Chapitre IV
Qu'y'a-t-il de plus horrible que de voir son propre père mourir devant ses yeux ? Je suis tétanisée en voyant mon père débouler dans la salle et se précipiter vers l'étagère où Amber se tenait dix secondes avant. Un bourdonnement sourd résonne dans mes oreilles et un brouillard opaque m'empêche de discerner correctement les faits et gestes de mon père. J'ai juste le temps de le voir s'effondrer devant la vitrine fracassée avant que la pièce ne tremble m'obligeant à me baisser au sol. Les étagères balancent, répandant le contenu des fioles sur le plancher de la salle. Des cris retentissent dans le bâtiment et le hurlement de mon père m'inflige un haut le cœur écœurant. Je me force à rester consciente, captant tous les éléments pouvant amener à des preuves. Parmi les éclats de verre et de bois, les contenus des fioles se mélangent créant un départ de feu, m'obscurcissant le peu de visuel que j'avais. Seul l'odorat, le toucher et l'ouïe me permettent de connaître la suite des évènements. L'oreille aux aguets, je perçois des mouvements à ma droite. Tout autour de moi trônent des bouts de fer, de bois et de verre. Soudainement une main calcinée attrape le premier bout de bois qu'elle trouve et un cri d'horreur transperce le boucan que produit l'explosion. Tremblante de peur, je reste figée. Devant moi se tient la main de mon père brûlée par les flammes. Le silence revient brusquement dans la pièce accompagné d'un sentiment d'horreur mélangé à du désespoir. Je ne ressens plus rien, comme si je n'étais qu'une simple présence fantomatique dans ce lieu sans vie où règne une atmosphère morbide. Je me relève fébrilement en titubant avant de hurler. Comment pourrais je vivre sainement après toutes ces horreurs ? Je me sens impuissante. C'est injuste même ! Voir un de mes proches perdre la vie est la pire douleur au monde alors que je ne peux pas mourir. C'est un peu ironique de dire ça en sachant qu'aucun être humain n'a la capacité d'être immortel. Mais dans un sens, je n'ai jamais été si proche de la mort qu'aujourd'hui. Un coup de pression monte soudainement dans mon corps et un nœud se forme dans mon estomac. J'ai déjà pensé à la mort, j'ai déjà eu des pensées suicidaires sans pour autant avoir eu l'envie de passer à l'acte. Pour moi, ce n'est pas LA solution qui résoudrait la majorité de mes problèmes, même si certains penseraient le contraire. J'ai toujours eu cette envie de vivre. Je voyais la vie comme un cadeau impossible à refuser. Mais aujourd'hui, je constate que plus rien ne me retient. Avant, j'avais ma famille pour me soutenir, mes amis et mes passe-temps. Mais maintenant, j'ai tout perdu et ma foi de vivre ne tient qu'à un fil qui menace de céder à la prochaine épreuve que m'infligera Amber.
Amber et moi, nous nous connaissons, c'est certain ! Je ne saurais dire quoi, mais nous avons quelque chose en commun. Cette femme connaît mes faiblesses mieux que personne d'autre, cela en devient même inquiétant, en sachant que je n'ai aucuns souvenirs d'elle dans ma vie. Seule ma famille proche connaissait mes faiblesses et je prenais tout le temps garde à ce que je disais pour que personne ne sache me cerner, mais peut-être ai-je dû faire une entorse à un certain moment . . . Je tenais à mon père comme je croyais en lui, et sa mort m'a profondément impacté. Une chose est sûre, elle a un lien avec moi et je dois le découvrir.
En attendant, il faut que je sorte de là, que j'évalue les dégâts et que je sache la suite des évènements. J'arrive à m'extirper de la pièce, non sans difficultés et constate le désordre du couloir. Tout le bâtiment a été endommagé et il ne reste que les murs, les poutres et les meubles tombant en ruine. Tout est triste et sinistre. Au dehors, une épaisse fumée sombre s'extirpe de l'origine de l'explosion. Des sirènes d'alarme retentissent au loin accompagné des gyrophares rouge et bleu de la police. Les pompiers et les secours s'affairent rapidement, prenant en charge les personnes les plus gravement blessés avant de s'occuper de ceux qui sont décédés. Armés de talkie-walkie, ils s'interpellent d'un endroit à un autre pour s'informer des nombreux dégâts. Je m'éloigne du laboratoire, voulant prendre mes distances quand je croise un médecin légiste en pleine conversation avec le patron, facilement reconnaissable à sa carrure imposante :
– Nous sommes au regret de vous dire que nous n'avons pas retrouvé Monsieur Hensen ! conclue le médecin légiste.
– Et vous avez fouillé tout le bâtiment ? Enfin devrais je dire, ce qu'il en reste ? Non ! Je ne suis pas sûr ! Alors continuez à fouiller tout le périmètre. Nous avons besoin de lui ! Il est notre seule chance de remettre sur pied notre laboratoire ! Je ne peux pas penser qu'il soit mort, ce n'est tout simplement pas possible !
– Je comprends tout à fait votre désespoir monsieur, mais je ne peux vous promettre sa vie vu l'état dans lequel est le bâtiment, explique le médecin, un bloc note à la main.
Tout autour de moi est brûlé, et de la fumée jaillit encore des décombres calcinées par les flammes. Le nombre de blessés doit être considérable et je doute que beaucoup ait eu le temps de fuir au-delà du laboratoire même si le décompte de l'explosion a permis à certains d'entre eux de s'échapper de cet évènement tragique. Au bord des grilles qui délimitent le terrain, des journalistes portant à bout de bras leurs caméras tentent d'escalader le portail afin de filmer la scène. Ce laboratoire était le plus connu et le plus grand de la ville alors son explosion a fait parler énormément de personnes. Je me rappelle l'avoir entendue aux informations le lendemain. Ils avaient quand même réussi à se procurer des images de l'évènement sans avoir d'informations sur la raison de cette explosion.
Une fois rentrée à l'appartement, je n'ai qu'un seul but, qu'un seul objectif : retrouver Amber et me venger. Mais la retrouver révèle de l'impossible. Ce serait comme chercher une aiguille dans une botte de foin. Avant de rentrer, j'ai été marché au parc d'à côté pour remettre mes idées en ordre. De toute façon, le temps que ma mère soit au courant, j'ai eu le temps de faire le tour du parc. Je me suis assise au bord de la fontaine et j'ai regardé l'eau défiler. Elle était un peu comme ma vie. J'ai passé ma main mais l'eau l'a traversée. Je n'ai aucun contrôle sur l'eau comme je n'ai aucun contrôle sur ma vie. Elle se laisse couler et je ne peux pas la retenir. J'ai ensuite marché et croisé le regard de gens heureux et épanouis, riant aux éclats. J'ai remarqué que le monde ne s'arrêtait pas de tourner après une catastrophe comme celle que je viens de vivre. Je me suis vite rendu compte que rester assise à ne rien faire m'irritait au plus au point et je préférais agir pour venger les miens. Je suis rentrée chez moi et j'ai attendue. Je me suis posée dans la cuisine et j'ai réfléchi. Pourquoi Amber aurait besoin de ce sérum conçu par mon père ? Qu'a-t-il de particulier ? Je suis interrompue dans mes réflexions par une sonnerie de téléphone. Evidemment c'était le jour où j'ai oublié mon portable et je n'avais donc aucun contacts. Ma mère pouvait tenter tout ce qu'elle voulait, je restais injoignable. Après trois sonneries, mon téléphone s'arrête laissant place à la messagerie vocale et ce que j'entends me serre le cœur :
– " Hello ma chérie . . . c'est maman . . . euh rappelle moi en urgence . . . s'il te plait . . . " dit-elle entre deux sanglots. Un long silence s'impose interrompu par quelques pleurs avant que le bip ne coupe le message vocal.
Les larmes menacent de couler, lorsque je me rends compte que ma mère m'a envoyé un appel à l'aide et que je n'étais même pas là pour elle. Je m'en veux d'être partie avec Thomas sans avoir fait attention à mes affaires. Je suis sûre que j'aurais pu l'aider. . .
Dix minutes plus tard, la sonnerie de la porte d'entrée retentit, me laissant perplexe. J'entends ensuite le bruit de la clé qu'on insère dans la serrure avant de voir la porte s'ouvrir sur ma mère, le visage inondé de larmes, son portable à la main. Elle lève les bras avant de poser ses affaires sur la table basse du salon et de s'affaisser dans le canapé totalement désemparée. Elle compose un numéro avant de le porter à son oreille. Deux secondes après, mon ancien téléphone se met à vibrer. Ma mère se lamente avant de plonger sa tête dans le premier coussin qu'elle trouve pour étouffer ses pleurs. Je m'approche furtivement, bien que celle-ci ne puisse me voir et me place face à elle. Sa chevelure brune est tout emmêlée et totalement décoiffée. Ses yeux souvent brillants sont maintenant vitreux et son teint a blanchit, il est devenu comme livide.
– Pourquoi lui, bordel ? crie t-elle en se levant, faisant tomber un des coussins qu'elle balance à l'aide de son pied. Qu'ai-je fait pour mériter un tel sort ? On avait une belle famille avec une belle vie et il a fallu que Dieu gâche tout ! se lamente-t-elle, étouffant ses sanglots. Elle se dirige vers la fenêtre et regarde le ciel bleu parsemé de quelques nuages qui se laissent porter par le vent. Pour une journée de février, il fait beau. Comment vais-je faire sans toi, maintenant ? Qui sera là pour m'épauler ? Pour m'aider comme tu l'as si bien fait ? Pour m'aimer . . . Tu es parti bien trop tôt . . . La vie n'est qu'injustice . . . termine-t-elle dans un murmure à peine audible.
Elle retourne se poser dans le canapé, laissant ses pleurs remplir le silence de la pièce, tandis que moi, ne sachant où me mettre, je reste plantée devant la table basse à ressasser mes souvenirs. Je ne me rappelle pas le temps que j'ai passé avec Thomas, ni quand je suis rentrée à l'appartement, je me rappelle simplement être rentrée et avoir couru dans les bras de ma mère pour la réconforter. Sachant que je ne peux plus rien faire pour ma mère a part attendre le retour de l'ancienne Matt, je me lève et sors de l'appartement. Je dois retrouver Amber, peu importe le temps que cela peut prendre. J'ai besoin de comprendre les raisons qui l'ont poussées à voler ce sérum et à tuer mon père. Je peux commencer par retrouver les éléments qui constituaient ce dossier et seul le bureau de mon père peut contenir ces informations. Mon père était un homme très intelligent, qui prévoyait beaucoup de choses. Il nous disait souvent "Prévoyez pour plus tard, on ne sait jamais". Il avait toujours une longueur d'avance sur les autres, si bien qu'il copiait toujours son travail pour être sûr de ne pas pouvoir le perdre. Et quoi de mieux que sa maison pour garder les fruits de son travail ? La maison de mes parents ne se situe qu'a quelques rues d'ici et je peux très bien y'aller à pied. Il me suffit juste d'aller jeter un coup d'œil dans son bureau personnel pour trouver ce qu'il me manque. Et si je trouve l'utilité de ce sérum, peut-être que celui-ci me donnera une piste pour retrouver Amber ? Je souris malgré moi, fière de mon raisonnement. J'ai réussi à faire le deuil de mon père même si celui-ci a pris énormément de temps, et même si l'avoir vu mourir a brisé ce qu'il restait de mon cœur, je suis encore debout parce que je suis certaine que s'il était à mes côtés, il m'aurait encouragé à rester fière et à vivre ma vie comme je l'entendais.
Justine.H
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