Chapitre 43

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43

Visite surprise

Conformément à ce que Mark m’a dit par message, je prépare le dîner pour moi seul et passe le début de soirée sur le canapé à réviser de l’histoire. Il doit être vingt-et-une heures lorsqu’on sonne. Je fronce les sourcils en posant mon livre de cours. Mark aurait-il perdu ses clefs ?

Je ne sais pas trop comment réagir quand la journaliste Elena Dent m’adresse un petit sourire en coin sur le seuil de l’entrée.

– Bonsoir, Zachary, lance-t-elle d’un ton léger comme si nous étions de vieilles connaissances.

– Bonsoir… Qu’est-ce que vous faites là ?

Elle jette un coup d’œil par-dessus mon épaule puis redirige son attention vers moi.

– Mark n’est pas ici, déclaré-je avant qu’elle ne me pose la question.

Un air penaud se plaque sur son visage tandis qu’elle repositionne son sac à main sous son bras.

– Ça te dérange si j’entre ?

Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle n’a peur de rien. Gêné, je hausse les épaules puis souffle :

– Je ne suis pas sûr que Mark accepterait. Puis je suis en train de réviser et il est tard alors…

– Zachary, sérieusement ? lâche la femme en m’adressant un regard déçu. S’il te plaît, donne-moi dix minutes, histoire d’un petit café ?

– Vous n’allez quand même pas boire un café à cette heure-là ? m’étonné-je en fronçant les sourcils.

– Tu as sûrement des tisanes à me proposer.

Un sourire penaud étire ses lèvres, ses yeux sombres pétillent derrière ses longs cils.

– Je ne peux pas, je finis par déclarer en secouant la tête d’un air désolé.

– Tu crains que ton père te punisse ? souffle Elena d’un ton un poil provocateur.

– Mark n’est pas mon père, marmonné-je avant de me reprendre : enfin, légalement si, mais… Bref, je suis désolé Mme Dent, je ne peux pas vous laisser entrer. Vous n’avez qu’à revenir un autre jour.

– Alors, Mark t’a adopté ? murmure Elena en me fixant intensément.

Sa curiosité me gêne et je détourne le regard.

– Tes parents…

– Mme Dent, la coupé-je d’un ton ferme. Il est tard. Je dois encore réviser mes cours.

– Zachary, attends, s’il te plaît, s’exclame-t-elle en m’attrapant par le bras.

Son expression suppliante m’empêche de lui fermer la porte au nez. Qu’est-ce qui ne tourne pas rond avec femme ?

– Réponds juste à cette question : tu avais des parents avant que… que Mr Grace t’adopte ?

Son interrogation me laisse interdit. En quoi cela la regarde-t-elle. Ou, plutôt, qu’est-ce qu’elle en a à faire ?

– Je… commencé-je d’un ton hésitant. Je… suis orphelin. Ma mère m’a abandonné deux mois après ma naissance, lui expliqué-je.

Le silence s’installe entre nous tandis qu’elle m’observe avec attention. Pourquoi lui ai-je dit tout ça ? Parce que ça fait du bien de dire la vérité à voix haute. Ma mère…

Ma mère…

Ma…

– Vous…

Je suis coupé par le bruit d’un moteur. Elena et moi nous tournons vers le Jeep qui se gare devant le garage après avoir remonté la petite allée.

– Voilà Mark, déclaré-je dans un souffle.

Mark sort de la Jeep, ferme derrière lui puis s’approche de nous d’un pas rapide, sa sacoche sous le bras. Il ne masque pas sa surprise de voir Elena ici.

– Bonsoir Mark, lance la femme d’un air décontracté.

– Bonsoir Elena, répond-t-il en lui rendant son sourire. Que nous vaut l’honneur de votre visite ?

Son enthousiasme me rend muet et honteux. Je m’apprêtais à mettre la journaliste à la porte avec comme excuse que Mark ne tolérerait pas sa présence. Mais voilà qu’il démord mes propos en une déclaration. Du coin de l’œil, Elena m’adresse un regard narquois et je me détourne avec embarras.

– Je passais vous saluer, explique la journaliste. Mais je ne vais pas tarder, je dois me lever tôt demain.

– Je ne vous propose donc pas de boire quelque chose ? souffle Mark d’un air déçu.

La femme soupire.

– C’aurait été volontiers ! Mais j’ai discuté un peu avec Zachary et les minutes s’écoulent.

Son changement de décision me laisse perplexe. Elle, qui insistait un peu plus tôt pour rentrer, refuse maintenant sans hésitation.

– Comme vous voudrez, répond Mark en lui souriant. C’est au plaisir de vous revoir.

– Comptez sur moi ! lâche Elena en commençant à s’éloigner. Bonsoir à tous les deux.

Nous saluant de la main, elle finit de descendre l’allée, passe le portillon puis s’éloigne dans la rue.

– Tu vas rester planté là longtemps ? me raille Mark en rentrant.

Je grommèle puis passe à sa suite. Sans l’attendre, je retourne m’asseoir sur le canapé, récupère mon cahier et parcours des yeux les lignes de cours. Au bout de cinq minutes, je le pose à côté de moi, frustré. Impossible de me concentrer. Impossible d’oublier la curiosité avide d’Elena quand elle m’a posé sa question. Impossible d’oublier son air atterré et interdit quand elle a eu ma réponse.

– Tout va bien, Zach ? souffle Mark en s’installant sur un fauteuil.

– O-Oui, bredouillé-je en récupérant mon cahier.

– Tu as passé une bonne après-midi avec tes amis ?

– Oui, c’était cool.

– Tant mieux. (Il continue de m’observer avec gravité.) Tu es certain que tout va bien ? Tu en fais une tête.

Pinçant les lèvres, je me résous à lui expliquer mon souci. Mark n’est pas dupe : il insistera sûrement jusqu’à ce que je lui révèle ce qui me taraude.

Je lui explique.

– Qu’est-ce que tu t’imagines, au juste ? souffle Mark d’un air dubitatif. C’est une journaliste, elle est curieuse, c’est tout.

– Non, ce n’est pas tout ! m’exclamé-je en élevant la voix. Je… je ne sais pas comment t’expliquer, Mark. (Je plonge les yeux dans les siens et murmure :) Et si… et si… et si elle était…

– Ta mère ? Impossible, Zachary, me coupe Mark d’un ton cassant.

Il se lève et part dans la cuisine.

Mon cœur accélère d’indignation.

– Comment ça, impossible ? lancé-je en le suivant. Et pourquoi pas ?

– Si elle était ta mère, reprend Mark en se tournant brusquement vers moi, son regard brillant d’animosité, elle t’aurait reconnu en posant les yeux sur toi !

– Peut-être qu’elle n’est pas sûre… soufflé-je d’une petite voix en baissant le nez.

– Non, mon garçon, réplique-t-il d’une voix plus douce. Elle l’aurait su. Elle l’aurait compris. Elle l’aurait senti.

Devant mon expression dubitative, il soupire puis se frotte l’arête du nez.

– Je ne sais pas comment te l’expliquer, Zach. Si Elena Dent était ta mère, elle aurait reconnu ton visage, elle aurait reconnu tes yeux, elle aurait reconnu ta personne entière. Elle n’aurait pas pu plonger le regard dans le tien et ne rien ressentir. (Il pose soudain les mains sur mes épaules, ce qui me surprend assez pour me faire sursauter.) Je n’ai pas de mal à m’imaginer à quel point tu es avide d’en savoir plus sur tes origines, sur ton identité. Mais ne te précipite pas, Zachary, au risque de te décevoir. Crois-moi quand je te dis qu’elle l’aurait su. Ta mère biologique t’a porté neuf mois en elle avant de te donner la vie et de te garder auprès d’elle pendant deux mois – d’après ce qu’on m’a dit. Zach, si Jade et Holly apparaissaient devant moi aujourd’hui, je les reconnaitrais immédiatement, même si elles avaient onze ans. (Il serre un peu plus ses doigts autour de mes épaules en me dévisageant.) Les enfants, ça te prend aux tripes. C’est ton sang, ta chair, tu ne peux pas passer devant et te laisser de marbre.

Ma déception doit être évidente car il m’adresse un regard compatissant avant de lâcher mes épaules.

– J’aimerais tellement savoir qui c’est… soufflé-je à voix basse. Je ne sais pas ce que ça m’apporterait de plus… Enfin, si, ça répondrait à des dizaines, non des centaines, de questions que je me pose depuis toujours. Qui ? Quand ? Pourquoi ? (Ma voix se casse et je continue, la gorge obstruée par un chagrin de petit garçon qui ne disparaitra sûrement jamais.) Pourquoi ma maman m’a-t-elle abandonné ?

Je me détourne, le cœur au bord des lèvres, honteux et agacé par ma réaction.

– Zach… souffle Mark. Allons, mon garçon, reprends-toi.

Si facile à dire…

– Je vais dans ma chambre, déclaré-je soudain en allant récupérer mon cahier sur le canapé.

Mark me regarde m’en aller sans rien dire, le visage grave.


Plus tard dans la soirée, alors que je suis allongé dans mon lit, des écouteurs dans les oreilles, Mark pousse la porte de ma chambre :

– Zach ?

Étonné, je me redresse en coupant la musique de mon téléphone. Comme Mark reste planté sur le seuil de ma chambre, je fronce les sourcils.

– Je t’embête ? ajoute-t-il d’un ton hésitant.

Un peu morose, je hausse les épaules. Je dois reconnaître que j’étais tranquille avec la solitude et ma musique.

– Tu voulais quelque chose ? finis-je par demander par politesse.

– Juste te demander comment s’était passé ton après-midi. Tu m’en as pas dit beaucoup tout à l’heure.

– Eh bien, c’était sympa. Je leur ai offert à boire, on a révisé, discuté, joué à des jeux de société et aux cartes…

Je laisse ma phrase en suspens quand je constate que son visage s’est fermé comme une huître. Son regard m’évite.

– Je suis désolé, Zach, finit par déclarer Mark d’un ton atone. Ça doit pas être bien drôle pour toi d’inviter des amis ici, comme on a pas la télévision ni de console de jeux.

– On s’est bien amusés avec les jeux de société, t’inquiète pas. (Soudain, je me rappelle ce que j’ai trouvé au milieu de ses affaires.) Au fait, Mark… En cherchant des cartes, j’ai vu mon ancien journal sur ton bureau.

Un lourd silence me répond. Gêné à l’idée qu’il aurait préféré garder ceci caché, je baisse le nez. Sans compter que j’aurais aussi préféré qu’il ne le relise pas.

– Oh oui, répond-t-il enfin d’une voix distante. Je l’ai retrouvé en faisant du tri dans mon bureau. Je l’ai feuilleté, mais pas complètement relu, ne t’inquiète pas.

– Non, c’est pas grave, tu m’as demandé de le tenir pour qu’on se connaisse mieux, mais… c’est juste que… c’est un peu idiot ce que j’ai écrit dedans.

– C’est pas idiot, bien au contraire, soupire Mark en entrant pour de bon dans ma chambre. Ce sont juste tes pensées et ressentis lorsque tu avais douze ans.

Comme je n’ai pas encore fermé les volets, il le fait pour moi. Cette image, si banale et étrange à la fois, me serre le cœur. Son dos large occupe une partie de la fenêtre.

– Et je sais que tu avais un tas de choses à exprimer à cette époque.

– Toi aussi, me contenté-je de répliquer à voix basse.

Avec un soupir contrarié, il se tourne vers moi, m’observe quelques secondes puis souffle :

– Tu veux que je te le rende ? (Comme je hoche la tête distraitement, il ajoute :) Tout ce que je te demande en échange, c’est de ne pas le jeter.

Prenant le temps de réfléchir à sa proposition, je finis par accepter :

– OK, je le rangerai dans mon placard. (J’observe mes grandes mains pâles puis les tords.) Une de mes amis est tombée dessus, alors j’étais super gêné. Cette fois, je vais bien le cacher.

Je l’entends s’esclaffer avant de sentir sa main tapoter mon crâne.

– Puis, comme ça, tu pourras le relire si tu en as envie.

– Ça marche. Bonne nuit, Mark, ajouté-je en levant les yeux du sol.

Il s’est déjà éloigné vers la sortie, mais il s’arrête avant de fermer la porte.

– Bonne nuit, Zach.

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