plaçais de chaque côté de mes hanches.


— Merci d’être venues, commença la maîtresse. Lianna est une jeune fille sensible alors j’ai préféré vous parler, intervenir avant qu’il ne soit trop tard et que son mutisme ne devienne irréversible.

— Ce ne sera pas le cas, Madame, repris-je. Quand je l’ai rencontré, elle venait de perdre ses parents dans un incendie. Elle était couverte de suie et de poussière. Elle n’avait pas mangé ni parlé depuis son arrivée à l’orphelinat. Elle refusait que quiconque l’approche, jusqu’à ce que j’arrive. Laissez-lui simplement le temps de se remettre de ses émotions, de son traumatisme.


Pas loin du bureau, une porte claqua. Je sursautais et Lianna se mit à trembler, serrant d’autant plus ses bras autour de mon cou.


— Pour vous aussi c’est compliqué, n’est-ce pas ? N’avez-vous pas l’impression que vos propres traumatismes nourrissent ceux de votre fille ?

— Je ne peux vous affirmer le contraire, madame. Mais je sais ce qu’elle traverse parce que je le vis aussi. Vous êtes entourés d’enfants. À votre avis, comment réagiraient ses camarades s’ils voyaient leur mère ligotée, frappée et si on leur braquait une arme sur la tempe ?

— Pourquoi ne pas garder Lianna auprès de vous jusqu’à ce qu’elle aille mieux ?

— Ça pourrait être une solution, intervint Véra. De vous retrouver toutes les deux, de guérir ensemble.

— Elle prendrait du retard sur son apprentissage, ajoutais-je.

— Elle en prend déjà en restant muette. Vous êtes celle qui la comprend le mieux. Vous pouvez l’aider, nous non.

— Nous la garderons avec nous, répondit Véra à ma place. Au moins le temps que ça se tasse et si possible, jusqu’à ce qu’elle accepte de nous parler à nouveau.

— Merci d’avoir accepté de nous écouter.

— C’est normal. Lianna compte beaucoup pour nous et surtout pour Élia, termina Véra.


De retour au palais, je ramenais Lianna dans sa chambre. Elle s’assit sur son lit, les genoux croisés et me regarda.


— Tu veux que je reste avec toi, p’tit chat ?


Elle secoua la tête et je m’assis à côté d’elle. Elle se glissa sur mes genoux pour que je la prenne dans mes bras. Sa tête contre ma poitrine, je la berçais en lui chantant la berceuse de ma sœur. À la fin de celle-ci, je l’entendis renifler. Mais elle retenait ses larmes.


— Tu as le droit de pleurer, mon bébé.


Elle refusa de la tête, elle ne voulait pas se laisser aller. Mais elle n’avait que trois ans, elle ne pouvait pas retenir ses émotions. Elle ne pouvait pas faire comme moi. Pendant une bonne vingtaine de minutes, je lui parlais de ce que je ressentais. Elle m’écoutait attentivement et sécha mes larmes quand ils coulèrent, les siens arrivant peu après. Depuis l’antichambre, Liva avait dû nous entendre pleurer, car elle entra doucement dans la chambre. Je lui souris pour la rassurer. Quelques minutes plus tard, les larmes de ma fille finirent par se calmer.


— Tu veux aller faire des gâteaux avec moi en cuisine ?


Un grand sourire apparut sur ses lèvres. Elle descendit de mes genoux et attrapa ma main pour que je l’accompagne. Une fois en cuisine, c’est Sandra qui me sourit. Les cookies étant les gâteaux préférés de Lianna, je sortis tous les ingrédients nécessaires à leur fabrication. L’odeur des cookies en cuisson attira bon nombre de passants. Heureusement, nous en avions fait en assez grande quantité. Véra et Rosalie se joignirent même à nous. Couverte de farine, Lianna grimpa dans les bras de sa mère avant que je ne puisse la retenir. Véra gouta un cookie et donna ce qu’il restait à sa fille.


— Le contrat de mariage final m’a été remis, annonce Véra. Tu pourras passer au bureau pour le lire et le vérifier ?

— Bien sûr. Je t’apporterais ma liste d’invités au passage.

— Merci mon ange.


Elle glissa plusieurs cookies dans une boite, sous le regard attentif de Lianna. Après le départ des filles, je nettoyais la cuisine, tandis que ma fille me regardait sans aider, fière d’elle. De retour dans nos quartiers, Lianna partie jouer dans sa chambre. Ayant deux heures avant l’arrivée du psychologue, je pus commencer à rédiger ma liste de mariage. J’inscrivis donc le nom de ma famille, si petite soit-elle et surtout ceux de mes amis, de Jordan à l’ensemble de mon groupe de danse, en passant par mes collègues de l’Opéra-théâtre. Une fois prête, je m’assurais que Liva gardait un œil sur Lianna et retrouva ma fiancée dans son bureau. En échange de ma liste, elle me donna une copie du contrat de mariage. Je m’assis en face d’elle pour en prendre connaissance.

À notre mariage, j’obtiendrais le titre de Reine Consort, sans pouvoir politique, comme je l’avais demandé. Tous mes enfants biologiques seront automatiquement reconnus comme Prince ou Princesse. Mon premier enfant sera l’héritier de Véra. En attendant, Lianna occupait cette place, par prévention. Le palais deviendrait définitivement mon domicile. S’il devait arriver quelque chose à Véra avant les dix-huit ans de Lianna ou de l’héritier, je devrais assurer la régence avec l’un de mes membres de sa famille. Sauf si la succession avait été au préalable prévue par Véra. J’hériterais d’une part équivalente à tous nos enfants, de sa fortune en personne. En cas de problème, j’étais protégée et ma famille aussi. Dans le cas contraire, Véra s’occuperait de nos enfants, mais aussi des besoins de ma mère ou de ma sœur. S’il devait m’arriver un malheur, toute ma famille serait à l’abri du besoin.


— Est-ce que tout te convient ? me questionna Véra.

— Tu as déjà prévu le pire.

— C’est la base d’un contrat de mariage. Il faut tout prévoir pour éviter les risques. Et je me devais de te protéger, quoi qu’il arrive.

— Ça me convient.

— Je vais en faire plusieurs copies qu’on signera lors de la cérémonie. As-tu des questions ?

— Je te questionnerais bien sur l’organisation, mais je sais que tu ne veux pas que je m’en occupe.

— Si ça peut te rassurer, ça se passe plutôt bien pour le moment.

— J’ai juste à te faire confiance, de toute façon.

— Exactement. Surtout, ne t’inquiète pas pour ça.


Comme depuis le début de notre relation, Véra était prévenante et prévoyante. Elle était suffisamment organisée pour que tous ce passe bien. Je lui redonnais ma copie de mariage et la laissais travailler. Une heure après mon retour dans l’antichambre, le psychologue fit son entrée. Pour plus d’intimité, on s’installa dans la chambre de Lianna.


— Comment s’est passée votre journée ?

— Je suis sortie. La maîtresse de Lianna et sa directrice voulaient nous parler.

— C’est un grand pas en avant. Comment vous êtes-vous sentis ?

— J’ai plusieurs fois voulu faire demi-tour, prise de panique. Mais Véra était là et elle ne m’aurait pas laissé faire alors je n’ai rien dit.

— Vous êtes-vous senti en sécurité ?

— Non. J’avais comme une alarme en tête.

— Le Principal, c’est que vous ayez réussi. Le ressentez-vous comme une victoire ?

— Pas vraiment. Je me suis surtout laissée emportée par ma peur.

— Ça viendra avec le temps.


Il continua avec Lianna. Même si elle ne lui parlait pas, elle lui répondait tout de même et l’écoutait attentivement. Elle était bien plus impliquée que moi. Pour elle, ce n’était qu’un jeu. Un monsieur lui posait des questions et elle répondait. Au moins, le psychologue était satisfait des résultats obtenus avec ma fille.

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