Chapitre 9
9
Regret
En effet, j'ai une sale tête.
Le reflet que me renvoie le miroir m'arrache un soupir. Ma dispute avec Mark a rougi mes joues, mais je reste encore blanc comme un cachet d’aspirine. Pratique pour se déguiser en zombie-vampire pour Halloween, mais, au quotidien, j’ai juste l’air cadavérique.
Les marques rouges laissées sur mes pommettes saillantes par les coups de Max et d'Anthony ressortent encore. J'ai la lèvre supérieure fendue et une bosse sur le front, résultat du coup de boule que j'ai asséné à Anthony. Autrement dit… je suis ridicule.
J'ouvre un placard et en sors du coton avec du désinfectant. J'en applique sur les éraflures de mes joues et de mes jointures. Rien de grave. Mes côtes me font toujours mal. Avec des gestes précautionneux, j'ôte mon t-shirt. Mark choisit ce moment pour entrer dans la salle de bain.
– Jolies ecchymoses, marmonne-t-il, l'air sombre.
Malgré moi, je rougis de honte. Déjà parce que je ne suis pas spécialement fier d’exhiber les conséquences de ma stupidité. Et aussi car, malgré son air bougon, je vois une drôle de lueur danser dans le regard de Mark. On dirait de l'amusement.
– Si j'avais eu un fils, je m'y serais attendu un jour ou l'autre, soupire-t-il avant de refermer la porte.
Ah. Voilà l'explication de la malice dans ses yeux.
Lorsque je relève la tête vers le miroir, je suis encore plus rouge.
Je suis en train d'appliquer une crème sur ma bosse, avachi sur le bord de la baignoire, quand la culpabilité me prend à la gorge. Je me revois me jeter sur Mark comme un fauve, prêt à en découdre. Comment ai-je pu faire ça ? M'en prendre à lui ? À ce moment-là, j'ai vraiment eu envie de lui faire du mal. J'étais une bombe à retardement. Tout s'accumulait depuis ce matin. J'avais le besoin impérieux de frapper, d'extérioriser cette vague de frustration qui manquait me submerger.
Je me lève dans un mouvement brusque et jette avec colère les cotons tachés de sang dans la poubelle. Je m'en veux. Et ça m'énerve. Car cela prouve une fois de plus que j'apprécie Mark. Que je lui suis redevable. Que j'ai besoin de lui.
Fais chier.
– T'as fini de te pouponner ? raille Mark derrière la porte. J’aimerais bien prendre ma douche. Magne-toi un peu.
Avec un grognement, j'ouvre pour le laisser entrer. Alors qu’il passe à côté de moi, mon estomac lâche un gargouillement monstrueux – sans déconner, on aurait dit un tremblement de terre – qui lui fait tourner la tête. Son expression est manifestement surprise.
Je pique un fard en me raclant la gorge.
– Je crois que le fauve a faim, souffle-t-il avec un sourire narquois.
– C'est quoi ton problème ? grogné-je en le fusillant du regard.
Il sait aussi bien que moi que je suis privé de dîner – c’est généralement le cas quand j’ai eu le malheur de rendre les coups lors d’une bagarre – et il se paie ma tête.
– Parle-moi sur un autre ton, crache-t-il.
– Et toi, arrête de te foutre de ma gueule ! lâché-je avec véhémence.
Ses yeux s’illuminent d’une lueur dangereuse.
– Excuse-toi, Zachary.
Borné, je lui rends un regard noir. J’en peux plus de ses remarques acerbes incessantes. Je dois lui faire comprendre. Ses traits se crispent, la tension monte.
Utilisant son élan pour me pousser en arrière, il me plaque soudain contre une armoire à serviettes. La douleur dans mes côtes me fait gronder.
– J'attends tes excuses.
– Va te faire foutre !
Mark hausse un sourcil, décontenancé. Je ne l’ai jamais insulté aussi gravement. Regrettant aussitôt, je reste perplexe lorsqu’il se recule puis agite les mains dans ma direction.
– Viens, je t'attends, morveux.
– Hein ?
Sidéré, je le regarde me toiser, une lueur de défi dans les yeux. Je le crois pas. Mark veut qu'on se batte. D'accord. Pas de problème. Il va regretter de se payer ma tête.
Une nouvelle force coule en moi. L'adrénaline réveille mon corps. J'envoie mon poing droit vers son visage. Soudain, sans que je comprenne comment il a fait ça, il se retrouve devant moi, mon bras loin au-dessus de son épaule. Il paraît las quand il plante un uppercut dans mon ventre. Le souffle coupé par son coup, mes forces quittent mes jambes et je m'affale à ses pieds en toussant. Ma respiration est tellement perturbée que j'en ai les larmes aux yeux.
Debout à côté de moi, Mark reste planté là à m'observer.
– En espérant que tu retiennes la leçon.
Il s'apprête à quitter la salle de bain, mais je le retiens par la jambe.
– A-Attends, haleté-je en levant la tête vers lui. Co-comment t'as fait ça ?
– J'ai fait de la boxe quand j'étais jeune. Pour me défouler. Tu devrais essayer, Zach, ça te ferait du bien.
D'un mouvement leste, il s'arrache à ma poigne.
– Et ne t'avise plus jamais de me dire « Va te faire foutre ».
Me relevant rapidement, je m'élance derrière lui, mais la nausée me fige. Les toilettes et la salle de bains sont séparées par le couloir, si bien que je n'ai pas le temps de les rejoindre. Plié en deux, un flot acide de bile remonte dans ma gorge. Mark, qui a senti venir le coup, fait un pas en arrière une demi-seconde avant que je repeigne le plancher d'une flaque jaunâtre.
Mes jambes tremblent violemment. Je résiste quelques instants puis, trop épuisé pour continuer, je m'affale par terre. Ma tête cogne le sol, si bien que je perds momentanément connaissance.
Lorsque je rouvre les yeux, des points lumineux apparaissent dans mon champ de vision. J'ai mal de partout. Je suis crevé. J'ai juste envie d'être dans mon lit, recroquevillé sous ma couette.
Quelque chose me relève. Mes jambes sont en coton alors elle doit me porter à moitié. Cependant la chose m'a redressé trop vite et un nouveau flot de bile sort de ma bouche. Je tousse à cause de l'acidité qui brûle ma gorge. J'entends la chose grogner, jurer et se plaindre.
J'ai dû à nouveau tomber dans les pommes, car je suis maintenant dans mon lit. Je suis toujours torse nu et je frissonne. La chose apparaît au-dessus de moi avec un truc à la main. Dans un geste précautionneux, elle glisse le truc au coin de ma bouche. Un liquide frais et agréable coule entre mes lèvres, soulageant ma gorge meurtrie. J'en mets cependant la moitié à côté. Un tremblement m'agite quand le liquide coule dans mon cou exposé. Un soupir sonore sort de la chose. Je crois entendre quelque chose qui ressemble à « 'bécile ».
J'essaie de tirer la couette jusqu'à moi pour me réchauffer, mais je peux à peine lever la main. J'en gémis de frustration. Pourquoi mes paupières sont-elles si lourdes, mon ventre si douloureux ?
La couette se pose sur moi sans que je l'aie touchée. Oh, tant mieux. Aussitôt, mes yeux se ferment et ma tête s'enfonce dans l'oreiller moelleux.
Je crois sentir comme un souffle sur mon front puis les ténèbres me happent doucement entre leurs bras accueillants.
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