Chapitre 47
47
Soupçons
Les jumeaux restent encore quelques temps puis finissent pas rentrer chez eux. Ils ne le font qu’en sachant que je suis là pour veiller sur notre amie. Installée au bout du canapé, sa tête blonde sur mes cuisses, Lily Rose dort. Je resterai jusqu’à ce que ses parents rentrent du travail.
C’est Phil qui arrive en premier. Je l’entends garer le 4x4 dans le garage. Une porte qui claque. Alors que ses pas résonnent dans les escaliers, un deuxième moteur ronronne à l’extérieur. Sofia rentre à quelques minutes d’intervalle. L’horloge affiche dix-neuf heures trente.
– Lily, ma puce, nous sommes rentrés ! lance chaleureusement la voix de l’avocat.
Ma gorge se serre. Il ne nous a pas encore repérés. Comment va-t-il réagir, en père aimant et protecteur ? Et Sofia ?
Il rentre dans le salon. Je peux presque sentir son regard ébahi sur ma nuque. Le bruit du garage claque de nouveau ; Sofia va monter à son tour.
– Zach ? souffle Philip d’un air incertain.
Après une seconde d’hésitation, je tourne le cou vers lui. Mon visage ne doit pas être beau à voir, car il grimace et s’approche soudain en vitesse. Son regard bascule alors sur sa fille.
– Elle… commence l’homme avant d’être coupé par Sofia.
– Tu as pensé aux œufs, mon cœur ?
Philip lance un regard désemparé et inquiet à sa femme. Celle-ci accoure dans notre direction.
– Zachary ? Qu’est-ce que tu fabriques ici ?
Mais elle ne me laisse pas le temps de répondre et s’agenouille à côté du canapé.
– Lily Rose, ma chérie, souffle-t-elle d’une voix étouffée par l’angoisse. Qu’est-ce qui t’arrive ?
Mon amie remue légèrement sur mes jambes puis ouvre les yeux.
– Maman… murmure-t-elle d’un ton faible. Oh, maman…
Sofia lui caresse les cheveux, l’inquiétude faisant luire ses yeux verts. Ceux-ci finissent par remonter jusqu’à mon visage. Ses traits se durcissent.
– Qu’est-ce qu’il lui arrive ? siffle-t-elle d’un ton sec.
– Je… commencé-je, pris au dépourvu, je… Elle…
– Maman, ce n’est pas sa faute, intervient Lily Rose en se redressant. Il est juste resté pour me soutenir. (Elle croise le regard de son père puis revient vers sa mère.) Anthony m’a quittée. Je pensais que je pourrais facilement me relever ; je m’y attendais après tout. Mais quand Zach m’a demandé… j’ai craqué. (Un souvenir de sanglot remonte dans sa gorge et elle le fait disparaître avec force détermination.) Jessica et Dante étaient là aussi et, avec Zach, ils m’ont réconfortée. (Elle m’adresse un regard plein de reconnaissance.) Il est resté jusqu’à ce que vous rentriez.
– Oh, je vois, répond simplement Phil d’une voix morne. Ma puce, je suis tellement désolé.
– Merci papa, souffle-t-elle en reniflant avec un sourire triste.
J’ai à nouveau envie de la serrer dans mes bras, mais Sofia me devance. Elle se redresse et serre fermement sa fille contre elle. Lily Rose enfouit le nez dans son épaule.
Comprenant que je dois sortir de cette intimité familiale, je me lève du canapé et m’éclipse discrètement. Avant que je ne parte, Phil pose une main sur mon épaule. Arrêté par son geste, je lui adresse un regard inquisiteur.
– Merci d’être resté jusqu’à notre retour, mon garçon, chuchote-t-il, je t’en suis reconnaissant.
– C-C’est rien, bredouillé-je en baissant les yeux. Avec tout ce que Lily et vous avez fait pour moi, c’est la moindre des choses.
– Merci quand même.
Il m’adresse un petit hochement de tête et me laisse filer. Ma maison n’est qu’à une minute à pied. Je suis étonné de voir la Jeep de Mark garée dans l’allée et la lumière aux fenêtres. Il est rentré tôt aujourd’hui.
J’insère la clef dans la serrure puis pousse la porte. Une odeur de lardons grillés me saute au nez, rappelant à mon estomac qu’il est vide. Avec hâte, je me déchausse et retire mon manteau.
– Mark, lancé-je en m’avançant à travers le salon pour rejoindre la cuisine, tu es rentré tôt.
– Et toi tard, réplique-t-il alors que j’atteins l’entrée.
Je me fige sur le seuil de la pièce. Mark, son tablier ridicule autour du cou, est penché au-dessus de la gazinière.
Et Elena Dent le regarde cuisiner d’un œil bienveillant.
Le regard sombre de la journaliste finit par glisser vers moi. Ses lèvres s’étirent en sourire tandis que ses yeux perçants dévisagent le moindre trait de mon visage.
– Bonsoir Zach, souffle-t-elle d’une voix suave en se décollant du plan de travail.
Je la dévisage sans savoir comment réagir. Finalement, constatant ma perplexité, elle m’adresse un petit signe de la main amical. Je continue à la toiser en silence.
Qu’est-ce qu’elle fout là ?
– Tu as perdu ta langue ?
La voix de Mark est pleine de moquerie.
– Peut-être que Jessica te l’a malmenée.
Je rougis tellement fort qu’Elena éclate de rire.
– Mark, arrête, il va finir par s’évanouir d’embarras.
Ce n’est pas loin.
– Sans plaisanter, Zach, ça va ? reprend Mark en se tournant vers moi.
Je hoche la tête. Ses yeux presque noirs s’attardent pourtant mon visage.
– Tu es sûr ? Tu étais où ce soir ?
– Chez Lily, je finis par répondre d’un ton rauque.
– Oh, d’accord.
Il se remet à la cuisine.
– Mark…
– Oui ?
– Euh…
– Quoi ? marmonne-t-il en baissant le feu sous la poêle.
– Eh bien…
Mon regard bascule sur Elena, qui m’observe avec curiosité, se demandant sûrement quelle est ma question. C’est assez gênant de la poser devant elle.
– Je voulais savoir…
Soudain, comme s’il venait de comprendre le mystère de l’univers, Mark se retourne vers moi, le regard éclairé par une lumière de compréhension.
– Oh ! Des techniques de drague ?
Je le toise sans rien dire, mortifié. Bon sang, c’est la présence d’Elena qui le rend si bizarre ?
– Non, je me demandais juste si Elena allait rester manger.
– Ah, lâche-t-il d’un air déçu. Bon, tu sauras que je peux éventuellement te conseiller quand tu voudras.
Cette fois, je m’énerve.
– Mark ! crié-je en faisant un pas dans la cuisine, arrête. Je l’ai juste embrassée. Qu’une fois. Je… je sais pas du tout comment ça va évoluer entre nous.
Il hausse les épaules avec désinvolture.
– Vous, les jeunes, aujourd’hui, vous allez tellement vite…
– Mais ça veut pas dire que je suis comme ça ! rétorqué-je, vexé.
Comme s’il venait de comprendre qu’il m’a blessé, il se tourne vers moi, l’air penaud.
– Oui, pardon, Zach, j’aurais dû m’en douter.
Je baisse les yeux. Je ne veux pas me précipiter. Je veux profiter. Surtout avec Jess. Ce n’est pas juste une fille. C’est Jessica. Elle mérite mieux que la précipitation.
Et merde, pourquoi on doit avoir cette conversation en face de cette nana ? songé-je avec agacement en jetant un coup d’œil à Elena.
Elle me toise avec amusement.
– Et, oui, je reste manger, en réponse à ta question, souffle-t-elle d’un air malicieux.
Je marmonne tout bas pour moi-même.
– Tu n’es pas content ?
Je hausse les épaules en évitant son regard. Ça ne me réjouit pas, mais ça ne m’agace pas plus que ça, en vérité.
– En fait… commence-t-elle en perdant tout trace de malice sur son visage, il faut que je vous parle de quelque chose.
Je jette un coup d’œil à Mark, qui a cessé de cuisine. Tourné vers nous, il toise Elena en silence.
– J’ai appelé Mark il y a une heure, m’informe-t-elle. Je lui ai expliqué qu’il y a un sujet important dont je dois vous parler – notamment avec toi Zach. Il m’a proposé de venir manger pour qu’on puisse en discuter.
La gravité de ses mots plombe mon estomac et le sérieux de ses yeux glace mon sang.
De quoi veut-elle nous parler au juste ? Pourquoi a-t-elle l’air aussi nerveux ?
Que va-t-elle m’annoncer ?
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