Chapitre 6
6
Déception
Voilà pourquoi je déteste Maximilian et Anthony : ils me mont enfreindre les règles. Les règles imposées par Mark, que je dois respecter à tout prix pour rembourser la Dette. Rembourser la Dette, pour me faire pardonner et expier mes crimes.
Anthony, qui est toujours penché sur moi, ouvre de grands yeux ébahis quand mon front rencontre brutalement son menton. Bon sang ! je n’aurais jamais cru qu'un coup de tête ferait si mal. En tout cas, Anthony a l'air d'avoir encore plus mal encaissé le choc : il bascule en arrière en poussant un cri rauque. Il se tient le visage à deux mains et je ne tarde pas à apercevoir le rouge écarlate de son sang. Œil pour œil, dent pour dent et... sang pour sang !
Max réagit enfin : il laisse échapper un son étrange, mélange de cri et de couinement, puis accoure vers moi. Je suis debout au moment où son poing frappe. Le coup m'atteint à la joue gauche. Ouch. Je titube en arrière, parviens à rester debout, puis envoie mon pied dans l'entrejambe de Maximilian. OK, je reconnais, c'est un coup bas, mais, contre des types comme lui, je n'ai aucune compassion. Il se plie en deux, les mains sur le bas-ventre, le visage rouge et pousse un couinement de douleur. Même si je ressens une certaine satisfaction à le voir ainsi, je grimace. Maximilian et Anthony sont à terre et je dois avoir une sale tête. Bref : il est évident qu'on s'est battus.
– Max, Anthony ! Vous êtes où ? crie la voix de Lily Rose à l'angle du mur.
Je n'ai pas eu le temps d'esquisser un geste qu'elle apparaît, les joues rougies par le froid. Ses cheveux blonds se soulèvent légèrement à cause de la brise. Au fur et à mesure qu'elle prend conscience des dégâts, ses yeux verts s'agrandissent.
Maximilian est le plus proche d'elle. Elle court vers son frère et se laisse tomber à ses côtés.
– Max !
Celui-ci pousse un grognement et lève des yeux furibonds dans ma direction. Le message est clair : « C'est la faute de cette enflure et il va le regretter ». Comprenant que son aîné souffre simplement d'une attaque directe à sa dignité masculine, Lily Rose se relève et se dirige vers son petit-ami, qui lui reste allongé à terre, les mains sur le visage.
– Anthony ? murmure-t-elle en posant une main sur sa poitrine. Ça va ?
Il pousse un râle et se redresse en position assise. Ses lèvres sont gonflées et tout le bas de son visage est couvert de sang. Il pose sur moi un regard meurtrier.
– Fais gaffe à toi, Gibson, crache-t-il en ignorant Lily Rose. T’as très peu d'amis dans le coin.
Sur ces paroles tout à fait réconfortantes, il se lève, prend sa copine par la main et s'en va, suivi de près par Max, qui grimace encore de douleur.
Je reste planté là, à ne rien faire. Je sais que j'ai merdé. Je m'en veux de m'être emporté ainsi. Pas parce que j'ai blessé deux gars. Ou parce que Lily Rose va m'en vouloir. Ou parce que leurs familles vont encore plus se méfier de moi. Mais parce que je sais que j'ai déçu Mark.
Je me suis rassieds sur la pierre et me tiens le visage quand une voix s'élève près de moi :
– Zachary.
– Mark.
Je relève la tête et le vois à l'embouchure par laquelle sont partis Maximilian, Lily Rose et Anthony tout à l'heure. Son visage est grave, ses yeux sombres.
– Arrête de bouder et viens là.
Quelque chose me remue les tripes. J'ai de nouveau la nausée. Mes jambes flageolent quand je me lève et mon chemin jusqu'à Mark est laborieux. Lorsque je trébuche, il s'approche de moi. Pendant une seconde, je crois que c'est pour m'aider. Pendant une seconde. Je sais déjà qu'il va me gifler quand il lève la main pour le faire. La claque passe moins bien que les autres étant donné qu'il frappe la joue que Maximilian et Anthony ont tapée avant.
– Nous rentrons, dépêche-toi.
– Mar…
– On parlera de tout ça après, me coupe-t-il en tournant les talons.
Je le suis avec quelques mètres de distance. Mes pas sont incertains à cause de la fatigue et de la douleur. Lorsque nous arrivons sur le parking, Max et Anthony se font inspecter par Sofia. Ils me foudroient du regard sans un mot et je fais de même. Phil m'observe du coin de l’œil d'un air désolé. Des trois, c'est sûrement moi le plus amoché, mais je sais que je n'aurai pas le droit à une inspection. Les adultes doivent estimer que c'est ma faute si on s'est battus. Ce qui n’est pas totalement faux.
Mark me fait signe de monter dans sa Jeep et je m'exécute. Nous ne disons pas un mot sur le chemin du retour. Quand j'observe Mark à la dérobée, je le vois en colère et... et déçu.
C'est sa déception et non son agacement qui me blesse.
J'accueille la tiédeur de la maison avec reconnaissance. Alors que j'ôte mes chaussures et ma veste, Mark lance d’un ton péremptoire :
– Va allumer un feu et rejoins-moi dans la cuisine après.
– OK.
Je fais ce que j'ai à faire et m'assieds dans la cuisine, en face de lui. Il est en train de lire le même journal que ce matin. Ses traits se sont durcis et ses lèvres restent immobiles.
– J'ai merdé tout à l'heure, commencé-je sans le regarder dans les yeux. Comme d'habitude, ce sont eux qui ont commencé et, comme d'habitude, j'aurais dû les laisser faire.
– Pourquoi as-tu donc enfreint la loi ? me demande Mark en reposant sa lecture. Puisque tu sais que tu ne dois pas répondre à leurs coups.
– Je... j'en avais marre de me laisser faire sans rien dire. Je passais pour un faible. Plus ils me frappaient, plus ils se croyaient au-dessus de moi !
– Ils sont au-dessus de toi, Zachary, réplique Mark d'une voix cassante. Contrairement à toi, ils n’ont pas un triple homicide sur le dos. Tu n'es qu'un garçon en quête de rédemption.
Tu veux casser quelqu'un et lui donner une confiance en soi en-dessous de zéro ? Va voir Mark Grace !
Je serre les poings et ferme les paupières. Et bien sûr, il a raison.
– J'ai enfreint l’une des premières et plus importantes règles, je reprends dans un souffle morne. Celle de ne pas se battre. Je sais que je dois être puni pour cela.
– Et tu le seras. (Il replie le journal et se lève.) Comme tu as dû le deviner, tu feras à manger pour midi et ce soir. Tu prépareras des repas pour la semaine, aussi. Je veux que tu révises tes cours toute la journée qui arrive et ce soir, vers vingt heures, tu iras te coucher. Si tu as le temps, j’aimerais que tu ramènes du bois dans le garage. Pas d’occupations ou de divertissements. On verra ensuite.
Dur dur... mais est-ce vraiment différent de d’habitude ? Est-ce que c’est si terrible que ça ?
– Très bien.
J'ai fait un gratin de courgettes pour midi. J'avais faim et, si j'apprécie les légumes, ce ne sont pas mes aliments préférés donc résister n'a pas été trop dur. Quand Mark a fini de déjeuner, il s'est levé et est allé s'enfermer dans son bureau. J'ai fait la vaisselle et ai réfléchi au repas de ce soir. Je n'ai trouvé dans le frigo qu'un reste de spaghettis pour une personne. Parfait. J'aurai juste à y faire réchauffer.
Quelques secondes plus tard, je me dirige vers le bureau de Mark et toque.
– Il y a plus rien dans le frigo alo…
– Va faire des courses. Il y a de l'argent dans la veste de mon manteau.
– Euh... d'accord.
Mark a parlé : je dois faire ce qu'il dit. Je préfère aller à l'épicerie faire des emplettes plutôt que de plonger dans mes cours le week-end.
Je me prépare à sortir quand le téléphone sonne. Je m'apprête à décrocher, mais Mark sort en trombe de son bureau et prend l’appel.
– Allô ?
Il se passe un court moment puis Mark soupire et pose sur moi des yeux qui me font frissonner.
– Oui, ça peut aller... grommelle-t-il à son interlocuteur. Si on oublie ce qu'a fait Zachary. Moi qui croyais qu'il faisait de son mieux pour se racheter... J'ai parfois l'impression du contraire.
Ces paroles me font l'effet d'un coup de pied d'Anthony dans les côtes. J'enfile ma veste, la gorge serrée. Les mains tremblantes, je prends des billets et les glisse dans une poche.
– Non, t'inquiète, Phil, reprend Mark, ça va aller. Zach m'a juste énormément déçu.
Dernière attaque pour terminer le travail. Je sors de la maison, meurtri.
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