Chapitre 18

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18

Pardon

Je réfléchis à toute allure. Nous sommes mardi soir. Demain, les cours finissent assez tôt. Phil et Sofia seront de congé. Parfait. Espérons qu'il en soit de même pour les parents d'Anthony.

– Mark ! lancé-je en me dirigeant vers son bureau. Tu peux appeler le père et la mère d'Anthony ainsi que la famille Daniels ?

– Pour quoi faire ? s'étonne-t-il en me dévisageant.

– Pour leur présenter mes excuses, droit dans les yeux, je réponds d'un ton rigide.

– Tu es sûr que c'est ce que tu veux, Zach ? Tu y as réfléchi ?

– C'est le minimum que je puisse faire, non ? soufflé-je, étonné que Mark prenne ma défense. Je pensais que tu les aurais déjà appelés pour leur dire que j'allais m'excuser.

– Je ne sais pas trop, avoue-t-il en se laissant tomber dans son fauteuil. Toute cette histoire remonte à longtemps. Cela fait des mois que tout le monde sait qu'Anthony passe son temps à te chercher des noises. On savait que ça finirait par aller mal.

– Oui, ça a fini très mal, en effet, dis-je d'un air effaré. Mark, il est à l'hôpital ! Ses parents doivent être morts de trouille et en colère contre moi. Je suis obligé de m'excuser.

– Tu sais que, toi aussi, tu as fini à l'hôpital à cause de ce petit imbécile insolent ! gronde Mark en tapant du poing sur la table.

– Je...

Je n'ai pas les mots. C'est vrai, dès que je me suis installé chez Mark, Anthony m'a fait des crasses que je n'oublierai jamais. Mais je n'aurais jamais cru qu'il en garderait un si mauvais souvenir.

– Je tiens quand même à présenter mes excuses, je reprends en secouant la tête. Demain après-midi, si possible. Ce serait bien que Sofia et Lily Rose soient là. Tant pis si Philip ne peut pas venir.

– Comme tu veux, cède Mark avec un haussement d'épaules. C'est vrai que tu t'es emporté hier soir. Anthony va sûrement rester un petit moment à l'hôpital.

Je suis soulagé que Mark confirme mon erreur. Il n'est pas là pour me choyer, mais pour faire de moi un homme bon. Et un homme bon sait quand il doit incliner la tête et présenter son pardon.


J'ouvre les yeux deux minutes avant que la sonnerie de mon portable se déclenche. Des oiseaux gazouillent dehors et les bruits familiers de la maison les accompagnent. J'inspire longuement puis expire pour détendre la tension dans ma poitrine. Je n'ai jamais rencontré les parents d'Anthony. J'espère que leur fils ne tient pas d'eux. Cet après-midi me semble d'un coup trop proche. Je n'ai pas préparé ce que j'allais dire. Abruti ! Avec un grognement agacé, je balance mes jambes par-dessus la couette et m'étire. Je sens dans mon coude gauche le disque métallique grincer. Sans lui, je serai incapable de bouger le bras.

Alors que j'examine mon bras, je remarque une cicatrice plus petite et plus rose que les autres à mi-chemin entre l'os de mon coude et le creux de l'avant-bras. Voilà un souvenir d'Anthony qui restera à jamais. J'avais quinze ans. C'étaient les vacances d'automne. Mark était absent et j'avais la maison pour moi tout seul. Alors, sans prévenir, Anthony a débarqué chez moi. Il était accompagné de Nick, son camarade sportif qui lui sert de gros-bras. Ils sont entrés par la porte fenêtre, que j'avais mal fermée, et m'ont obligé à descendre au garage. Là, Nick m'a contraint à rester immobile pendant qu'Anthony cherchait de quoi me faire du mal. Car c'est ce qu'il voulait. Terrorisé, je l'ai observé allumer le fer à souder. L'odeur de brûlé m'a donné la nausée et même Nick semblait mal à l'aise. Je me rappelle qu'il a tenté de dissuader Anthony, mais, celui-ci, plein de colère, a refusé et, avant que le fer soit complètement chaud, il l'a enfoncé dans mon haut au niveau de mon coude. Le tissu a fondu puis le métal a touché ma peau. Je me rappelle la sensation. Une chaleur si brutale et intense que je l'ai perçue comme un contact glacial. Un frisson de terreur dans le dos, les yeux écarquillés, le bras comprimé par l'effroi, j'ai hurlé. La souffrance m'a fait tourner de l’œil et, quand j'ai repris conscience, j'ai vu mes bourreaux partir en courant. Le fer à souder était par terre, la lame fumante. Prostré au sol, recroquevillé sur moi-même, déchiré de douleur, je suis resté ainsi pendant une heure. Quand j'ai trouvé la force de me lever, je me suis rendu chez les Daniels, qui habitaient à côté. Sofia avait l'air épouvanté lorsqu'elle a vu ma blessure au coude gauche. Quand elle m'a fait déplier le bras pour mieux voir, j'ai de nouveau perdu connaissance. J'étais à l'hôpital lorsque j'ai enfin rouvert les paupières.

C'est ainsi qu'Anthony m'a envoyé en chambre blanche, alors que nous venions d'intégrer le lycée. Il avait commencé à sortir avec Lily Rose et voyait d'un mauvais œil notre relation. Il était au courant pour mon sombre passé et craignait pour la sécurité de sa petite-amie. Ça ne pardonne pas les crasses qu'il m'a faites, mais ça les justifie. C'est peut-être le pire.


Agacé par ces souvenirs, je me claque les joues puis masse mes côtes encore endolories de ce week-end. Je me lève et enfile une veste par-dessus mon t-shirt pour ne pas avoir froid. En essayant de ne pas faire grincer la porte, je l'ouvre et m'engage dans le couloir pour aller me vider la vessie. Je pousse un soupir de soulagement et m'apprête à tirer la chasse d'eau quand une voix endormie s'élève derrière moi :

– Zach, faut te dire en quelle langue qu'on ferme la porte quand on est aux toilettes ?

Je pousse un petit cri de surprise en me tournant vers Mark. Il s'est visiblement écroulé dans son lit hier soir, car il porte son pantalon et sa chemise de la veille.

– D'solé, je marmonne en remontant ma braguette. Bonjour, au fait.

– Tu te pousses ? T'es pas à le seul à avoir envie de pisser, grommelle-t-il d'une voix traînante en me poussant hors de la pièce exiguë.

Son haleine me frôle le visage et j'écarquille les yeux en y sentant une odeur d'alcool.

– Tu as bu ? lâché-je, abasourdi, en le dévisageant.

Mark se fige, me jette un coup d’œil puis me donne une petite tape dans la jambe.

– Ouste !

– Mais, Mar…

– Zachary ! gronde-t-il. Sors.

Agacé d'être jeté ainsi, je serre les dents et m'éloigne. Il claque la porte des toilettes, me faisant clairement comprendre que je peux aller me faire voir chez les voisins. Borné, je donne quelques coups contre le battant.

– Ne pense pas que je laisse tomber aussi facilement !

– Va-t’en ! s'exclame-t-il d'un ton cassant. Va faire le petit-déjeuner.

Alors que je me dirige vers les escaliers, j'entends des reniflements. Je m'arrête, surpris. En quelques secondes, les reniflements se transforment en sanglots discrets. J'ai l'impression que mon cœur sombre dans ma poitrine. Pourquoi ? Pourquoi pleure-t-il ? Est-ce la gueule de bois ? A-t-il l'alcool triste ? Ou... est-ce autre chose ? Mortifié, je porte une main à ma bouche et m'assieds sur la première marche des escaliers. Le sang bat contre mes tempes tandis que les hoquets et les sanglots de Mark me parviennent étouffés par la porte qui nous sépare.

Que dois-je faire ? Aller le voir, essayer de le réconforter ? Non, ce serait gênant pour nous deux. Mais je ne me vois pas non plus faire comme si de rien n'était et aller préparer le petit-déjeuner. Déchiré par le doute et la honte, je prends ma tête entre mes mains. Qu'ai-je raté ? J'ai quitté le bureau de Mark hier soir après lui avoir demandé d'appeler les familles. Je lui ai souhaité bonne nuit puis suis monté regarder un film sur mon ordinateur dans ma chambre. Fichus écouteurs ! Si je ne les avais pas mis, peut-être que j'aurais pu entendre ce que faisait Mark. Comment se fait-il qu'il ait la gueule de bois ce matin et qu'il fonde en larmes aux toilettes ? J'ai honte pour lui. J'ai honte de moi. De nous. Du manque d'intérêt que l'on se porte. Je n'ai jamais vu Mark ivre. Deux ou trois bières : c'est le maximum qu'il se permet de boire en temps normal. Je n’aurais jamais cru qu'il y ait assez d'alcool ici pour se saouler.

Et voilà où notre fichue relation bancale nous a emmenés. La seule personne qui ait vraiment eu une importance pour moi pleure à quelques mètres, mais je suis incapable de connaître la raison de ses larmes et un moyen de les sécher.


Après une longue minute de réflexion, je mords mon poing, me lève et descends les escaliers.

Efficace comme jamais, je prépare le petit-déjeuner en cinq minutes. Je pose sur un plateau une tasse de café noir, deux tranches de pain beurrées – il préfère le sucré le matin – une orange découpée en quartier et me dirige vers le bureau de Mark. Je déchire un coin de feuille, attrape un stylo et griffonne à la va-vite :


Je pense qu'on a tous les deux besoin d'être seul aujourd'hui. Je t'ai préparé le petit-déjeuner, j'espère que le café n'est pas trop fort. Quand tu estimeras que ça va mieux, appelle-moi.

Zach.

PS : je suis désolé de ne pas avoir remarqué que tu allais mal.


Je voudrais écrire autre chose. Mais je ne sais pas quoi. Frustré, je plie le petit bout de papier, le pose sur le plateau et remonte à l'étage. Mark a quitté les toilettes et s'est enfermé dans sa chambre. On dirait moi quand ça ne va pas.

Je pose le plateau devant sa porte et tourne les talons.

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