Chapitre 5
Au matin, je fus surprise d’apprendre qu’Iléna m’accompagnait au Conservatoire. Ce n’est que dans la voiture qu’elle m’expliqua. Son premier titre ayant très bien marché, elle cherchait désormais à monter son équipe de danseur.
— Élia, est que tu voudrais bien être ma danseuse principale et ma chorégraphe ?
— Evidemment, Léna ! Mais je veux rester au Conservatoire. J’ai encore beaucoup à apprendre.
— Il n’y a pas de soucis. De toute façon, mon équipe et mon studio musical sont basés à Glenharm. Je ferais souvent les aller-retour entre ici et la maison. Et comme ça, je te verrais souvent.
— Merci d’avoir pensé à moi, Léna.
— Les grandes sœurs sont là pour ça.
Arrivée au Conservatoire, j’entrais en avance tandis qu’elle discutait avec son manageur. Je rejoignis mon groupe et commençais à m’échauffer.
— Bonjour à tous, nous interpella le Professeur Lane. Ce matin sera différent. Vous devez surement connaître Iléna, la nouvelle chanteuse qui vient de faire ses débuts. Elle souhaite dés à pressent constituer son équipe de danseurs officiels. C’est un choix qui vous est proposé, vous n’êtes pas obligé de participer. Si vous êtes sélectionné, vous quitterez le Conservatoire pour commencer votre carrière professionnelle.
Ma sœur et son manageur entrèrent. Iléna était heureuse et si sûre d’elle que ça se voyait sur son visage.
— Bonjour. Je vais vous faire écouter une première fois la musique, une nouvelle. Ensuite, ceux qui veulent tenter leur chance, je vous inviterais à improviser.
La musique qu’elle lança, je la connaissais par cœur. C’était l’une des plus osées de son répertoire, aussi bien dans les paroles que dans la chorégraphie. Seulement une dizaine de danseurs se levèrent, dont ma concurrente principale. Elle ne louperait une occasion en or, comme celle-ci, pour rien au monde.
— Bah alors, Élia ? Tu ne tentes pas ta chance ? Tu as peur de te faire ridiculiser ?
— Je sais seulement choisir mes combats avec soin, Judith, répliquais-je. Et ce combat n’est pas le mien.
— Tu comprends enfin où est ta place.
Elle fit voler ses cheveux et je levais les yeux au ciel. Ma sœur avait écouté notre échange, mais ne dit rien. Le Professeur Lane relança la musique et ma sœur tourna parmi les danseurs, cinq fois. J’avais le temps de me remémorer notre chorégraphie. Elle finit par choisir deux hommes et trois filles, dont Judith. La voilà condamnée à rester dans mon ombre. Elle avait cet air supérieur dans le regard, mais redescendrais vite en comprenant.
— Félicitation à vous. Maintenant, si vous me le permettez, j’aimerais que ma danseuse principale vous montre la chorégraphie. Vous évoluerez autour d’elle et moi.
— Vous dansez aussi ? la questionna Judith, subitement ensuite.
— Oui, Mademoiselle.
Ma sœur m’adressa un discret regard et je me levais. C’était désormais à moi de prendre mon air supérieur. De lui montrer qui était la meilleure.
— Judith, libère la piste.
— Comment oses-tu me parler sur ce ton ? Tu ne t’es même pas présentée.
— Tu penses vraiment être plus douée que moi ?
— Je ne le pense pas, Élia. Je le suis.
— Tu as dix minutes pour créer une chorée. Je te montrerais la mienne ensuite.
— Je vais t’en mettre plein les dents.
Ma sœur souriait tandis que je laissais Judith faire. Ma chorégraphie, c’était celle qui existait déjà. J’étais la chorégraphie de toutes les danses d’Iléna depuis que nous étions un duo. Dite quelques minutes plus tard, Judith était prête.
— Mademoiselle, intervint Iléna. Si votre version est mieux que l’original, je vous prends comme chorégraphe officielle.
— Je relève le défi.
Judith était douée, je ne pouvais le nier. Mais en tant que danseuse, pas en tant que Chorégraphe. Ses pas étaient brouillons, désordonnés et elle n’arrivait pas à combler les trous par de l’improvisation, ce qui était nécessaire avec seulement dix minutes de préparation.
— J’ai apprécié certains mouvements. Mais dans l’ensemble, ce n’est pas ce que je recherche.
— Je n’ai eu que dix minutes de préparation, se plaigne-t-elle.
— Ma petite sœur a créé l’originale en dix minutes et elle était bien plus jeune que vous. Veuillez libérer la place pour votre collègue.
Judith se retint d’intervenir tandis que je prenais possession de sa place. Lane relança la musique et je donnais tout. Au milieu de celle-ci, Iléna me rejoignit, mettant Judith à terre. Je venais de lui prouver que j’étais la meilleure.
— Vous avez compris où était votre place, mademoiselle. Ne vous avisez plus jamais de remettre en question les compétences de ma danseuse principale, la chorégraphe et ma petite sœur.
— Léna ! Je n’ai plus dix ans. Je peux me défendre seule, tu l’as vu toi-même.
— Je te défendrais toujours, p’tit moineaux. Je te veux à seize heures pile au palais pour l’entrainement.
— Non, déso. Je récupère Lianna à l’école à seize heures.
— Élia ! Tu as une armada de domestique pour ça.
— Lianna est MA fille. Je ferais au plus vite et en tenue.
— Merci. Les sélectionnée, on y va.
Dès leurs départs, les autres danseurs me questionnèrent sur Iléna et sur ce qu’il n’avait pas compris concernant notre relation professionnelle et familiale. On en profita pour faire une pause de cinq minutes.
— Élia, j’aimerais t’inscrire à un concours d’improvisation, la semaine prochaine. Ça te tente ?
— Je suis par tente.
— Super. Je t’en reparle plus tard.
À la fin de la pause, on reprit l’entrainement. J’avais beaucoup de retard dans l’apprentissage des chorégraphies. Petit à petit, je retrouvais ma place dans le groupe, mais aussi avec mon partenaire. L’après-midi, on fit des exercices d’improvisation, en prévision du concours. En fin de journée, je me dépêchais de récupérer Lianna, qui la confia à Liva pour me préparer avec ma nouvelle robe de danse et rejoindre ma sœur et sa nouvelle équipe dans la salle de bal. Iléna n’était pas tendre avec ses danseurs, encore moins avec Judith. Même si celle-ci ne semblait pas satisfaire, elle n’avait pas remarqué que ma sœur la mettait en avant.
— Très bien, faisons une pause.
Tout le monde s’écroula, dos au miroir, pour engloutir leur bouteille d’eau.
— Comment ça se présente ? la questionnais-je.
— Élia, te voilà enfin. On avance bien.
— Ne les fatigue pas trop non plus. Je sais que tu peux être implacable quand u t’y met ?
— Tu me prends pour un tyran ?
— Tu es un tyran, Léna.
— Battle ! Choisis ton équipe.
— Tu es sur ? Je les connais mieux que toi.
— Je te laisse une chance de gagner.
— Judith ?
Celle-ci s’immobilisa, n’ayant pas compris. Selon elle, je me doutais que la choisir n’aurait pas dû être une évidemment pour moi.
— Tu es la meilleure. Si je veux battre ma sœur, j’ai besoin de toi.
— Merci, Élia.
Dès que nos équipes furent constituées, alors qu’on voulut lancer la musique, Véra et Lianna entrèrent, obligeant tout le monde à la saluer d’une révérence.
— Tu ne viens même plus me dire quand tu rentres ?
— Iléna m’attendait avec impatience.
— Lianna a envie de danser.
— On allez faire une battle. Vous pouvez venir regarder.
— Tu veux que je m’assoie par terre ? joua-t-elle.
Je soupirais, attrapais sa main et l’obligeais à s’asseoir, avant d’installer ma fille entre ses jambes.
— Ne faites pas votre Impératrice, Madame.
— Élia !
— Il faut savoir faire des sacrifices par amour.
Abandonnant ma fiancée, je retournais auprès de mon groupe et le manageur d’Iléna lança la musique avant de filmer. Ça allait faire de la bonne publicité à ma sœur, mais aussi à moi et aux autres danseurs. Par principe, je laissais son équipe commencer. Mais, tricheuse, comme elle était, elle avait fait mettre toutes ses musiques. Toute celle que je connaissais aussi par cœur. Sur les premières, l’équipe d’Iléna gagnait. Judith et moi devions tous donner pour reprendre l’avantage. Je l’attirais donc à l’écart.
— Il faut qu’on gagne. Donne tout ce que tu as. Je sais que tu peux gagner. Je sais que tu as peur que je te fasse de l’ombre et j’en suis navrée. Mais là, c’est ta chance de montrer à tous ton talent. Mets de côté la femme supérieure que tu as créée et fais tout plaisir.
— Merci, Élia. Je ne te décevrais pas.
Pendant le tour de Judith, je plaçais beaucoup d’espoir en elle. Elle le méritait. J’observais attentivement son passage. Morgane, en face d’elle, était tout aussi douée. Mais elle se fatigua trop vite, permettant à Judith de gagner la bataille.
— Bien jouer, lui lançais-je en prenant sa place.
En face de moi, ma sœur était prête à en découdre. Mais je l’étais aussi et j’avais déjà remporté une mort subite contre elle. Cette fois-ci, je gagnerais aussi cette battle.
— Prête, petite sœur ?
— Et toi ?
Elle sourit et la musique se lance. Elle avait à nouveau triché. Elle avait choisi la musique, une que je n’avais pas entendue depuis longtemps. Celle qu’elle avait écrite pour mes quatorze ans, alors que personne n’était venu à mon anniversaire. Je ne pus retenir mes larmes et elle le remarqua. Elle ne dansa pas, mais chanta, en me regardant dans les yeux. Quand nous dansions, l’une contre l’autre, nous ne pouvions vraiment gagner. Nous étions des âmes sœurs. L’une comme l’autre, nous ne pouvions vivre séparément. Elle avait écrit cette chanson pour me remonter le moral. Pour me montrer que je n’étais pas seule. Qu’elle serait toujours là pour moi, car elle m’aimait. Car je l’aimais. Au deuxième refrain, je chantais avec lui, laissant mes larmes couleur un peu plus. Je finis la chanson dans ses bras.
— Ce n’était pas gentil, ça, rigolais-je en essuyant mes larmes.
— Je t’aime, p’tit moineau. Pardonne-moi de te faire pleurer à cause de mes chansons.
— Tu les as toutes écrites pour moi. Parce que je n’allais pas bien. Merci. Merci de ne pas m’avoir abandonné quand tant d’autre l’on fait.
— La famille, c’est sacré, Élia.
Véra nous rejoignit et ma sœur me laissa dans ses bras. La laissant, elle et ses danseurs travaillés, Véra m’emmena avec Lianna dans le jardin. Son bras autour de ma taille, on marchait d’abord en silence, observant notre fille gambader.
— Iléna à principalement écrit ses chansons quand j’allais au plus mal, avouais-je. Pour celle-là, j’avais organisé une fête d’anniversaire, avec ceux que je croyais être mes amis, mais personne n’est venu.
— Est-ce l’une des raisons qui te poussent à oublier cette date ?
— Oui. Je n’ai jamais aimé la fête. Jusqu’à toi, l’année dernière.
— J’aurais aimé te rencontrer plus tôt. J’aurais pu t’aider à te sentir considérée, aimée.
— Tu n’aurais rencontré qu’une gamine. J’étais aimée, avec maman et Iléna. Mais comme j’étais différente, nulle à l’école, toujours dans la lune ou en train de danser, je n’étais pas normale pour eux. Et du coup, il me repoussait.
— Et aujourd’hui, tu es la fiancée de l’Impératrice. Ils devraient te jalouser au lieu de te fuir. Tu n’es pas bizarre, mon amour. Tu es qui tu es, avec tes qualités et tes défauts et c’est pour ça que je t’aime.
J’arrêtais de marcher et bloque mon regard dans le sien. Ses mains se placèrent dans mon dos et elle m’embrassa. Mon passé, ma vie à Edel était définitivement terminée. Je n’étais plus une enfant et je ne pouvais rêver meilleure compagnie, meilleure épouse possible.
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