Chapitre V
Je parcours les rues jusqu'à me rendre dans le quartier de mes parents. Ils ont toujours voulu habiter dans un quartier tranquille et celui-ci répondait parfaitement aux critères. Les haies sont impeccablement taillées et aucunes feuilles ne trainent sur les trottoirs. Je cours vers la première maison et m'y engouffre. Je traverse la porte et constate avec désarroi le désordre qui règne dans la pièce. Cependant je doute que ceci soit l'œuvre de ma mère. Le salon est totalement retourné. Les tiroirs sont grands ouverts, leur contenu répandu au sol, les décorations des meubles sont mélangées et l'on ne peut traverser la pièce sans marcher sur les documents de mes parents. Si Amber est passée chez mes parents avant de se rendre au laboratoire alors je ne pourrai trouver ce que je cherche. Pour autant je continue dans ma quête et me rend dans la cuisine, où un mot écrit par ma mère est laissé sur le plan de travail.
Je serais a la boutique de Clémence toute la journée, il reste le repas d'hier soir dans le micro-ondes si tu as besoin/ Je serais de retour à la maison vers 22heures ! Passe une bonne soirée, je t'aime !
Mathilde
J'en conclue donc que si ma mère n'était pas présente à la maison, elle n'est pas à l'origine de ce bazar. Tous les éléments me portent à croire qu'Amber en est l'origine, mais il n'y a aucune preuves de son passage. Je laisse de côté la cuisine et monte les escaliers pour me rendre à l'étage. Le bureau de mon père se trouve au bout du couloir, à l'écart du bruit et du dérangement. Je passe devant la chambre de ma sœur qui est intacte et bien rangée et continue ma route. La porte du bureau est ouverte et je retrouve la pièce dans le même état que le salon. Tous les documents de travail de mon père sont éparpillés sur son bureau dont un qui retient mon attention :
La larymosine est un médicament utilisé pour calmer les patients atteints de schizophrénie ou encore de maladie mentale. Elle va, en effet, calmer leur esprit et les empêcher de commettre des actes non réfléchis. Cependant, la larymosine a des propriétés dangereuses sur l'être humain si la dose prescrite n'est pas respectée. Si le patient ingère une trop forte dose, il peut exercer une influence sur les personnes autour de lui ce qui peut causer d'énormes dommages. Il est fortement déconseillé de se trouver en présence d'un patient ayant consommé une dose supérieur à 0,5mg de larymosine. Il pourrait contrôler votre esprit et vous entrainer dans votre passé. Il n'existe pas encore de remède si ce n'est attendre que le temps passe pour que le patient atteint n'ai plus assez de force pour vous contrôler.
Je comprends soudainement pourquoi je suis ici. Amber est sous l'emprise de la larymosine et elle m'a volontairement envoyé dans mon passé, et il n'y a aucune solutions si ce n'est d'attendre qu'Amber soit à bout de forces. Mais comment vider Amber de ses forces ? Je continue mes recherches et lis chaque document que je trouve qui pourrait m'apporter des indications importantes.
La personne en possession d'une trop forte de larymosine va puiser ses forces dans l'esprit de l'autre. Seul votre esprit pourra contrer l'influence du consommateur. Il vous faudra une certaine volonté à revenir dans votre présent.
Ce passage m'intéresse et je dois m'y reprendre à deux fois pour le lire correctement. Il me suffirait juste de souhaiter revenir dans la chambre d'enfant pour retourner dans mon présent, mais que ferais je ensuite ? Et puis, ai-je réellement envie d'y retourner ? Je n'ai aucune preuves de ce que j'avance pour pouvoir exposer les faits à la police et Amber a sûrement caché le sérum pour qu'il soit introuvable. Et puis, je veux comprendre la raison de son acharnement sur moi. Pourquoi déverse-t-elle sa haine sur moi ? Toutes ces questions sont sans réponses et je compte bien les trouver, même si je dois y laisser mon esprit être torturé et manipulé. J'ai au moins des informations pour retourner dans mon présent si j'ai besoin, mais pour le moment je dois rester dans mon passé pour élucider le mystère.
Après une bonne heure de recherches sur les documents laissés par mon père, je capitule. J'ai peu d'informations sur les propriétés et les constituants de la larymosine, mais celle-ci peuvent se révéler assez utiles. Je ressors du bureau, tout en réfléchissant à ma prochaine destination quand je tombe nez à nez avec ma petite sœur : Jessica. Agée de seulement quatorze ans, celle-ci vient juste de rentrer et a déjà constaté le carnage qui règne dans la maison. Malgré l'inquiétude qui se lit sur son visage, Jessica est magnifique. Ces cheveux bruns tombent en cascade dans son dos, juste au-dessus de sa taille. Ses vêtements épousent parfaitement les formes de son corps, lui donnant un air mature. Ses yeux d'habitude pétillants sont désormais remplis d'angoisse et celle-ci a les yeux rivés sur son portable. Arrivée à sa hauteur, je me penche au-dessus de son épaule et lis les messages que ma mère lui a envoyé. Jessica commence à trembler et des larmes coulent sur ses joues devenues livides. Elle porte la main à sa bouche pour étouffer ses sanglots et dévale en vitesse les escaliers pour rejoindre mon appartement. Je prends le temps de la suivre et m'élance à sa suite, mais je suis coupée dans mon élan. La noirceur s'est imposée et j'ai beau continuer d'avancer, je suis comme paralysée.
D'un seul coup, le sol se dérobe sous mes pieds et je suis comme suspendue au-dessus du vide. Je ne distingue plus rien, n'entends plus rien . . . Soudainement, mon corps me lâche et me revoilà plongée dans un abîme sombre et glacial. Je retombe dans un gouffre infini où seuls mes cris d'épouvante brisent le silence froid et pesant du trou dans lequel je réentame ma descente vers les enfers.
Je tournoie sur moi-même dans la noirceur la plus totale. Tout autour de moi est sombre et je ne distingue rien du tout. Soudainement, des flash apparaissent. Des images brèves et subites. Ces images sont tirées de ma vie, je me rappelle quelques souvenirs. C'est comme si je vivais ma vie en accéléré. Je perçois quelques brèves images, comme moi tenant ma mère et ma sœur dans mes bras, un déjeuner avec Claire, une soirée avec Thomas, Noël avec ma sœur. Toute cette source de bonheur défile devant mes yeux et se dissipe dans le vide, comme des souvenirs inaccessibles. C'étaient des moments de bonheur qui étaient nécessaire à ma vie. Maintenant que l'on me les a enlevés, je ne tiens qu'a un fil. Revoir ma sœur devant moi m'a donné un coup dans la poitrine. Ce n'est que maintenant que j'admire sa beauté. J'aurais aimé lui dire qu'elle était une jeune fille magnifique. J'aurais aimé la rassurer en lui disant que tout va bien. Voir l'inquiétude dans ses yeux a éteint en moi une petite flamme qui tentait de ne pas se noyer dans mon océan de malheur.
Toujours dans mes pensées, je tente d'analyser où je me trouve, sans résultats. Mise à part, les images qui se déroulent devant mes yeux, je n'ai aucun repères. Je suis comme coupée du monde, dans un trou noir où je suis entrainée, dans un gouffre sombre sans fond. Je n'ai pas conscience du temps qui passe. Je pourrais tomber pendant de longues minutes ou de longues heures, je n'y verrais aucune différence. Le temps n'existe pas. Tout comme moi d'ailleurs. Je ne suis que le reflet de moi-même dans un passé qui m'appartient.
Au bout d'un certain temps que je ne saurais dire, je touche brutalement le sol. Je souffle de soulagement, heureuse de pouvoir stopper ma chute. Je ne sais pas où je suis tombée et je suis encore dans le flou. Tout me semble irréel. Je me redresse sur mes pieds et tente de garder l'équilibre. Autour de moi apparait le décor. Je ne suis pas perdue, je me retrouve dans le café proche de chez moi. En effet, je suis plantée au milieu des tables remplies de clients dans l'attente de leur commande. Je cherche du regard un quelconque indice qui me donnerait la raison de ma présence ici. Je suis interrompue dans mes pensées par des éclats de rire de deux personnes qui poussent la porte d'entrée. Mon ancien moi et Claire pénètrent dans le café et accostent un serveur qui les emmène à une table disponible. Je m'approche d'elles et écoutent leur conversation :
– Alors, dit Matt, pourquoi est-ce que tu m'emmènes ici ?
– J'avais quelque chose d'important à te dire et j'ai pensé que le café était un endroit plus propice pour ça !
Elle hoche la tête et s'assoit. Claire fait de même et un serveur vient prendre leur commande. Comme à leur habitude, elles commandent chacun un thé vert et un chocolat chaud et patientent un petit peu.
– Je ne vais pas passer par quatre chemins . . . Matt, je pars . . .
– Hein ? Comment ça tu pars ? s'écrie-t-elle subitement.
– Je déménage . . . Je dois suivre ma famille Matt, je suis obligée.
Matt a le visage fermé. Perdre Claire était pour moi impensable. Elle était une partie de moi et elle l'a prise en partant.
– Tu le sais depuis combien de temps Claire ?
– Ca fait un mois que j'essaie de te le dire mais je n'y arrivais pas. Ca me fends le cœur de te laisser mais je n'ai pas le choix. J'ai cherché des solutions mais aucune n'est possible . . . Je suis vraiment désolée Matt !
Claire tente de lui prendre la main mais Matt la retire aussitôt. Je lui en ai voulu ce jour. Pendant un mois elle m'a caché qu'elle partait en me le disant à la dernière minute.
– Tu pars quand ? Sa voix est plus sèche et son ton a changé.
– Je pars dimanche. Il ne me reste que quelques jours pour rassembler mes affaires et prévenir tout le monde que je pars ! Elle tente de sourire mais celui-ci est tellement faux.
Je me rappelle ce jour. J'ai vécu tellement d'horreur dans ma vie qu'oublier certaines choses m'est totalement impossible. Bien évidemment, je ne me souviens pas de toute ma vie mais des moments comme celui-ci ne s'effacent pas comme ça de mon esprit. Voir ma propre personne aussi démunie m'attriste énormément. Claire doit voir l'impact de ses propos puisqu'elle se lève et s'approche de Matt en me traversant. Des frissons m'envahissent mais je ne relève pas, trop concentrée sur la scène qui s'offre à moi. Matt décale sa chaise et laisse Claire la prendre dans ses bras en la rassurant. Elle l'oblige à la regarder droit dans les yeux et soutient son regard :
– Ecoute Matt, je serais toujours là pour toi, pour te soutenir et ce n'est pas la distance qui va m'en empêcher ! Tu sais à quel point tu comptes beaucoup pour moi et je ne compte pas te laisser tomber.
Elle la sert contre elle, et retourne s'assoir. Matt a lâché une petite larme qu'elle a aussitôt essuyé avec le revers de sa manche.
– Je ne sais pas comment je vais faire sans toi Claire. T'es la seule à me comprendre mieux que quiconque et même Thomas ne sait pas autant de choses que toi ! Il n'en existe pas deux comme toi et j'aurais tellement aimé que tu restes. Ca me détruit de te voir partir car tu étais un pilier central dans ma vie.
– Mais Matt, même si je pars, tu peux toujours m'appeler à n'importe quel moment et je te répondrai ! Je serais là pour toi ! Je sais que je me répète souvent mais c'est la vérité !
Je sais que ce souvenir touche à sa fin et je profite au maximum de cette scène car je sais très bien qu'au moment où Claire est sortie de ma vie, elle n'est plus jamais revenue.
Le départ de Claire est un des nombreux tournants de ma vie. Certes, elle est juste partie de l'autre côté de la planète, mais elle est aussi sortie définitivement de ma vie malgré toutes les promesses qu'elle a prétendu tenir. Je sais que le lien est compliqué à tenir avec la distance mais je pensais que je comptais assez à ses yeux pour préserver ce lien. Je me suis apparemment bien trompée. A vrai dire, je peux affirmer que je me suis trompée sur toute ma vie, sur chaque personne qui est entrée dans mon existence. Mais je ne peux pas lui en vouloir. Au bout d'un certain temps, je pense que j'aurais réagi de la même manière. Enfin, de toute façon, je ne peux pas changer le cours de ma vie et je ne peux non plus influencer les gens à revenir.
Je suis confrontée à un dilemme. Soit je continue à vivre dans mon passé pour chercher les réponses aux questions que je me suis tant posée au risque de m'infliger du mal mentalement et psychologiquement ? Soit je tente de retourner dans le présent et je récupère la larymosine pour l'empêcher de contrôler d'autres esprits ? Je ne sais pas laquelle des deux solution est la meilleure, pour autant je dois rapidement prendre une décision avant de me refaire projeter un an plus tard. J'ai enfin compris la raison du gouffre sombre. C'est le passage qui me permet de me plonger dans mes souvenirs. J'ai avancé dans le temps s'en même m'en rendre compte. Je suis passée de 2017 à 2018 en à peine, un claquement de doigt. C'en est affolant. C'est elle qui a le contrôle sur ma vie, elle qui me transporte dans mon propre esprit.
En attendant, il faut que je trouve une solution rapidement au risque de rester coincer. Je dois épuiser les forces d'Amber pour pouvoir retourner dans le présent. Malheureusement ce n'est pas aussi simple qu'il n'y parait. Il me faut une grande volonté pour le faire et je n'en ai pas assez. Je dois pourtant m'y efforcer si je souhaite y arriver. Je ne cesse de me dire que je le fais pour venger ma famille, que je me dois de le faire pour eux et que si je le fais, j'ai une potentielle chance de m'en sortir. Pourtant ma volonté de partir d'ici ne s'agrandit pas et si je ne continue pas mes efforts, je ne bougerais pas d'ici. Je sors du café où j'étais restée plantée et me pose sur le trottoir en regardant les passants. Tous semblent heureux de la vie qu'ils mènent et j'aimerais tellement en faire de même. Malheureusement pour moi, la vie ne m'a fait aucun cadeaux et malgré toutes les difficultés que j'ai dû affronter, j'ai quand même réussi à rester debout. J'espère au moins que les membres de ma famille sont fiers de moi et qu'ils me voient de là où ils sont. Est-ce que la vie est meilleure de l'autre côté ? Surement ! Est ce qu'ils vivent la vie qu'ils ont toujours rêvés d'avoir ? En tout cas, je leur souhaite parce qu'ils le méritent. Il m'arrive parfois de me demander ce qu'il se passerait si je venais à perdre ma vie . . . Je pense que si je suis encore là aujourd'hui, c'est pour une bonne raison et je devrai continuer à chercher des solutions au lieu de me morfondre sur mon sort. Je ferme les yeux et tente de me souvenir d'un moment merveilleux que j'ai pu vivre. Mon cerveau filtre à la vitesse de la lumière tous les éléments de ma vie, comme un train qui traverse toute la ville. Une image se distingue de toutes les autres. Je l'attrape au vol et la garde précieusement.
Flashback :
– Maman, tu as bientôt fini ? demandais je en tambourinant à la porte de la salle de bain. J'ai besoin de me préparer, j'ai cours après ! râlais je.
– Oui, je suis là ! J'entends le cliquetis du verrou et la porte s'ouvre sur Maman, les joues ruisselantes de larmes. Mon cœur rate un battement tandis que celle-ci s'effondre dans mes bras. Je n'ai pas le temps d'ouvrir la bouche que Maman se met à rire. Je reste muette. Adossée au chambranle de la porte, je n'ose bouger de peur de créer chez elle un autre changement d'humeur. Ses rires se calment lentement jusqu'à se terminer en un souffle de soulagement. Ma mère n'est pas bourrée. Je le sais à son souffle chaud qui parcourt la peau de mon cou. Elle a arrêté l'alcool depuis bien longtemps de toute façon.
– Oh ma chérie, si tu savais comme je suis heureuse ! me chuchote-t-elle dans un soupir que je distingue sans mal. Elle se redresse et je lui lance un regard interrogateur. Son sourire s'agrandit et il me semble entendre son cœur battre à vive allure. J'ouvre plus grand la porte de la salle de bain et m'avance vers le rebord du lavabo où repose un test de grossesse :
– Maman ? C'est quoi ça ? demandais je en montrant le test du doigt. Ne me dis pas qu'il est positif ? m'écriais je en écarquillant les yeux.
Ma mère se tient toujours dans l'encadrement de la porte et se fait toute petite.
– Tu ne devais pas le savoir avant ton père, je ne pensais pas qu'il serait parti si tôt ce matin. Et puis tu étais censée être déjà partie en cours ! se défend elle.
Je hoche la tête en signe de compréhension. Le test est positif. Ma mère attend un bébé. Ils vont avoir un deuxième enfant. Un silence froid se propage entre nous et je perçois la gêne de ma mère. Peut-être pense-t-elle que cela ne m'enchante pas ? A cette pensée, je la rassure immédiatement.
– C'est une super nouvelle ça ! Tu es enceinte depuis combien de temps ? la questionnais je. Ses traits se radoucissent. Elle devient moins anxieuse. Elle s'avance et me prends une nouvelle fois dans ses bras :
– Ah ma puce, j'avais tellement peur que tu sois déçue d'avoir un petit frère ou une petite sœur ! Me voilà rassurée ! Ca faisait un moment que l'on en discutait avec ton père, me confie-t-elle dans un sourire. J'espère que tu l'aimeras autant que nous l'aimerons Matt !
Elle prend mon menton et relève mon visage afin que nos regards se croisent. Les yeux de ma mère, d'apparence vague brillent maintenant d'un éclat d'espoir que je ne lui avais jamais connu. Ses larmes ont cessé de couler mais à la lumière, nous pouvons encore percevoir la trace du chemin qu'elles ont parcourues avant de s'écraser sur mon pull.
– Je vais te laisser te préparer Matt. Je vais aller au boulot de toute façon. Ne dis pas un mot à ton père ! termine-t-elle dans un clin d'œil. J'éclate de rire et referme la porte de la salle de bain derrière moi.
Fin du Flashback
A peine ai-je terminé de me remémorer mon souvenir que je me sens écrasée contre le sol sur lequel j'étais assise. Mon cœur bat vite. Mon corps se colle comme s'il voulait passer au travers. Je cligne des yeux et soudainement, le bitume devient mou et je me laisse m'enfoncer dans le noir.
Justine.H
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